15 Mar

Carnet de bord # 24

Les élèves de Première de l’option spécialité théâtre ont suivi le parcours de création de la pièce « Richard III – Loyaulté me lie ». Ils ont ainsi été accueillis et impliqués par l’équipe du Théâtre de l’Union, en particulier Jean Lambert-wild, Christofhe Mourlon Caffin, ainsi que Zelda Bourquin, assistante en dramaturgie, dans un travail mené avec leur professeur Laëtitia Le Van.
Ils ont mené une double expérience : à la fois recevoir, mais aussi se faire à leur tour passeur d’expérience. En tant qu’observateurs, ils ont suivi divers processus créatifs, comme la lecture des carnets de bord du projet de la pièce, la présence à une répétition, des rencontres et échanges privilégiés avec Jean Lambert-wild, Claire Seguin, Gérald Garutti, Lorenzo Malaguerra, Jean-Pierre Han – critique et théoricien de la critique,… En tant qu' »acteurs », ils ont, entre autre, été les ambassadeurs du spectacle auprès des camarades des classes théâtre du lycée, joué et mis en scène dans les rues de Limoges des scènes de Shakespeare -dans un « Richard III express » ébouriffant- , interviewé Jean Lambert-wild et Claire Séguin pour le compte de Canopé et du Théâtre.
C’est d’ailleurs au cours de leur première rencontre avec le directeur du Théâtre de l’Union qu’une nouvelle mission leur a été confiée : prendre en charge trois épisodes des carnets de bord. Partir de leur expérience aura été le fil directeur de ces écrits dans lesquels modestement ils rendent compte d’un parcours vécu sur quatre mois.

1923

Répétition publique (2/3)

Le mercredi 16 décembre, nous avons assisté à une répétition publique au théâtre de L’Union. En arrivant nous nous sommes installés discrètement sur ces fameux fauteuils verts. Nous avons été surpris par le magnifique décor qui occupait entièrement la scène, c’était une façade très impressionnante, imposante, inattendue. Il ressemblait à un décor d’une ancienne fête foraine, de train fantôme, d’un château d’artiste, d’une rue de western… Certains d’entre nous y ont même vu des sortes de totems. Nous nous sommes imaginés alors comment les deux acteurs pourraient évoluer dans cet espace tout au long du spectacle. Nous nous sommes par la suite tournés vers les deux comédiens sur scène, Jean Lambert-wild et Elodie Bordas qui réalisaient une italienne.
Ils ont ensuite travaillé la scène où Élisabeth découvre que ses deux fils ont été tués par leur oncle Richard III. Elle suit celle où Richard III tire sur sa mère cachée de l’autre côté du rideau. Ils ont dû réfléchir avec les metteurs en scène où se trouverait le fusil avant qu’il ne le prenne et où il devrait le reposer : ils décident de le cacher dans le décor. Il tire donc trois fois, se retourne vers le public, sourit , se précipite pour sortir un siège de camping en tissu et s’assoit dessus en bord de scène. Le rideau de droite côté cour s’ouvre alors sur un stand de tir. On y découvre Élisabeth, la belle-sœur de Richard. Elle tient dans ses mains deux barbes à papa mangées et écrasées, qui représentent les cadavres de ses fils que Richard a fait assassiner. Elle s’en lamente et c’est à ce moment précis que Richard choisit de lui dire qu’il souhaite épouser sa fille.

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Nous assistons alors à un obstacle de mise en scène. Les deux metteurs en scène, Lorenzo Malaguerra et Gérald Garutti, n’étaient pas d’accord avec la proposition d’interprétation de Jean Lambert-wild. Lorenzo souhaitait qu’il le joue plus sensible, proche et manipulateur, la femme à qui il parlait étant effondrée à cause de la perte de ses enfants. Lambert-wild n’adhère pas à cette vision parce que cela créerait une énième scène de séduction comme avec celle de Lady Anne. Il veut donc le dire froidement, mécaniquement, sans émotion, car il considère que Richard III est le roi et n’a donc pas à faire d’efforts. Lui a le pouvoir et Élisabeth n’a qu’à obéir. L’atmosphère de travail devient tendue, ils n’arrivent pas à trouver un accord. Faut-il le jouer de façon formelle ou sincère ? Faut-il calmer le jeu, pour avoir un moment plus calme dans le spectacle ? Faut-il qu’on ressente une domination de Richard III? Nous nous sentions mal à l’aise d’assister à leur différend. Nous avions l’impression d’être témoin de leur intimité. Certains d’entre nous auraient aimé donner leur avis. D’autres constataient que les professionnels rencontraient les mêmes difficultés que les amateurs. Lambert-wild ne trouvait pas un mode de jeu qui convenait à son clown, il ne trouvait pas d’appui dans ses paroles. Impasse. Et recherche ardente.
Les deux acteurs se sont alors concertés pour proposer une autre version : se lever des sièges pour être moins statiques. Cette nouvelle façon de le jouer plus en mouvement a plu à tout le monde et l’ambiance s’est détendue. Ils ont même commencé à rire !

©Tristan Jeanne-Valès

©Tristan Jeanne-Valès

Nous avons dû attendre un mois pour voir le résultat final de cette répétition lors de la représentation.
La scène dans le spectacle avait été complètement modifiée. Nous l’avons vue sous un autre angle. Aussi bien visuellement que dans la visée de la scène. Plus de placements sur l’avant scène du plateau. Elisabeth apparaît sur le trône rouge qui surplombe le décor, symbolisant le pouvoir du roi. Elle a les jambes écartées, dénudées. Au lieu de garder les barbes à papas comme des poupons, elle les laisse tomber dans le vide avec désolation. Ses jambes écartées et dénudées peuvent être interprétées de plusieurs façons : soit elle veut être provocante, assez aguicheuse, soit cela représente le fait qu’elle vient d’être violentée, voire violée ; elle apparaît faible, épuisée, abandonnée et sans retenue. Cela nous rappelle l’acte d’accoucher ou peut-être une posture masculine pour dominer, face à Richard III. Quant à ce dernier, il n’a pas besoin d’être affectif ou séducteur pour la convaincre ; il est roi donc il considère qu’elle doit lui obéir. Certains d’entre nous ont apprécié cette idée de jouer avec le pouvoir et de découvrir cette nouvelle proposition d’espace, d’autres ont jugé que l’espace ne permettait pas d’exprimer la violence et l’agressivité du texte.
Nous avons pu mesurer à travers cette expérience l’importance de la mise en scène et de la recherche collective.

1925

Les marcassins de Richard III,
élèves de 1ere spécialité
théâtre du lycée Limosin

07 Mar

Carnet de bord # 23

Les élèves de Première de l’option spécialité théâtre ont suivi le parcours de création de la pièce « Richard III – Loyaulté me lie ». Ils ont ainsi été accueillis et impliqués par l’équipe du Théâtre de l’Union, en particulier Jean Lambert-wild, Christofhe Mourlon Caffin, ainsi que Zelda Bourquin, assistante en dramaturgie, dans un travail mené avec leur professeur Laëtitia Le Van.
Ils ont mené une double expérience : à la fois recevoir, mais aussi se faire à leur tour passeur d’expérience. En tant qu’observateurs, ils ont suivi divers processus créatifs, comme la lecture des carnets de bord du projet de la pièce, la présence à une répétition, des rencontres et échanges privilégiés avec Jean Lambert-wild, Claire Seguin, Gérald Garutti, Lorenzo Malaguerra, Jean-Pierre Han – critique et théoricien de la critique,… En tant qu' »acteurs », ils ont, entre autre, été les ambassadeurs du spectacle auprès des camarades des classes théâtre du lycée, joué et mis en scène dans les rues de Limoges des scènes de Shakespeare -dans un « Richard III express » ébouriffant- , interviewé Jean Lambert-wild et Claire Séguin pour le compte de Canopé et du Théâtre.
C’est d’ailleurs au cours de leur première rencontre avec le directeur du Théâtre de l’Union qu’une nouvelle mission leur a été confiée : prendre en charge trois épisodes des carnets de bord. Partir de leur expérience aura été le fil directeur de ces écrits dans lesquels modestement ils rendent compte d’un parcours vécu sur quatre mois.

Première rencontre avec Jean Lambert-wild (1/3)

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Le jeudi 05 novembre 2015 correspondait à la rencontre inaugurale du projet Richard III. Et comment dire , ce fut un moment assez… impressionnant.

Tout d’abord, Zelda Bourquin, assistante en dramaturgie dans la compagnie C(h)aractère, et Christofhe Mourlon Caffin se sont chargés de nous accueillir, nous renommant de suite «les marcassins» (en référence à l’emblème du sanglier de Richard III dans la pièce.). Une ambiance détendue régnait et nous prîmes connaissance des informations concernant ce projet haut en couleurs autour d’une tasse de café (ou d’un verre d’eau pour les non-accrocs à la caféine…). Bref, de quoi nous mettre en confiance.

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Puis vint la fameuse rencontre avec le grand, le fameux, le fabuleux… D’accord, calmons-nous. Nous avons donc fait la connaissance de Jean Lambert-wild. Nous, lycéens, simple classe de théâtre, nous nous sommes retrouvés devant le directeur du Théâtre de l’Union, et qui plus est, un acteur accompli. Inutile de vous dire que nous nous sommes probablement tous sentis minuscules à ce moment précis : nous, petits marcassins, face au « sanglier » comme il se définit lui-même !

Disons que Jean Lambert-wild, ce n’est pas n’importe qui. C’est un grand personnage, tout de même. Alors, forcément, nous, nous étions intimidés et à la fois fascinés par la prestance d’une telle personne, par la passion qu’il nous transmettait avec énergie et enthousiasme sur le plateau. Doté d’une sorte de détachement et de grande présence dans la voix, d’un sérieux incroyable, d’une force oratrice, et d’une culture impressionnante, Jean Lambert-wild nous aura intrigués, et surtout, ne nous aura pas laissés indifférents. La limite entre l’homme et son personnage du clown pouvait être quelque peu troublante car certains ne sont pas parvenus à savoir si nous avions l’honneur d’être face au clown de Jean Lambert-wild, ou bien réellement devant le directeur du théâtre.

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« Le plus dur dans la vie, ce n’est pas de penser, c’est d’exprimer sa pensée. »

Voici la phrase qui nous a le plus marqués durant cette rencontre avec lui. On peut en effet penser des choses, mais il est difficile de les partager, de les communiquer. Or, c’est là l’intérêt d’un tel exercice. S’exprimer. Réflexion profonde et complexe à la hauteur du personnage que nous avons rencontré.
Jean Lambert-wild, ce sanglier « Sauvage », nous a transmis son énergie, l’exigence du mot précis (l’existence du mot « prolégomènes » par exemple) Il nous a surtout donné l’opportunité de faire partie de ce projet et « d’exprimer notre pensée ». Et nous devons dire que c’est un véritable honneur et un beau privilège d’être associés à cette aventure.

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Les élèves de 1ère spécialité théâtre du Lycée Limosin

Retrouvez les entretiens réalisés par les élèves de 1ère spécialité théâtre du Lycée Léonard Limosin sur le site de theatre-contemporain.net :
http://www.theatre-video.net/videos/spectacle/Richard-III-Loyaulte-me-lie

> Un dossier pédagogique en ligne «Pièce (dé)montée» du Réseau Canopé accompagne ce spectacle :
http://crdp.ac-paris.fr/piece-demontee/piece/index.php?id=richardIII-wild

18 Déc

Carnet de bord # 22

Le Carrousel de Richard

Décor traits

Il est un troisième personnage dont on a peu parlé jusqu’à présent. Personnage bien matériel pourtant et toujours présent : le décor. Celui imaginé pour ce spectacle est conçu comme une véritable machine à jouer, permettant une très grande variété de possibilités de jeu, de placement, d’amusement et de surprises.

Castelet centre

Le décor de Richard III – Loyaulté me lie est inspiré du clown de Jean Lambert-wild. On imagine mal ce clown évoluant au sein d’un décor classique, d’un château ou d’un univers totalement réaliste. Et puis Shakespeare résiste beaucoup à l’esprit de sérieux, même dans ses pièces les plus tragiques. Il existe toujours une scène de formidable drôlerie qui succède ou précède le meurtre le plus ignoble. Il était pour nous absolument essentiel de mettre le décor à la fois au diapason du clown et à ce que raconte la pièce. Nous l’avons donc placé au centre d’une façade de carrousel salon– à l’image d’un train fantôme ou d’un palais du rire – du même type que ceux qu’on peut encore trouver aujourd’hui dans les fêtes foraines itinérantes. Il est également fortement inspiré du dispositif élisabéthain qui permet aux acteurs d’intégrer le public dans les situations jouées. Dans ce théâtre-là, le quatrième mur n’existe pas et il est absolument fondamental que le décor « pousse » les acteurs vers le public plutôt que de les en éloigner.

Ce carrousel infernal dessiné par Stéphane Blanquet est un véritable partenaire de jeu pour les acteurs car il est successivement agi et subi par eux. Nous ne dévoilerons pas ici les multiples machineries et effets prévus dans le spectacle mais il est clair que ce va-et-vient offre des situations très diverses ainsi que de multiples surprises pour les acteurs et pour le public. Une autre caractéristique du décor de ce spectacle est qu’il emploie à la fois des techniques très classiques (jeux de rideau, transformations mécaniques, changements rapides) et actuelles (projections, travail élaboré du son, effets spéciaux).

Cette rencontre entre techniques classiques et actuelles crée un choc étrange qui humanise les effets numériques et décale des effets théâtraux connus. L’enjeu de tout décor est sans doute celui-ci : comment lier le passé de l’écriture au présent de la représentation ? La réponse à apporter à cette question se situe au-delà du problème de la transposition, toujours réductrice et souvent peu convaincante.

Notre réponse s’est voulue imaginative, liée au jeu, amusante, pragmatique et belle. Du moins, nous l’espérons !

12 Déc

Carnet de bord # 21

Répétition et variation (3/3)

©Tristan Jeanne-Valès

©Tristan Jeanne-Valès

À la manière des grands explorateurs, nous armons désormais le plateau tel un navire pour un long voyage. Les cartes sont à bord, l’équipage est au complet, nous devons à présent préparer les manoeuvres et la coordination de celles-ci afin d’être prêts à affronter l’inconnu.
Préparer le corps, répéter le mouvement, et le répéter encore pour que chaque instant soit nourri par la symbiose nécessaire à la magie de l’ensemble.
Cependant, il faut beaucoup de patience pour l’apprentissage du geste, c’est une rééducation complète du corps que nous devons opérer. Chaque corps est marqué par ses propres habitudes, sa respiration, son histoire, et nous devons lui permettre de trouver des points d’appui et de ruptures pour que les mouvements les plus inhabituels deviennent les plus naturels.
Comment travailler « ce bras flétri tel un rameau pourri? » Comment faire dire à chaque geste l’enjeu de chaque instant? Comment accorder notre respiration à celle de chaque personnage? Nous façonnons nos corps comme des artisans qui, parce qu’ils le reproduisent mille fois, parviennent enfin à effectuer les gestes les plus complexes très naturellement.

©Tristan Jeanne-Valès

©Tristan Jeanne-Valès

Tous les personnages que doit interpréter Elodie Bordas sont une multitude de caractères et de variations subtiles, tant dans la voix et l’intonation que dans le corps et ses articulations. Le clown de Jean Lambert-wild doit quant à lui travailler le personnage de Richard III et tous les subterfuges que cela implique. Tous deux répètent le geste, rigoureusement, jusqu’à l’infini, jusqu’à ce que la répétition elle-même transforme leur corps. Leurs corps acquièrent alors des réflexes étranges qui ajustent leur énergie à l’enjeu de l’interprétation.

©Tristan Jeanne-Valès

©Tristan Jeanne-Valès

Avec le mouvement vient la question des scènes et des enchaînements : nous devons créer l’illusion qu’un acteur disparu à un endroit puisse réapparaître instantanément ailleurs dans le corps d’un autre personnage, faire en sorte que ces apparitions et disparitions ne l’empêchent pas d’attaquer la scène suivante avec un regain d’énergie encore plus fort. Nous devons travailler notre respiration pour ne pas nous essouffler inutilement et distribuer notre énergie intelligemment pour donner l’intensité maximale de concentration à chaque scène tout en ayant l’endurance qu’exige deux heures de spectacle portées par deux acteurs.

Mais la répétition du mouvement n’est pas seulement la répétition de l’acteur, c’est le navire entier qui doit prendre la mer et l’équipage dans son ensemble est impliqué dans la manoeuvre. C’est une question de rythme et de temps qui s’associent et qui doivent savoir se conjuguer en toutes circonstances.
Ainsi le geste du régisseur est primordial, chaque mouvement de décor, chaque ouverture de rideau, chaque changement de costume, chaque lumière, chaque note de musique doit s’accorder avec ce qui se joue, doit trouver le rythme de l’ensemble, la chaleur d’une intensité, la respiration d’une couleur, la profondeur d’une matière, et pour cela il doit faire des essais, et rater, et essayer encore jusqu’à trouver la justesse qui nous unit.

©Tristan Jeanne-Valès

©Tristan Jeanne-Valès

Car une fois le navire lancé en pleine mer – à l’image de la représentation où il n’y a plus de retour en arrière possible – les automatismes de l’équipage sont essentiels pour affronter le grand large : le public, les Théâtres différents, les petites dépressions de l’acteur, les problèmes techniques, les pannes de texte, les embruns qui font perdre la voix, les critiques. Tous ces éléments, identifiables et pourtant imprévisibles dans leur déclenchement et leur intensité, appartiennent au spectacle vivant comme la météorologie, les hauts fonds et l’état des courants marins déterminent le trajet du navire.

©Tristan Jeanne-Valès

©Tristan Jeanne-Valès

04 Déc

Carnet de bord # 20

Répétition et variation (2/3)

©Tristan Jeanne-Valès

©Tristan Jeanne-Valès

Parmi tous les tentacules qui composent notre Richard III, les acteurs Elodie Bordas et Jean Lambert-wild doivent faire du texte retraduit par Gérald Garutti l’ossature de tous leurs mouvements, mouvements de l’intime, du secret, de l’oublié, du commun, du tien, du sien, du nôtre, mouvements des pieds, des mains, d’une lèvre, d’un regard, d’un tout, d’un rien, mouvements d’un doute qui fait cœur de tout, agitations d’une lumière qui cherche dans le remous des ombres ce qui donnera sens à sa présence.

©Tristan Jeanne-Valès

©Tristan Jeanne-Valès

La phase d’apprentissage d’un tel chef-d’oeuvre, n’est pas la partie la plus anodine. Il ne s’agit pas simplement d’un rébarbatif exercice de mémoire qui ordonnerait des mots pour être entendus et compris. C’est un véritable parcours de construction de l’acteur qu’il faut entreprendre. Il faut que l’acteur accepte de se féconder de mots, qu’il accepte de voir naître en lui des bulles de mystère et d’évidence qui telles des fœtus en formation, seront en évolution constante jusqu’à former un autre corps en enveloppe d’un corps qui lui est habité par héritage des joies hasardeuses de quelques ascendants.
Mais ce n’est pas tout, il faut aussi se donner la réplique, se retrouver et s’unir dans cette fureur des mots, pour qu’à cette première enveloppe, construite dans des radotements gazeux, se substitue une deuxième enveloppe, construite par le choc des particules enragées d’une double disparition assumée, celle-ci faite au profit d’une union où l’un et l’autre deviennent l’identité partagée de l’un comme de l’autre.

Et il faut le répéter et le répéter encore. Et se le dire encore et se le redire encore, sans peur de se dire, car chaque scène doit être dite, chaque mot doit être dit, chaque syllabe doit être dite, chaque lettre doit être dite. Dire en répétition d’un dire qui ne se fixe qu’aux vagues muettes des émotions que nous taisons. Et alors dire et redire encore, mastiquer, ruminer, redire encore et encore, dire jusqu’à ce que le corps tout entier s’abandonne et devienne le pâturage, la forêt, le ruisseau, la combe de la langue de Shakespeare.

©Tristan Jeanne-Valès

©Tristan Jeanne-Valès

Acteurs ! Mangez les mots ! Soyez les cannibales de leurs sons, de leurs sens ! Digérez-les ! Faites disparaître votre chair dans la chair enfin apparue d’un verbe !

Dans ce travail d’apprentissage et d’anthropophage, les acteurs se nourrissent évidemment aussi des personnages. Mais au fur et à mesure qu’ils avancent à leur rencontre, les personnages eux-mêmes commencent à s’installer dans le corps des acteurs, tâtant leur squelette, testant leur résistance, jour après jour, naviguant dans chaque veine, faisant vibrer chaque muscle de leur corps, leur hérissant l’épiderme de la tête jusqu’à pointe des pieds.

À force de travailler, et de répéter, il arrive que les acteurs soient parfois surpris eux-mêmes par la puissance de leurs personnages et ne parviennent que très difficilement à les contrôler. Lorsque nous voyons cette complicité naître entre les acteurs et les figures imaginaires d’un texte, nous commençons alors à nous demander si ce sont les acteurs qui s’emparent du texte ou bien le texte qui s’empare des acteurs ! Pouvoir assister jour après jour à ce processus est une aventure formidable.

RICHARD III - LOYAULTÉ ME LIE

Bien sûr, le résultat manifeste n’arrive pas d’un coup, tout seul, sur un claquement de doigts et nous pouvons parfois terminer de longues journées de répétitions avec un résultat latent et complètement invisible à l’échelle quotidienne. Mais nous nous retrouvons le lendemain, puis le surlendemain et ainsi de suite, de lendemains en lendemains, continuant à refaire, à redire en milles variations ce qui doit être dit et fait en une seule et même action.

Cette longue phase de ressassements aveugles du texte, où nous serinons sans cesse, tels des oiseaux fous, la complainte de Richard, est essentielle. C’est à cette condition, et à cette condition seulement, que, peu à peu, nous parviendrons à devenir transparents pour laisser entrevoir dans nos entrailles cet autre que nous-même logeant désormais en nous-même.

©Tristan Jeanne-Valès

©Tristan Jeanne-Valès

27 Nov

Carnet de bord # 19

Répétition et variation (1/3)

©Tristan Jeanne-Valès

©Tristan Jeanne-Valès

La répétition est un rituel. A l’image du nageur qui répète inlassablement les mêmes gestes afin de toujours mieux les préciser, afin de ne plus avoir à y penser, afin d’inscrire une mémoire dans son corps, l’acteur répète. Il répète un texte car en général l’acteur parle. Et le travail de la mémoire du texte n’est pas le moins difficile : les acteurs n’ont pas de facilité particulière à apprendre, contrairement aux idées reçues. Le cauchemar sans doute commun à tous ceux qui montent sur un plateau est le noir total, l’absence de son sortant de la bouche, le cerveau vide. Ingmar Bergman en avait même fait le point de départ de son film Persona, Liv Ullman s’interrompant au milieu d’Electre pour ne plus jamais parler.

©Tristan Jeanne-Valès

©Tristan Jeanne-Valès

Répéter son texte donc pour ne plus avoir à y penser, pour avoir le plaisir étrange de le découvrir au fur et à mesure que les mots se forment sur les lèvres. La répétition a ceci de paradoxal qu’elle offre davantage de liberté que la chimère de l’improvisation, de l’invention sur le moment. Tentez un jour d’improviser du Shakespeare, du Beckett ou du Koltès, vous vous y reconnaîtrez piètre écrivain et on vous y verra mauvais acteur. Cela arrive, parfois.

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La répétition n’est donc pas un terme galvaudé, il faut répéter inlassablement la même chose, repasser mille fois par le même chemin pour en connaître tous les contours, même dans l’obscurité des projecteurs. Avez-vous déjà vu le skieur au sommet de la pente tracer avec sa main les contours de la piste ? Certains acteurs tapis au fond de leurs loges en font de même et il n’est pas rare d’observer alors comme une espèce de prière secrète, une gestuelle muette et kabbalistique, un condensé de toutes les semaines de répétitions où l’acteur a lentement construit son parcours, sa descente à tombeaux ouverts.

©Tristan Jeanne-Valès

©Tristan Jeanne-Valès

La répétition porte en elle beaucoup de lenteur. Un spectateur égaré qui ouvre la porte d’une répétition en ressort souvent déçu, quoique impressionné aussi par le travail de méticulosité qu’il y voit. Chaque répétition est différente, nous dira-t-on, chaque metteur en scène et chaque acteur a sa façon de travailler. Oui. Mais en même temps, la répétition ne peut être qu’une recherche, celle du geste juste, du ton juste, de l’émotion juste. Sans parler de l’intensité ni de la couleur de la lumière, de la coupe du costume et de son adéquation à la scénographie, du mécanisme défaillant d’un élément du décor, d’un maquillage abîmé par la sueur, de toute une foule de petits détails qui pour s’agencer dans l’harmonie de la représentation se font remarquer l’un après l’autre dans le travail de la répétition.
Du rituel de la répétition à la répétition du rituel meurtrier si cher à Richard, il existe une correspondance toute shakespearienne qui donne une saveur particulière à ce que signifie répéter Richard III.

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20 Nov

Carnet de bord # 18

Spectres et fantômes (3/3)

©Tristan Jeanne-Valès

©Tristan Jeanne-Valès

« N’approchez pas des acteurs. A la loupe de leur peau des fantômes frottent leurs entrailles, laissant un ange de musc et d ‘églantine qui embaumerait vos yeux de l’odyssée des choses rêvées. »

« Au siège de nos yeux, l’acteur laisse les morts enterrer les morts. Nous offrant, pour chacun d’eux, les signes et les syllabes qui imprimaient leur vie. Ces cacheux craillent au cœur des hommes l’inconnu des hommes. »

Jean Lambert-wild, Demain le théâtre, éd. Les solitaires intempestifs 2009

©Tristan Jeanne-Valès

©Tristan Jeanne-Valès

L’écoute attentive des signes et des fantômes est omniprésente dans le travail de Jean Lambert-wild, et chaque fois ceux-ci savent malignement s’organiser et se manifester aux moments opportuns.
A l’entendre, son clown est un hôtel à fantômes. C’est tout un bestiaire imaginaire qui loge en lui. Il est compagnon des Néphélyns, le cousin des Loas, le frère des mânes irrités. Il aime à converser avec les invisibles. Il s’amuse à jeter du sel par dessus son épaule pour figer l’ombre des mauvais esprits. Il cultive un potager de petitsfarfadets, dont il récolte les larmes, les rires, les colères, les amours et les mélancolies muettes. Il fait moisson d’émotions aussi mystérieuses que déraisonnables. C’est parfois tragiquement ridicule, mais souvent tendrement drôle.

©Tristan Jeanne-Valès

©Tristan Jeanne-Valès

Cette macération longue de la substance d’un acteur avec les aromatiques étranges d’un monde magique est une officine qui n’est pas sans conséquence. Ce clown ne peut, par exemple, monter sur scène sans son pyjama. C’est le vêtement magique qui accueille ces locataires invisibles que Jean nomme, par contraction dyslexique,ses « locateurs ». Gérald Garutti et Lorenzo Malaguerra durent l’accepter avec bienveillance. Leurs tentations de tailleurs furent vite battues en brèche par les regards aussi désarmés que courroucés d’un clown dont les emblèmes et le respect des attributs sont les conditions de résonnance de sa voix et les prérequis de l’interprétation de son existence. Comme le dit Richard dans l’une de ses tirades, les joies et les fureurs du jeu de ce clown ne peuvent exister sans «cette vieille loque de bric et de broc».
Et finalement, nous nous sommes tous persuadés, lorsque nous avons vu Elodie Bordas marier ses fantômes à ceux de Jean, qu’il est indispensable d’accepter la conversation des fantômes pour pouvoir interpréter Shakespeare.

©Tristan Jeanne-Valès

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Ce que nous nommons hasard, destin ou encore bonne étoile n’est bien souvent que le fruit de notre capacité à entendre des signes et à les accepter. Arrive un moment, ou pour avancer plus loin que soi, il faut faire confiance aux conversations souterraines qui guident nos pas vers des êtres espérés, vers des « encore » qui postulent la présence d’un plus que soi, vers des charmes amicaux qui libèrent les mots, vers des évidences masquées qui renforcent notre raison d’une intensité de vivre déraisonnable. Un vivre qui par ce qu’il n’est plus celui de l’acteur, peut devenir celui du spectateur.
C’est ainsi, à la fin de l’année 2012, lorsque nous décidâmes de monter Richard III de William Shakespeare, que nous apprîmes que la dépouille de Richard III venait d’être retrouvée lors de fouilles sous un parking à Leicester. Nous avons suivi avec beaucoup d’attention la suite des événements entre sa découverte en septembre 2012 et son inhumation en mars 2015. Cette découverte, près de 5 siècles après le décès de Richard III fut un signe important qui démultiplia notre volonté de monter ce chef-d’oeuvre de William Shakespeare, et aussi incrédule que cela puisse paraître, nous nous sommes amusés encore plus de tout cela lorsque Jean eut appris de source sûre par sa mère que les hasards de la généalogie voulait que ce Roi Richard soit son lointain cousin.

©Tristan Jeanne-Valès

©Tristan Jeanne-Valès

De là encore, un jeu avec les fantômes qui nous permettra peut-être de faire coexister les derniers mots tragiques prononcés avant de mourir par le roi Richard de Shakespeare aux images que nous fûmes autorisés de tourner lors de l’enterrement de l’authentique roi Richard, où par dévotion magique et familiale, Jean et sa mère se rendirent pour porter un dernier hommage respectueux à leur ancêtre étrangement réapparu.

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13 Nov

Carnet de bord # 17

Spectres et fantômes (2/3)

©Tristan Jeanne-Valès

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L’âge d’or du théâtre élisabéthain est profondément marqué par la découverte de la sorcellerie, et des premières études de démonologie. A cette époque, la représentation des spectres au théâtre est une affaire sérieuse qui véhicule la fascination de tous et sert d’exutoire aux peurs profondes du peuple anglais. Dans la pièce de Richard III, les revenants tiennent une place cruciale. Ils sont le point de bascule de l’intrigue, la clef de voûte invisible et sournoise qui élève la tragédie et lui offre sa puissance poétique et ses accents mélancoliques. La fameuse scène des spectres en est son acmé. Ces spectres qui à tour de rôle viennent au chevet de Richard pour le réprimander et le maudire permettent aux personnages disparus de retrouver la parole ainsi qu’une réparation de leur personne dans un rituel expiatoire de justice. Dès lors, en créant le cheminement d’une fable allant de l’énonciation des malédictions jusqu’à leur réalisation, Shakespeare fait de toutes les ombres rodant autour de Richard un fantôme plus cruel que Richard.

©Tristan Jeanne-Valès

©Tristan Jeanne-Valès

« Je n’ai plus qu’à désespérer. Pas une créature ne m’aime,
Et si je meurs, pas une âme n’aura pitié de moi.
Eh, pourquoi en aurait-on, puisque moi-même
Je ne trouve en moi-même aucune pitié pour moi-même ?
Il m’a semblé que les âmes de tous ceux que j’avais assassinés
Venaient à ma tente, et que chacun d’eux fulminait
La vengeance de demain sur la tête de Richard.»

Dans le théâtre classique français les fantômes et autres revenants restent assez rares, cela est sans doute dû a un excès de cartésianisme ou à une transmutation des fantômes dans la magie des mots. C’est un particularisme hexagonal qui n’est pas sans conséquence, car partout ailleurs dans le monde, les démons, esprits, ombres, yokaï, monstres, sorcières, invisibles, lémures et autres esprits malins hantent et font le théâtre. Dans tout cela, rien de bien extraordinaire puisque le théâtre est ce lieu où les morts conversent avec les vivants. Ce temps où par le lien magique d’une réplique un mort peut s’inviter à une table et battre le rappel du monde au-delà des frontières de notre petite réalité. Car c’est là l’une des fonctions principales des revenants au théâtre que de réveiller les vivants à une conscience augmentée d’eux-mêmes, du monde et du temps.

©Tristan Jeanne-Valès

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Se pose alors la question de la représentation de ces spectres et des moyens disponibles à l’illusion scénique de cette présence outre-monde. Il est toujours difficile d’en faire la représentation sur un plateau. Comment peut-on représenter l’impalpable? Comment incarner l’impossible ? Comment faire entendre le gouffre des lamentations silencieuses ? Comment dessiner une dramaturgie de l’invisible qui répondrait au visible ? Comment faire sonner les croyances et les peurs les plus intimes de l’homme ? De nombreux artifices de mise en scène sont nés de cette problématique. Le théâtre élisabéthain pouvait difficilement se permettre de construire des décors complexes, avec des entresorts sophistiqués. Mais en revanche, les costumes, les accessoires et l’ingéniosité des machinistes permirent de donner vie à ces fantômes. Tout d’abord par la voix portée depuis les coulisses ou déformée à l’aide de tôles métalliques pour donner l’illusion de voix d’outre-tombe, puis par le corps, le maquillage, les masques de démons ou encore les costumes brûlés ou déchirés. Ce défi de la représentation d’un invisible actant et parlant a toujours évolué au gré des époques. Les fantasmagories de Robertson, ou le système de catoptrique d’Henri Dirk ou encore le décapité parlant du colonel Stodare en sont des développements fameux, tout comme les photographies dites « spirites » qui au moyen de la double exposition faisaient apparaître des fantômes visibles sur les clichés.
De même aujourd’hui, les systèmes numériques avec la vidéo 3D et les hologrammes ne sont que la continuité de cette quête perpétuelle qui permet de donner l’espace d’un instant l’apparition de « preuves » de sensations impalpables.
C’est une histoire de la scénographie que Jean Lambert-wild et tous ses associés explorent de spectacle en spectacle et qui trouve dans la scénographie de Richard III – Loyaulté me lie de nouveaux chapitres dont l’un se cache peut-être dans le pyjama de son clown.

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06 Nov

Carnet de bord # 16

Spectres et fantômes (1/3)

« L’enfer est vide, tous les démons sont ici. »
La Tempête, William Shakespeare

©Tristan Jeanne-Valès

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A l’époque de Shakespeare, les spectres, les démons et les esprits font partie des débats au plus haut niveau de la société. Jacques Ier, le successeur de la Reine Elisabeth, s’était ainsi fait l’auteur d’un traité de démonologie juste après l’écriture d’Hamlet. La question n’était alors pas de savoir si ces êtres existaient ou pas mais de bien définir leurs natures diverses et forcément mouvantes. Comment les reconnaître ? Comment les distinguer les uns des autres ? Un spectre est-il toujours un démon ou est-il l’incarnation d’une âme perdue en plein purgatoire ? Selon que l’on fût catholique ou protestant, les réponses à ces questions changeaient du tout au tout.

©Tristan Jeanne-Valès

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On comprend alors aisément que Shakespeare, en prise totale avec son époque, n’était pas étranger à la problématique. En intégrant des spectres dans un grand nombre de ses pièces, il ne devait pas surprendre le spectateur, l’épouvanter par contre, certainement, puisqu’il y croyait. Cette effrayante normalité du spectre enrichit de façon spectaculaire le lien entre le monde des vivants et celui des morts en y introduisant un univers intermédiaire, celui des « ni vivants ni morts » mais pourtant bien présents.

©Tristan Jeanne-Valès

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Au fond chez Shakespeare, tuer ne suffit pas, encore faudrait-il se débarrasser des âmes, chose évidemment impossible, même pour les plus vils et les plus retors de ses personnages. Richard III en sait quelque chose, lui qui subit une nuit de terreur en compagnie de toutes ses victimes avant de succomber à son tour sur le champ de bataille. Une des caractéristiques intéressantes de la présence des spectres dans l’écriture de Shakespeare réside dans le fait qu’ils apparaissent à chaque fois lors d’époques troublées, des périodes de changement profond ou alors quand un personnage acculé par le poids des événements manque de glisser vers la folie. Il n’y a pas de spectres heureux ni de fantômes de pacotille. Leur apparition est toujours dramatique – voire fatale – pour le personnage qui a le malheur de les rencontrer. L’exemple le plus célèbre est sans conteste Hamlet, pour qui l’apparition du fantôme de son père se transforme en une impossibilité mortelle à obéir à ses injonctions. Tout comme sont entrelacés la comédie et la tragédie, le dialogue et le monologue, le brut et le sacré, la violence et la douceur, les morts et les vivants cohabitent dans le théâtre de Shakespeare. Plus que cela même : ils existent au même degré de réalité, créant ainsi une étrangeté, un inquiétant mystère dont seul l’art du théâtre est capable de rendre compte.

30 Oct

Carnet de bord # 15

Emblème et devise (2/2)

Symbole de force et de bravoure, le sanglier blanc a été pris comme emblème par Richard, duc de Gloucester, alors que ses frères Edouard IV et George, duc de Clarence ont respectivement choisi le lion blanc et le taureau noir.
Le sanglier bleu faisait déjà partie des nombreux emblèmes d’animaux du Roi Edward III, trisaïeul de Richard, et dernier patriarche Plantagenêt des maisons d’York et de Lancastre. Richard III a conservé ce symbole, mais les lois de l’héraldique l’obligèrent à avoir sa propre couleur, ce qui lui fit passer du sanglier d’azur (bleu) au sanglier d’argent (blanc).
Quelques rumeurs disent aussi que le choix du sanglier, « boar » en anglais viendrait d’un jeu de mots avec Eboracum, nom latin de l’ancienne cité romaine, devenue York par la suite.

Quelles que soient les raisons qui aient orienté Richard dans son choix, le sanglier était un symbole merveilleusement approprié car Richard était aussi courageux et volontaire que la bête elle-même. Tout au long de sa vie, Richard fut en effet un militaire vaillant et un chef résolu.
Le sanglier blanc de Richard est également connu pour avoir été massivement distribué sous forme de badge lors de l’intronisation de Richard en 1483. En effet, la guerre des Deux-Roses étant aussi une guerre des signes, à des fins de propagande, il avait fait faire 13000 badges en tissu de futaine qui devaient être distribués à ses partisans. Les autres badges en métaux précieux étaient destinés à des personnes de statut supérieur, ducs et notables, en reconnaissance de leur fidèle soutien.
Nous avons repris cette emblème à quelques endroits dans le décor mais surtout sur les motifs ornant l’armure en porcelaine dessinée et peinte à la main par Stéphane Blanquet puis sculptée par Christian Couty et enfin cuite grâce au concours de la Manufacture de porcelaine de Limoges.

Sur cette armure, composée d’un brassard complet pour le bras gauche comprenant canon d’avant-bras, cubitière, canon d’arrière-bras et épaulière ; puis pour la poitrine et l’abdomen d’un plastron et d’une pansière ; et enfin pour la jambe droite d’une tassette, d’un cuissard, d’une genouillère et d’une grève, on retrouve donc plusieurs des emblèmes de Richard III : Le sanglier blanc, le faucon au visage de vierge tenant une rose blanche, le soleil étincellant et bien-sûr la rose blanche des Yorks.
Cette rose blanche dessinée à plusieurs reprises sur l’épaulière et le cuissard de l’armure a été prise comme emblème au XIVes par Edmond de Langley, 1er duc d’York, fils cadet de la Maison Plantagenêt, le blanc étant le symbole de la lumière, caractérisant l’innocence, la pureté, la joie et la gloire. Durant la guerre dite des roses, la rose blanche des York fut opposée à la rose rouge de la branche Lancastre, issue de Jean de Gand, frère aîné d’Edmond de Langley. L’issue de cette guerre de trente ans, a été marquée par la défaite de Richard III face à Henry VII qui épousa Elisabeth d’York et réunifia ainsi les deux branches avec la rose bicolore de la dynastie Tudor.

©Tristan Jeanne-Valès

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La devise « Loyaulté me lie » et les emblèmes de Richard III ont acquis une place très importante dans notre processus de création. Ils furent des signes posés sur quelques éléments de costumes, d’accessoires ou de décors. Mais plus important, ils constituent des guides pour l’interprétation conduite par Jean Lambert-wild et Elodie Bordas. Car comment allier le blanc sanglier au parfum de la rose ? Comment faire du visage de Richard, dans ses moments de fureur, une hure de sanglier, toujours aux aguets, toujours décidé à charger, l’écume aux lèvres, les pieds en garde et les broches en avant ! Un cœur sauvage, au verbe enragé de sang, qui voudrait faire du trône sa souille mais qui perdrait par instant toute sa férocité et se retrouverait gauche, assommé par le parfum délicat d’une rose qui d’une épine pourrait l’endormir ou d’un souffle pourrait l’abattre. Alors chaque jour VLA-AU ! Il nous faut monter sur scène sans rechigner en nasillant au cri poussé par ces veneurs que sont Lorenzo Malaguerra et Gerald Garutti, car pour Richard, comme pour tout bon sanglier, c’est forcer le passage ou mourir qu’il faut.

©Tristan Jeanne-Valès

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