C’est un camion blanc qu’on ne remarque presque pas, mais que les « habitués » ne manqueraient pour rien au monde. Le petit camion blanc de la Croix Rouge « Echirolles » parcourt les rues de Grenoble entre 20h et minuit le lundi et le mardi.
Cela s’appelle faire « la maraude » : aller à la rencontre des gens de la rue, ceux qui dorment dehors ou dans des abris de fortune, quelques uns dans des squats, dépendants du bol de soupe chaude que distribuent les volontaires de la Croix Rouge.
Dans le local à Echirolles avant de partir en maraude
Ce mardi soir, rien ne se passe comme prévu. Françoise, la responsable de la maraude, arrive au local de la Croix Rouge à Echirolles en retard. Elle a passé beaucoup de temps à discuter avec ses responsables départementaux. En fin d’après-midi, la Préfecture de l’Isère a réquisitionné un local à Eybens et a demandé à la Croix Rouge d’organiser l’hébergement d’urgence en toute hâte. Il a fallu réagir au mieux, et compter avec un des camions en panne. Résultat, une demi-heure de retard. Rien de grave à priori, mais pour qui connait les habitudes des sans-abri, un vrai problème concret car les « habitués » vont s’impatienter, voire s’inquiéter depuis leurs abris.
La soupe chauffe sur la cuisinière, on trie les bananes et les mandarines offertes par une grande surface du coin, on tente de joindre les boulangeries partenaires qui d’ordinaire offrent leurs invendus. Ce soir, pas de chance, une des enseignes ne donnera rien, faute de stock. Plus tard, deux autres boulangeries artisanales offriront des pains de toutes formes, des brioches, comme si le geste était parfaitement naturel.
C’est Françoise qui prépare la soupe…
…alors qu’ Aziz veille au chargement du camion
Une parole pour chacun, du pain pour tous
Le temps d’organiser le camion, l’équipage se rend à son premier point fixe de la soirée, proche du Musée de Grenoble. Trois polonais parlant quelques mots d’anglais sortent d’on ne sait où à peine le camion blanc arrivé sur place. Françoise note leurs prénoms tandis qu’Aziz et sa co-équipière offrent pain et boissons chaudes. Noël, au prénom prédestiné, tient le rôle du chauffeur et s’efforce à chaque rencontre de placer une parole réconfortante. Pas de pitié, pas de d’apitoiement, pas de jugement. Juste ce minimum de conversation qui rend humains des laissés-pour-compte contraints de vivre parfois comme des bêtes. « La nourriture c’est du lien social » dit Noël, jeune retraité, « nous ne sommes pas qu’une banque alimentaire ambulatoire ».
Distribution du chocolat chaud
Du pain récupéré auprès d’un boulanger d’Echirolles
Plus loin dans le quartier de l’île verte, les bénévoles de la Croix Rouge saluent les jeunes d’un squat par leurs prénoms. Comment les oublier ces quatre gamins, le plus jeune dit avoir 19 ans mais en parait moins. « Viré de chez moi par ma mère », on ne saura pas pourquoi. Il vit avec ses copains d’infortune, et se rue sur le chocolat chaud servi dans des tasses en carton.
« Le plus dur c’est le manque d’intimité dans le squat » dira le plus vieux de la bande, « et les mecs drogués qui ne font pas la manche en journée et nous piquent nos affaires le soir ». Un des jeunes fume un gros « pétard », Françoise n’est pas dupe, mais ici on ne fait pas la morale à ces gamins qui pourraient être les siens. Simplement de l’assistance à personne en danger.
Place Grenette, c’est encore une enfance en danger qui s’agite autour du camion. Ils sont bruyants, exubérants, presque repoussants avec leurs chiens et leurs look de punks cloutés. Mais à bien les écouter, ils sont assez drôles, presque touchants, on sent leur envie de parler, et on se prend à discuter de l’appétit de « moustache », le rat domestiqué qui sort de la capuche de Célia, 19 ans, elle aussi en rupture de toit familial, à la recherche de « n’importe quel boulot » pour pouvoir s’assumer. « Pour l’instant je balade ma valise avec moi ». Et son rat.
« Moustache »
Dans la rue depuis 38 ans
On quitte Célia inquiet à l’idée que son errance se prolonge, pour croiser à la gare d’autres SDF plus âgés. L’un d’eux vient de Mulhouse, cela fait 38 ans qu’il vit dans la rue. « Je m’en sors bien, j’arrive à gagner presque 10 euros par jour en faisant la manche, ça me permet d’aller au kebab soit à midi soit le soir. Pour dormir, je trouve toujours une solution, même maintenant que le hall de la gare ferme plus tôt ». Il engloutit le sandwich au thon que les bénévoles ont distribué grâce des dons de la banque alimentaire. En s’éloignant du camion de la Croix Rouge, les sans-abri réconfortés lancent aux bénévoles un touchant « Passez une bonne année ».
Un jeune étudiant de 22 ans est venu spontanément donner des sandwiches
Centre-ville de Grenoble : on s’inquiète de la santé d’un sans-abri
Il reste encore des rues à visiter, des recoins à inspecter. Ce soir, le 115 a reçu beaucoup de signalements, il a fallu vérifier qu’un être humain n’était pas menacé par le froid à chaque fois. Mais l’heure avance et il manque de couverture, très réclamées avec les gants. Il reste de la nourriture. Les bénévoles termineront vers 1h du matin après avoir rangé le matériel. « Notre rôle c’est que ces gens ne deviennent pas invisibles, pas transparents ». Françoise et ses co-équipiers ont gardé le sourire toute la soirée. Une lueur d’espoir à travers les rues froides de Grenoble.
L’équipe de la maraude, créateurs de lien social
UN APPEL AUX DONS DES BENEVOLES DE LA CROIX ROUGE
Les maraudes ont lieu chaque soir de la semaine, lundi et mardi par le groupe Echrirolles, les autres soirs par le groupe Grenoble. La Croix-Rouge a toujours besoin de nouveaux bénévoles et surtout de couvertures, n’hésitez pas à les contacter