03 Avr

Français du Mali : les femmes et les enfants d’abord…(MAJ)

MAJ (vidéo en fin de billet)

Elles ont pris leur décision en fin de semaine dernière. Jusque là, comme la plupart des Français du Mali, ces deux amies ne s’étaient pas véritablement inquiétées. Le coup d’État ne les menaçaient pas directement. Le couvre feu à Bamako avait été une parenthèse…désœuvrée (voir billet précédent). Les combats dans le Nord semblaient encore lointains…Et puis, l’idée du départ s’est imposée d’un coup, comme une nécessité :

« Nous avons pris la route samedi à l’aurore pour le Sénégal. Vendredi ma décision n’était absolument pas prise mais certains éléments, certaines conversations et ce que nous appellerons mon intuition féminine m’ont poussée à nous mettre mes enfants et moi à l’abri. »

« Nous communiquions tous les jours et à un moment donné je crois que nos intuitions ont été les mêmes, à savoir la situation se dégrade très vite avec une montée du sentiment « anti-étranger » + une menace de fermeture des frontières à nouveau + une situation économique chaotique. Pour ma part, j’ai préféré quitter le Mali avant l’embargo de la CEDEAO car je pense qu’il va y avoir des violences cette semaine. »

Last exit,  Dakar ?

L’une a pris la route, l’autre l’avion « au prix fort » vers le Sénégal. « Dans l’avion, peu de toubabs finalement mais beaucoup d’Africains.. Je ne saurais dire si ce sont des gens en mission qui voyagent, des Maliens ou d’autres nationalités qui allaient se mettre au vert en attendant des jours meilleurs. » Une escale de 24 heures, un avion d’Air France, et puis Paris, dès dimanche.

Sur les pistes, aucun signe de ce sentiment d’urgence qui avait prévalu au départ : « Cette traversée du Mali avait quelque chose de schizophrénique. Tout semblait normal, aucun contrôle aux différents postes, ni même à la frontière, les gens vaquaient à leur occupations ni pressés ni inquiets : normaux. Rien qui ne trahissait la situation que nous  suivions à la radio et qui nous annonçait la progression des rebelles et les chutes successives de Gao et TBK (Tombouctou). La traversée de Kati, ville d’où est parti le coup d’état avait un côté presque comique avec ses tubes de lance roquettes pointés vides sur BKO (Bamako), les véhicules blindés postés à tous les coins de caserne et les militaires en tenue buvant le thé vautré sur des chaises de jardin à côté de tout ce matériel.


J’ai appris ce soir (dimanche) par un ami de Mopti que la route du Burkina n’est plus sûre : les rebelles y sont depuis 2 jours. Par un ami de Gao, je sais que des tirs en l’air sont permanents, probablement pour empêcher les gens de sortir de chez eux. Trois groupes rebelles se partagent la ville mais sans contact entre les différents groupes. Les rebelles sont passés dans chaque maison et ont demandé aux chefs de famille ou à leurs fils aînés (un seul homme par famille) de sortir et leur ont remis de la nourriture pour leur famille. Aucun pillage n’aurait lieu… Je ne veux pas vous dire ce que j’ai laissé derrière moi de peur que l’énumération seule ne me casse. Je ne peux pas me permettre de me laisser aller pour le moment. »

Ressentiments

Les deux amies sont aujourd’hui en sécurité. D’autres, sans doute, ont pris la même décision. Combien, parmi les 4463 Français enregistrés sur les registres consulaires ? Impossible de savoir. Ce qui est sûr, c’est qu’il sera désormais plus difficile de sortir de ce qui pourrait bien devenir un nasse. Comme prévu, les pays de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de  l’Ouest, la Cédéao, ont annoncé lundi la fermeture des frontières.

Et puis, il y a les réfractaires. Ceux pour qui le retour n’est pas forcément une option et qui n’ont probablement pas fait la démarche de se faire recenser. Comme ce Français, qui décrivait lundi son état d’esprit après avoir « à contre courant, fait des pieds et des mains rentrer du Burkina au Mali » (…) « Au niveau des Français, qui comptent parmi les privilégiés, et dont je suis, on en est tous à compter le nombre de jours sans travail (et donc sans revenus) au-delà duquel, soit on pourra rester mais on devra licencier les employés (de maison, mais aussi les collaborateurs professionnels), soit, au final, on ne pourra plus rester ici et où on devra partir pour revenir dans un pays où on n’a plus rien à faire, et qui pour nous n’est plus un camp de base. »

Situation de crise

Jusqu’ici, le Quai d’Orsay n’a pas donné l’ordre d’évacuer, seulement le conseil de « quitter provisoirement » le pays. La situation se tend chaque jour davantage. Et plus le temps va passer, moins il sera confortable d’être Français au Mali. Comme le note ce mercredi pressafrik.com, La France est en effet soupçonnée de complaisance envers les rebelles touaregs qui avancent dans le Nord …en compagnie de combattants d’Acqmi (Al Qaïda au Maghreb  islamique), le groupe  qui détient les six Français enlevés au Niger… et l’inquiétude monte à l’école française « liberté » dans la capitale malienne. »

Comment sortir de ce qui pourrait rassembler à un véritable « piège » ? Dans les coulisses, les pièces se mettent en place, relativement discrètement. On l’a appris, mercredi dernier, une société française de sécurité, Erys Group, a renforcé sa présence à Bamako

Pendant ce temps, à Paris, la rapatriée volontaire essaye de trouver une solution pour participer… à la présidentielle. Jusqu’à preuve du contraire, elle est en effet inscrite sur les listes électorales à Bamako…

MAJ Interrogée par Métro, cette jeune coopérante gère l’incertitude sans trop d’inquiétude.. .. Carine et Sylvie, elles ont fait le choix du départ, voyez ce reportage de mes confrères de France 2, Dominique Derda et Frédéric Ranc.

28 Mar

Français du Mali : « ce soir, au comptoir du « Blabla » ! »

Il sont un peu plus de 6000 en temps normal. Mais quand les expats français ont entendu le consul les avertir plus d’une semaine avant (!) des risques de coup d’état, les entreprises françaises ont commencé à rapatrier ou à relocaliser leurs salariés dans les pays voisins. Pour ceux qui sont restés, le plus difficile, jusqu’à hier soir, aura été de prendre leur mal en patience, bloqués chez eux, comme en témoigne le blog underground gastronome et ses rubriques « détachées »:  « Que lire  pendant un coup d’état ?: « Ce coup d’Etat au Mali n’en finit pas. Les putschistes n’ont pas l’air de bien savoir quoi faire de cet Etat qu’ils viennent de conquérir, la rumeur annonce une contre-offensive loyaliste qui ne vient pas, il fait un temps de sieste – 40 degrés,  des ambassadeurs se font piquer leur auto diplomatique devant l’ambassade de France, l’absurde est roi.. Le moment est donc favorable pour se plonger dans la lecture de Festins Orphiques » .

Fin du couvre feu

Mais la situation a évolué. « le couvre feu a été levé hier soir (mardi), les frontières sont réouvertes, on a à nouveau le droit de sortir de chez nous… »
L’occasion de se faire une idée par soi même des premiers effets des événements. Alors que rien n’est définitivement réglé, il est déjà clair que le retour à la normale risque de prendre  un peu de temps. Témoignage reçu ce midi, d’un expat qui préfère garder l’anonymat.
« La coopération pour laquelle je travaille est suspendue et l’ambassade m’a demandé de rester chez moi jusqu’à nouvel ordre. La cité administrative, lieu où tous les ministères sont concentrés, a été saccagée. Mon ministère a aussi été saccagé. Tous les ordinateurs ont été volés, ça ne va pas favoriser la reprise du travail. Mon bureau qui n’est pas situé dans la cité administrative  a été épargné. J’ai parlé avec quelques uns de mes collègues. Ils sont très prudents dans leurs propos. Il me semble que comme la situation n’est pas stabilisée, ils ont peu de visibilité sur leur avenir personnel et ne prennent pas de position qui pourrait leur nuire. Ils sont fatalistes ? confiants ? Je ne saurais dire ce que signifie. ‘Tout va s’arranger’ Inch Allah' »

« la famine va leur péter à la figure »

La ville bruisse de rumeurs sur les négociations en cours mais au final on ne sait pas bien encore ce qui se dessine.  Ce qui me frappe, c’est que personne n’évoque la famine.. On parle de la guerre dans le nord mais pas du tout de la famine… C’est comme avant le coup d’état, le maître mot était ‘y’a pas de problème’. Alors que tout autant que le nord, la famine va leur péter à la figure.

La récolte a été très mauvaise et plusieurs régions, en dehors des zones de combat du nord, ont des problèmes. Mon chauffeur qui est bozo, de l’ethnie des pêcheurs, est parti dans son village il y a 8 jours, vers Mopti. Il n’y avait plus rien à manger là bas, il était très inquiet. Les journaux maliens commencent à reparaître sur le web. Le maliweb notamment. Il est étonnant de lire des articles aussi critiques sur le nouveau pouvoir alors que la situation n’est pas encore stabilisée. »

« A bas la France »


Ce matin des milliers de manifestants ont occupé la rue à Bamako en soutien à la junte. Sur certaines pancartes, on pouvait lire « A bas la France ».  Nouveau témoignage :

« Cela fait quelque temps déjà qu’il y a un sentiment anti-français qui monte au Mali de la part d’une partie de la classe politique et de la population. La France est notamment accusée d’accueillir des éléments du MNLA et d’être trop bienveillante à leur égard.. On soupçonne aussi la sarkozie d’être prête  à tout pour faire libérer les otages avant la présidentielle. L’ambassadeur de France avait même fait une mise au point en démentant tout en bloc, dans les journaux maliens en février. Enfin, une partie de la rébellion touareg est une conséquence directe de la guerre contre Kadhafi, où la France était en pointe. La suspension de l’aide internationale va vraisemblablement renforcer ce sentiment dans les semaines à venir  (le budget de l’état malien dépend pour partie de l’aide internationale et les fins de mois vont être encore plus difficiles à boucler pour lui, dorénavant, (d’autant que la guerre coûte cher) et l’élargir à d’autres nationalités.. l’Amérique pourrait être en bonne place de détestation.. On se sentira moins seul comme ça ! »


Ce soir au Blabla




Pas question pour autant de se laisser aller à la sinistrose ou à la crainte. La levée du couvre feu permet une reprise de la vie sociale, le comptoir du Blabla, haut lieu de la vie nocturne bamakoise devrait dès ce soir faire le plein et accueillir ses fidèles, Maliens et étrangers qui ont l’habitude de s’y rencontrer :
« je vais résolument au Blabla ce soir car cela fait une semaine que je ne suis pas sorti de chez moi et qu’il faut bien vivre quand même ! De plus, cela permet de savoir ce qui se passe en ville. Il y a toujours des journalistes et des gens au fait de l’actualité au Blabla. »