La figure centrale de Richard III est le Roi Richard. Davantage que dans les pièces plus tardives de Shakespeare, le personnage principal occupe le devant de la scène. Les nombreux autres personnages composent les rouages nécessaires à la mécanique du pouvoir mise en œuvre par Richard. Que l’on considère Lady Anne, la Reine Elizabeth, le Roi Edouard, Clarence ou Buckingham, pour ne citer que les principaux, aucun d’eux n’est décrit – et de loin – aussi précisément ni de façon aussi complexe que le personnage principal. On peut même dire qu’il est difficile de savoir quelle volonté les guide, tant ils semblent animés comme des marionnettes par les ambitions de Richard III. La scène entre Lady Anne et Richard, où ce dernier parvient à la séduire contre toute attente alors qu’il vient de tuer son mari, en est l’exemple le plus parlant. Loin d’être une bizarrerie, la scène démontre que le pouvoir de fascination qu’exerce Richard dépasse la manipulation, le sadisme et la force de persuasion. Il y a une autre dimension chez Richard – presque d’ordre métaphysique – qui transforme ses interlocuteurs en poupées de chiffon.
Nous avons poussé la logique de la pièce à une extrémité. Plutôt que d’envisager une distribution forcément incomplète – Richard III compte une quarantaine de personnages – et afin de radicaliser le fait que les autres personnages n’existent que par Richard, nous avons pris le parti qu’ils soient tous interprétés par une seule actrice, Elodie Bordas. Cela fait sens dans la mesure où la dimension cauchemardesque et fantomatique de la pièce permet une telle contraction, les autres figures devenant pour Richard une obsession récurrente dont il ne parvient pas à sortir. Ce parti-pris renforce aussi l’aspect ludique de la pièce : Richard joue avec les autres ainsi qu’avec le public ; la deuxième actrice joue, de son côté, à passer d’un rôle à l’autre de façon presque instantanée, procurant au public un véritable plaisir de la performance. Enfin, l’idée de voir une actrice interpréter tous les rôles correspond aussi au dispositif scénique de la fête foraine, qui multiplie les astuces et les effets de magie.
Nous pensons que loin de dénaturer la pièce, cette distribution réduite peut y apporter un nouvel éclairage, à la fois radical, formidablement ludique et rendant hommage à la force du théâtre.