02 Mai

La Clauge, une de ces rivières intermittentes et pourtant si importantes

 

 

La Clauge à Chissey sur Loue sèche au printemps puis en eau à l'automne. Photos B.Launay

La Clauge à Chissey sur Loue sèche au printemps puis en eau à l’automne. Photos B.Launay

On les appelle les intermittentes, les épisodiques, les temporaires, les saisonnières. Vous l’avez compris, on ne peut pas compter sur elles tout au long de l’année mais elles rendent de sacrés services !  Ni tout à fait asséchées ni tout à fait normales, ces rivières ont été délaissées par les universitaires jusqu’au jour où Thibault Datry, éco-hydrologue à l’Institut de Recherches en Sciences et Technologies pour l’Environnement et l’Agriculture à Lyon (IRSTEA) a décidé de les placer au coeur de sa recherche. J’ai découvert son travail grâce à un article du Monde publié le 20 avril dernier. « Sur la planète, la moitié des cours d’eau s’assèchent une partie de l’année » précise Le Monde.

Parmi les rivières du bassin Rhin Rhône Méditerranée, l’équipe lyonnaise a choisi d’étudier, depuis quatre ans, plus particulièrement 12 bassins dont deux sont en Franche-Comté : ceux de la Clauge et de l’Audeux, deux rivières discrètes de notre région.

La Clauge prend sa source à Fourg dans le Doubs puis traverse la forêt de Chaux (Jura) avant de se jeter dans le Doubs juste avant la confluence avec la Loue. La Clauge est asséchée à l’amont entre deux et six mois.

L’Audeux peut rester sèche encore plus longtemps. Elle prend sa source à Eysson près d’Epenouse dans le Doubs. La rivière traverse une douzaine de communes avant de se jeter dans le Sesserant qui lui-même se jette dans le Cusancin pour finalement se déverser dans le Doubs. 

Sur la Clauge, vingt points de mesures ont été installés et les chercheurs viennent régulièrement mesurer les débits et surtout prélever les invertébrés présents. Il s’agit de comprendre l’impact de ces périodes d’assèchement sur la vie des invertébrés. Comment s’organise la biodiversité dans ce milieu parfois sec parfois humide.

La Clauge n’a pas été choisie par hasard. Cette rivière est particulièrement intéressante. C’est un réservoir biologique pour le Doubs,  elle est classée en zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique par la DREAL. :

Les caractéristiques de la Clauge (bassin versant et parcours forestiers, dynamisme préservé) en font un système aquatique riche. Ses eaux fraîches, limpides, un peu acides et faiblement minéralisées hébergent la vandoise, la truite fario et la lamproie de Planer (toutes protégées). Cette dernière, très abondante ici, revêt un intérêt européen, tout comme le toxostome et le chabot. Les communautés d’invertébrés, de composition remarquable, en lien avec le contexte exclusivement forestier du lit majeur, témoignent aussi de la qualité optimale des eaux.

La Clauge est également une des rares rivières à abriter un poisson à protéger : la lotte de rivière. Elle est dans le secteur Natura 2000 de la forêt de Chaux et fait partie d’une Zone Naturelle d’Intérêt Ecologique Faunistique et Floristique.

Autre avantage, elle a été étudiée par le célèbre scientifique franc-comtois Jean Verneaux dans les années 60-70. Ces données historiques permettent de constater la progression des zones d’assèchement. En 40 ans, la Clauge a perdu environ 30% de son cours d’eau alimenté en eau de façon permanente.

En commençant à travailler à la rédaction de cette article, j’ai eu l’impression de dérouler une pelote de laine mais avec plusieurs fils à tirer en même temps. Des fils qui ne se croisent pas forcement. Pas de noeuds mais une coexistence de travaux sur une rivière sans forcément une mise en commun des résultats. Les Francs-Comtois contactés n’étaient pas au courant des recherches des Lyonnais dont le travail en hydrologie est particulièrement réputé. Thibault Datry m’a indiqué qu’il avait cherché à contacter des chercheurs de l’Université de Franche-Comté mais n’avait pas eu de réponse. Et pourtant, les uns et les autres apprécieraient certainement de connaître les interventions et les recherches entreprises autour de la Clauge. Ces connaissances morcelées m’a fait pensé à ce qui se passait pour la Loue jusqu’à ce qu’un coordinateur scientifique soit nommé.

Petit retour en arrière. La Clauge a fait partie de ces cours d’eau rectifié par l’homme dans les années d’après-guerre. Pour faciliter les travaux en forêt, le cours d’eau a été drainé et plus en aval, il a été curé et rectifié pour favoriser la culture des céréales.

« On a voulu chasser l’eau de la forêt mais on a besoin » m’a expliqué Frédéric Sassard, chef de projet à l’ONF.

Au début des années 2000, deux chercheurs de l’université de Franche-Comté se rendent compte que leurs travaux respectifs ont un point commun. L’un François Degiorgi observe la disparition des écrevisses à pieds blancs dans la Clauge et l’autre Eric Lucot constate un problème de manque d’eau en forêt de Chaux. « L’arbre et l’écrevisse se sont rencontrés !  » précise François Degiorgi .

La première intervention au chevet de la Clauge a été réalisée dans le cadre du programme européen LIFE « Ruisseaux de têtes de bassins et faune patrimoniale associée » entre 2004 et 2009. Plus de 150 petits affluents de la Clauge ont été rectifiés avec comme conséquence un assèchement très rapides de ces ruisseaux temporaires. Une expérimentation a été tentée sur 4 ruisseaux.

Ce travail est en train de se poursuivre avec d’autres ruisseaux affluents de la Clauge en amont du cours d’eau. Cette fois-ci,  une convention a été signée avec l’ONF.

La Clauge et ses affluents dans la forêt de Chaux vont bénéficier jusqu’ à 2018 d’un important programme de travaux. Au total, son montant est de 1,83 millions d’euros, il est porté par l’ONF (470 000 euros) et l’université de Franche-Comté (35 000 euros) et financé par l’agence de l’eau (1, 325 millions d’euros). Objectif, la restauration de 35 km de ruisseaux et de100 hectares de zones humides. 80 % des affluents de la Clauge amont doivent retrouver leur lit naturel aux écoulements ralentis. « L’opération bénéficie à la qualité des eaux de cet affluent du Doubs et aux nappes phréatiques dont le niveau s’était effondré » précise les intervenants.
Comment restaurer ? Grossièrement, il s’agit de mettre en place des bouchons d’environ 6 m3 pour ralentir le débit d’eau. « Quand on met des bouchons, on incite la rivière à retourner dans son ancien lit du coup la longueur du cours d’eau est multipliée par 2.5 !  » m’explique Frédéric Sassard de l’ONF.  Le temps de  présence de la rivière en forêt peut ainsi augmenter 

D’autres travaux ont été entrepris, cette fois-ci en aval, par la Communauté d’Agglomération du Grand Dole. La collectivité a lancé en 2010 « une étude qui visait à mieux connaître ces cours d’eau en déterminant :
– la répartition actuelle des populations de poissons dans le réseau hydrographique de la forêt de Chaux ;
– l’état écologique du lit des cours d’eau ;
– l’origine des éventuels dysfonctionnements constatés ;
– les actions prioritaires à mettre en œuvre pour une sauvegarde de ce patrimoine naturel. »

Tout ces travaux sont coordonnés, dans le cadre du contrat de rivière Vallée du Doubs et territoires associés, par l’EPTB Saône Doubs. En 2020, l’impact de ces opérations seront évalués. D’ici là, les recherches de l’équipe de Thibault Datry de l’IRSTEA auront elles aussi avancées et peut-être que des passerelles auront été jetées entre tout ces intervenants passionnés par cette rivière intermittente. Laissons le mot de la fin à un proverbe indien qui justifie à lui tout seul l’intérêt de revenir sur les pratiques des Trente Glorieuses.

Quand le dernier arbre sera abattu, la dernière rivière asséchée, le dernier poisson pêché,l’homme va s’apercevoir que l’argent n’est pas comestible…

Isabelle Brunnarius
isabelle.brunnarius{a}francetv.fr