Les premières images du Richard III incarné par Jean Lambert-wild sont pour le moins atypiques. On s’imagine habituellement le personnage de Richard comme physiquement difforme, ricanant, monstrueux et boitillant d’une scène à l’autre. Shakespeare, en insistant sur la difformité du personnage, souligne le caractère repoussant de Richard, pour les autres et pour lui-même. Nombre d’interprètes – dont Laurence Olivier, magistralement – ont pourtant fait le choix de ne pas insister sur la monstruosité extérieure de Richard pour mieux la mettre à l’intérieur du roi fou. Cette option permet de faire évoluer le personnage avec une palette plus riche de nuances et ainsi éviter l’écueil d’une figure totalement repoussante dès le début de la pièce.
En adoptant la posture du clown – un clown étrange, inquiétant, formidablement drôle et imprévisible mais parfois aussi touchant et mélancolique – nous nous situons à la fois dans le jusqu’au-boutisme shakespearien, dans la nuance du personnage et dans une originalité qui nous éloigne de l’interprétation canonique de Richard III.
L’art du clown est l’exercice de la totalité et de la richesse des gammes de jeu. A l’image du personnage de Richard III qui se lance à corps perdu dans toutes les actions qu’il entreprend, le clown joue entièrement sa partition, sans demi-mesure mais avec une infinité de possibilités. Ce choix correspond donc à l’esprit même de l’écriture – elle-même fondée sur une vision plutôt appuyée du personnage réel.
Le clown de Jean Lambert-wild, qu’il a développé depuis près d’une quinzaine d’années, porte un pyjama rayé qui souligne le somnambulisme de Richard III, cette façon de conduire la réalité comme s’il s’agissait d’un cauchemar. Son maquillage est blanc, comme il se doit, seuls deux points noirs sur le front annoncent la naissance de cornes infernales. Tout à la fois monstrueux et précieux, drôle et tragique, mélancolique et volontaire, le clown Richard nous tend le miroir des paradoxes inhérents à tout être humain.