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Notre projet Richard III – Loyaulté me lie, s’il a débuté dans un hôpital psychiatrique, a aussi commencé par un présage. Un de ces « hasards » de l’Histoire, qui revêt une importance toute particulière pour Jean Lambert-wild, et pour un spectacle qui le hante depuis plusieurs années. Et ce hasard est plus qu’étrange : celui de la concomitance entre la dépouille retrouvée du véritable Richard III à Leicester et notre décision de faire advenir ce spectacle, lors de cette année 2013.
Au fond qu’implique un tel événement pour notre travail, au delà d’une coïncidence fortuite? Une déferlante de confrontations identitaires dont nous mesurons l’ampleur au fur et à mesure des répétitions : Richard III, le héros shakespearien livré à sa dépouille historique ; l’usurpateur diabolique de la pièce de théâtre, face à son squelette déterré sous le macadam du parking d’un centre ville ; mais surtout, l’acteur confronté au cadavre du personnage dont il interprète la fiction. D’emblée, l’expérience a quelque chose de résolument métaphysique : l’acteur contemple les ossements du corps qu’il va incarner.
De là, l’effet de miroir est foudroyant, à nous en faire tourner la tête. Le duo de Jean Lambert-wild et Elodie Bordas qui incarne avec fureur la confrontation de Richard avec les autres et lui-même – ce « Myself upon Myself » – dévoile une mise en abyme encore plus large et totale : abîme des personnages, abîme de l’Histoire, abîme des acteurs eux-mêmes. Au bout du compte, on en arrive à se demander : qui usurpe qui ? Richard III tyran-usurpateur dans la fiction ? Shakespeare s’appropriant l’identité d’un homme historique ? L’acteur et son clown s’arrogeant le personnage de Richard ? Et pourquoi pas, l’acteur lui-même usurpé par son rôle ?
Finalement la scélératesse du roi Richard nous semble faire pendant à la scélératesse de l’acteur qui l’incarne, l’interprète, et celle de ce clown qui déforme et révèle. Jean Lambert-wild est allé se recueillir sur le cercueil du véritable Richard III pour le faire ensuite revivre sur scène et s’écrier en fin de course « Je suis un scélérat – non, je mens, je n’en suis pas un ! ».
De ces multiples dualités, de ces identités mouvantes, surgit l’éclatement du Moi. « Richard aime Richard, à savoir Moi et Moi ». Mais dans notre décor de carrousel qui se déploie, les images projetées de fantômes, de visages, d’ombres, où tout est travesti, n’ont plus aucun repère : « Alors fuyons. Quoi, me fuir moi-même ? Pour quelle raison,
De peur que je me venge ? Quoi, moi-même de moi-même ? ».
Une question initiale s’est posée à notre travail et résonne maintenant à chaque instant : « Que veut Richard ? ». Mais au fond, nous demandons-nous, comment « vouloir » encore quand le sujet agissant est dépossédé de lui-même, éclaté dans l’espace ?
«Ma conscience a mille langues différentes,
Et chaque langue raconte une histoire différente,
Et chaque histoire me condamne comme scélérat »