Le roi Edouard incarné par un mannequin en coucou suisse, manipulé avec des poulies ; les fils de la reine Elisabeth représentés par des bouches éveillées sur une roue avec stroboscope ; le prince Edouard et le duc d’York dont les visages animés sont projetés sur des barbes à papa bientôt dévorées.
Notre Richard III conjugue les techniques, des plus rudimentaires aux plus évoluées, pour faire surgir le spectre terrifiant de l’acteur roi qu’est Richard. Loin de faire de la technologie un nouvel enjeu de la pièce, où l’interaction de l’homme avec la machine serait un nouveau jeu de pouvoir, elle s’intègre aux lumières, à la scénographie et aux costumes pour cerner de toujours plus près le mythe de Richard. Du théâtre à l’italienne où le machiniste fait descendre des cintres les décors en toiles peintes, au mapping projetant des visages animés sur des ballons de baudruche, l’enjeu est le même : jouer de la grande machine du théâtre pour faire voyager le spectateur à travers un imaginaire.
Notre équipe artistique a fait le voyage à Austin, au Texas, pour collaborer avec les ingénieurs, les informaticiens et les étudiants associés au laboratoire artistique Future Perfect sur la création des fantômes de Richard. Si nous avons poussé la maitrise technique si loin, c’est bien pour s’en libérer, c’est-à-dire pour s’offrir une grande liberté de jeu et de ton renforçant l’illusion de la pièce. Puisque la question première est bien celle d’un duo devant interpréter la quarantaine de personnages composant le tourbillon de la pièce. Sous cette optique, les marionnettes vitalisées ne sont qu’une ficelle de plus que les acteurs activent pour donner vie à leurs rêves.
Si Richard III est ce souverain polymorphe, dont la puissance de jeu et l’excellence rhétorique lui permettent d’ajuster le monde à ses désirs, Jean Lambert-wild et Elodie Bordas sont ces grands enfants qui enrichissent leurs palettes des Deus ex machina d’hier et d’aujourd’hui pour faire surgir leurs songes terrifiants.
Cette truculente machine théâtrale est donc bien là pour mettre en valeur le jeu de l’acteur qui sait transformer tous les éléments de la scène pour le feu de ses visions, de même que Richard sait jouer de sa difformité pour faire surgir son univers terrible au sommet de l’Etat. Car au final, la plus grande des techniques est bien celle de l’acteur qui projette le timbre de sa voix à travers la salle, qui traverse des émotions paradoxales et qui fait de son masque le théâtre articulé des désirs du spectateur. Le détour technique, bien loin d’être une dispersion diluant les enjeux, nous ramène au plus près de l’humain, de la petitesse de son corps et de l’immensité de sa volonté.