20 Nov

Les maux dedans #12

cerveau_drmaison

Après cette séance rien ne fut comme avant. Dirigée si on peut dire par lui, il reprenait les derniers termes et me mettait sur la voie qu’il avait tracée.

– Alors votre femme vous a cru « morte » ?

– Je vous ai dit que c’était juste une faute de français et non un délire inconscient.

– Je ne vous dis rien, c’est vous ou plutôt votre inconscient (en trois séances il venait de me parler plus qu’en deux ans)

– Je continue à penser que, certes l’hystérie peut revêtir plein de manifestations mais je ne pense pas qu’elle puisse entrainer un arrêt cardiaque nécessitant un défibrillateur.

(c’est là que j’en aurai eu besoin) il se mit à hurler:

 » Vous ne comprenez rien de rien, vous vous foutez de moi, partez, partez et revenez lundi avec un discours intelligent. Et cela fait 45 euros, en liquide svp. »

J’avais vraiment envie d’arrêter cette mascarade, son agressivité, sa versatilité. Mais pour qui il se prend ce Lacan bordelais?  J’en ai marre, je le déteste. Heureusement on abordait une période de vacances et donc Monsieur partait faire de l’humanitaire bulgare.
Je profitais de ce repos cérébral pour faire le point, j’en profitais pour lire des livres plus simples, à mon goût (Ma vie de Young) et reprendre goût à la psychanalyse en évitant de penser à celui qui est le vecteur de cette analyse. Je me forçais à oublier le docteur et à ne penser qu’aux progrès que j’avais cru faire.
Je repense souvent à cette séance sur le malaise et l’adjectif féminin que j’avais attribué au mot « mort ». Je me suis souvent aperçu, depuis que cette erreur de grammaire revient souvent dans la bouche de mes patients. Combien de fois un homme conjugue au féminin un mot masculin sans pour autant que l’on s’y attarde?
Ce qui m’interrogeait c’était ce changement d’attitude, ces notes qu’il écrivait dans mon dos depuis peu de temps, alors que pendant deux ans il m’avait bercé d’un ronronnement de prédateur qui ne sentait rien dire de bon.

L’épisode de ce mot « morte » a été le coup de poignard qui aurait pu m’achever mais qui a été surtout le commencement d’une souffrance énorme qui dure et qui s’estompe enfin grâce à l’écriture d’aujourd’hui.
Les séances se sont succédées avec toujours le même fil conducteur. Parfois j’avais des choses à dire de façon ponctuelle, précise, sur des événements familiaux, sur des problèmes professionnels. Alors le stylo s’arrêtait, le bâillement reprenait et l’impatience se traduisait par un « allez, continuez, voyons ».

– « Mais j’ai envie de vous parler de ce problème familial que je traverse, je n’ai pas envie de revenir sur un lapsus sans conséquence

– Sans conséquence ?

Et là je lui expliquai enfin que je venais chez lui pour dire ce que je voulais et non pas pour dire ce que lui voulait !

C’était une victoire, je venais de dire enfin ce que je pensais. Mais cette victoire relative était à mon sens celle de la psychanalyse, je venais de m’affirmer ! Et voilà, en une seule seconde, je passe d’un doute énorme sur ma démarche, puis je tombe en extase tout ça parce que j’ose dire à un tyran de psy que j’ ai envie de dire ce que je veux !!!

Il parut contrarié par ma surprenante rébellion, et son ton de parole, fut monocorde comme si il voulait me faire comprendre : « Mon petit coco tu veux marquer des points mais n’oublie pas que c’est moi qui tiens les commandes ».

Je continuais mes réunions du mercredi pluri disciplinaire. J’avais amené avec moi un ami kiné, un pur, un enfant des Landes, il ne lui manquait que les échasses et le béret. La première fois qu’il est venu, il a cru que c’était l’émission tv surprise-surprise de Bellivo ! Il faut dire que c’était la belle psychologue lacanienne qui nous présentait un cas clinique et cela donnait quelque chose comme :

« Ce qui compte en ce rapport analysé-analysant, c’est le petit a sur le grand A, c’est ce nœud bromérien qui enveloppe l’autre autour de la souffrance qu’autrui ressent par la force de son phallus »

Mon landais de copain (jeannot) prit la parole avec son naturel habituel :
« Je ne pipe rien à ce que madame nous raconte, elle nous parle de math, de sexe ou de psychanalyse ? Cela serait plus simple si on disait : « Cette patiente souffre à cause de son père et basta !»

A ce moment-là, je ne savais plus où me mettre, je regardais le docteur Mie du coin de l’œil, la psy rangeait ses notes et mon Jeannot arborait un sourire de satisfaction égal à celui qu’il avait quand il marquait un essai à Pontenx les forges !

Deux minutes de silence suivirent cette tirade landaise avant que le chef ne prenne la parole :

« Voilà exactement pourquoi ces réunions sont indispensables. Nous pouvons non pas opposer le savoir à la logique mais nous pouvons les réunir par la parole. »

La présence de mon ami à chaque réunion apportait une décontraction et avait surtout le grand avantage de détendre notre gourou. Il me commentait à toutes les séances du vendredi les réactions de Jeannot.
Je ne serais pas honnête si je ne vous disais pas que mon orgueil était ébranlé par cette admiration de mon psy sur mon ami. Moi qui m’étais lancé à fond dans le lacanisme, moi qui lisais de l’hébreu lacanien, et qui subissais les folies d’un ayatollah, je payais des séances pendant lesquelles durant 5 minutes on me parlait de la simplicité et de la pureté du langage d’un fils de résinier.
Mais avec cette diversion j’oubliais un peu les hauts et les bas de mon analyse et surtout la versatilité du meneur des séances.

Un matin très motivé, c’est moi qui revenais sur mon travail analytique pur.

-« Cela fait bientôt trois ans que je viens et j’aimerais faire le point.

– Faites, faites!

– J’aimerais que nous le fassions à deux.

Pas de réponse, temps mort pendant deux minutes et c’est long deux minutes. Je me crois obligé de parler, et là, il m’assène :

– Nous en resterons là, cela fait 45 et en liquide svp. »

Une fois de plus frustration, colère intérieure, et pas un mot de plus, je ne pouvais rien lui dire. Par contre devant la porte avec mes billets dans la main, il aimait me parler de la dernière réunion, de tel ou telle patiente que j’avais eu le tort et je dis bien le tort de lui envoyer.
J’écris cela aujourd’hui parce qu’il y a eu le drame mais à l’époque je pensais bien faire et surtout je ne comprenais pas comment des gens intelligents ne pouvaient pas faire une analyse.

14 Nov

Amour et Gourmandise

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Philippe, il est grand, longiligne, des yeux très clairs. Pas besoin d’aller à Lourdes pour constater que les miracles peuvent exister même sur les bords de Garonne quand on est un homme bien.

Je connais Nathalie depuis quelques années car elle travaille dans l’industrie pharmaceutique. Petit bout de femme, énergique, elle me présente ses médicaments avec une détermination, inversement proportionnelle à sa taille. Comme je suis un curieux, bavard je m’intéresse à son parcours extra professionnel.
Comme beaucoup de personnes elle se remet difficilement d’une séparation conjugale. Puis, un jour, elle arrive avec des petits croissants à mon cabinet.

-Doc je vais nettement mieux,je viens de rencontrer une pépite: l’homme parfait !

– Donc Nathalie est amoureuse ?

– Plus que cela folle d’amour. »

Elle me raconte alors sa rencontre avec celui que j’appelle Gillette: la perfection au masculin !

Nathalie vient me voir régulièrement pour me vanter les bénéfices de tel ou tel médicament et nous finissons toujours notre entretien par un zapping de sa vie: tout n’est que bonheur, joie, amour.
Lui, il travaille beaucoup couvert de diplômes il a un poste à grande responsabilité, « son seul défaut c’est sa quantité de travail » qu’il produit tous les jours. Il commence tôt, finit tard mais lui fait passer des super week-ends en amoureux.

Le conte de fée en ce matin de novembre s’arrête net. Nathalie ne sourit pas, elle rentre dans mon bureau, les yeux rougis par des larmes coulant encore sur son visage ou les petites taches de rousseur ressortent plus que d’habitude.

– « Qu’y a t-il, Nathalie ?

– C’est Philippe !

– Vous vous êtes disputés?

Elle n’arrive pas à parler, des longs silences entrecoupés de sanglots puis:

– Il a une tumeur au cerveau ! »

Je suis abasourdi. On pense souvent que certaines personnes ne peuvent pas être touché par le malheur, tellement ils sont bien, généreux, humains, beaux !

Elle me raconte tout ce qui arrive, les premiers symptômes, les migraines, les pertes d’équilibres, les troubles neurologiques.
Puis vient le doute, l’espoir, les scanners, les IRM, et arrive le verdict impitoyable: Glioblastome cérébral !

Tout s’écroule, une vie à deux, un mariage, une maison, un amour immense. Il va falloir se battre affronter l’opération, la chimio, les rayons. L’infime espoir de survie est certes le seul moteur de tout ce parcours du combattant mais il est si petit.
Nathalie est courageuse, elle continue à travailler avec une force qui n’a d’égal que le courage de Philippe.
Pendant longtemps, leur vie se partage entre les espoirs, la fatalité, la peur, la souffrance. Ils s’aiment tellement que je pense, car je suis un éternel optimiste, que le tout petit espoir de guérison va se transformer en une rémission totale.

On est arrivé après le cursus chirurgical et oncologique à une période d’attente et de rééducation.
Philippe, bien que pas du tout de la partie, profite de cette période pour se faire plaisir en cuisinant. Il invente des recettes, il donne des saveurs à tous ses plats  comme il donne un sens à sa vie. Chez lui tout est raffiné, il mélange le sucré et le salé, il parfume ses desserts avec cette petit pointe d’acidité propre à relever cette sucrerie habituellement trop fade, faisant du banal un délice !
Quand Nathalie rentre le soir, Philippe a son grand tablier de cuisinier, il a mis le couvert les bougies sont sur la table et la maison respire d’une suave odeur de la cuisine d’antan.

Nathalie n’ose croire à cette vie merveilleuse, cela ne se voit qu’au cinéma me dit elle souvent. Elle a peur tous les jours, toutes les nuits. Mais elle est pragmatique, les pieds sur terre, et la tête dans les étoiles elle se régale de tous ces petits plats qui l’attendent tous les soirs. Toutes le semaines j’ai vu Philippe, l’amélioration a chaque visite, bonheur et sérénité retrouvée de ce couple magique.
Nathalie retrouve son punch habituel, son sourire dévastateur, elle est épanouie, parle peu mais que de son mari. Elle est sûre de sa guérison autant que ses dons culinaires.

– « Phil n’arrête pas il m’a fait prendre 5kg !

– Ok mais n’oublie pas que tu en as perdu 6.

– Mais c’est si bon il me fait des desserts à tomber à la renverse. »

Des jours, des mois ce sont passés un jour phil est venu me consulter avec Nathalie.

– « Nous avions (j’aime ce « nous », preuve que l’épreuve était bien partagée) peut être une chance sur 1000 de survivre et aujourd’hui l’hôpital nous a dit que c’était gagné ! Les larmes sur la joue de Nathalie n’étaient pas les mêmes. Elles signifiaient bonheur !

Il y a deux mois un vendredi soir je rentre tard, je suis épuisé, j’ai faim et le canapé m’attend. J’allume la télé, un gros plan s’arrête sur un des candidats à l’émission la plus célèbre pour élire le « chef ». Philippe est là, devant moi et des millions de téléspectateurs. Il a enchanté la France entière, il a sublimé ses plats comme il a su sublimé mon métier en me montrant que tout est possible dans la vie.

Merci Nathalie, merci Philippe, vous êtes mes pâtes d’amande, mes calissons, mes chouchous. Grâce à vous j’ai encore plus confiance en la médecine, en l’amour, en l’homme tout simplement.

13 Nov

Les maux dedans #11

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Alors que je sortais le compte exact bien sur de ma poche, il se mit à me parler comme on dirait à la télé « en off »;

– voilà, mon fils fête son anniversaire demain et j’aimerai lui donner un vrai maillot des Girondins et son rêve serait d’avoir celui de Jean-Pierre Papin !

Là, c’était mon petit chat qui me remonte sur mes genoux avec le ronron demandeur des croquettes. Et comme je donne toujours des croquettes à mon chat et bien j’ai donné le maillot de JPP à mon psy !

J’essayais de trouver une explication psychanalytique, du style, il veut me pousser à dire non, il veut voir l’étendue de ma faiblesse ou…de ma générosité.
Et là, ce jour-là je ne voyais aucun approche thérapeutique dans le maillot de Jpp ! Mais un psy sûrement compétent mais manipulateur.
Comment je lisais les différentes techniques de psychanalyse, j’en concluais qu’on devait toujours passer par des phases de répulsion, après celles de transfert.

Je faisais la gueule, tout au moins je me disais que je faisais la gueule car devant lui je ne montrai rien, je me suis juste permis de lui demander de changer le jeudi car je préférais le mercredi et là, surprise, il a accepté.
Ce n’est peut être rien un jour, mais pour moi, compétiteur dans l’âme, c’est une victoire sur mon dominateur. Certes, je pense aujourd’hui que ce changement devait l’arranger car il partait à Paris tout les jeudi en tant que président de l’école de la cause Freudienne, mais j’avais quand même dans mon fort intérieur marqué un point.

Quand il revenait le vendredi, après avoir hurlé son « Venezzzz » il m’accueillait avec une voix de plus en plus radiophonique et je ne comprenais pas ces différences de timbre entre un début et une fin d’un couloir.
Pour moi cela devenait machinal, presque robotisé, je dis « bonjour », j’enlève ma veste, je m’allonge, je regarde devant moi ce masque africain tout frisé comme lui, je regarde ce tableau jaunâtre, et j’attends le top départ: « alors on en était où ? »

J’aime bien son « on », cela veut dire que ce n’est pas mon analyse mais « notre » analyse. Au début je préparais mes séances et je savais par quoi j’allais commencer, maintenant, je ne pense à rien avant et je dis une première phrase et hop, je déroule mon inconscient sur le tapis du docteur Mie.

– voilà j’ai lu Freud ce dimanche et je me suis arrêté sur l’hystérie et les conversions hystériques décrites par Freud.
(je ne le voyais pas mais j’ai senti que je venais de dire une phrase clé, car le sortant de son endormissement habituel, j’entendais son esprit se réveiller, son gros, gros mont-blanc se mettre en route et le petit carnet qui se remplissait de cette phrase que je venais dire sur l’hystérie. Est-ce que cela voulait dire que je venais de trouver mon diagnostic ? Est-ce que cela voulait dire que je l’intéressais,enfin ?
Je ne peux donner la réponse mais ce que je peux dire c’est que cette séance aura été capitale si ce n’est pour lui, en tout cas pour moi et surtout pour l’écriture de ces lignes).

– « oui,continuez

– j’ai repensé à mes malaises, mes pertes complètes de connaissance, je me suis trouvé, ici, une explication, la culpabilité, la mort d’Eric, la présence de Sylvie, sa femme. Aujourd’hui après cette lecture de Freud je pense que ces malaises sont une forme de conversion hystérique si bien décrite dans…….

– continuez, continuez, bon sang !

(pour une fois il était excité, il n’arrêtait pas d’écrire tout ce que je lui disais, tout au moins je l’imaginai car je ne le voyais pas).

– alors après cette lecture de Freud je pense que le mot « hystérie » correspond à ces malaises. Il est vrai que je me pose la question, vu le coté organique de la symptomatologie, vu la bradycardie et vu la perte de connaissance totale. Le dernier malaise que j’ai eu et qui était plus important que d’habitude a inquiété tout mon entourage, même ma femme m’ a cru morte.
(Chers amis lecteurs ce n’est pas une faute de frappe, j’ai bien écrit et j’avais bien dit « morte »).

– Vous venez de dire morte
– oui ,pardon je me suis trompé !
– nous en resterons là cela fait 45 et en liquide, s’il vous plaît »

Cette séance là est le tournant de mon travail, de mon aliénation, de mon cauchemar car c’est à partir de là que tout a commencé…

06 Nov

Pick and Go

 

rugby_drmaison« Allo, Antoine, c’est Mathieu ! Tu peux jouer dimanche?

– C’est de l’humour? Tu connais mon âge? Cela fait bientôt 20 ans que je n’ai pas remis de crampons et, depuis mon genou, je suis Robocop, je mets du dégripol tous les jours ! Sacré prothèse !

-Tu n’as pas besoin de crampons, juste des roues bien gonflées!

-Mais qui es-tu ? Mathieu qui ? (je pense alors à mon copain demi d’ouverture des juniors du SBUC.

-Tu le sais très bien, arrête de faire l’innocent, je compte sur toi, c’est pour un match de bienfaisance.

Honnêtement, à ce moment là, je ne vois pas du tout de qui il s’agit. Pour ne pas le vexer je continue notre conversation.

 » Tu sais, il va y avoir du monde et puis que toi, tu sois là, ce serait formidable.

-Mais je ne peux plus courir avec ma prothèse, je boîte en permanence.

-Tu le fais exprès ? Tu joueras dans un fauteuil.

-Même si je sais que tu es le meilleur demi d’ouverture qui distribue des passes fabuleuses, mon genou sera toujours en titane !

-Ecoute doc’ , je crois que tu te trompes de demi d’ouverture. Je suis Mathieu ton patient tétraplégique, c’est pour faire un match de rugby en fauteuil pour Handisport. On a pensé que de faire un mélange d’anciens rugbymen avec nous serait une bonne pub pour notre association.

Cette conversation me parait surréaliste. Moi, un vrai naïf je crois que l’on me demande de rejouer, rêvant en un instant  retrouver l’odeur des vestiaires, les bruits des crampons sur le carrelage, l’odeur du camphre qui pique les narines. Puis la réalité de l’ appel d’un patient, d’un homme, d’un ami qui m’apporte à chaque venue sa force, sa volonté, sa tolérance.

Mathieu, c’est un destin, une vie qui bascule le jour où une vilaine vague le propulse sur le sable et lui fracture ses vertèbres lui sectionnant sa moelle épinière.

Quand il vient me voir au cabinet, il arrive en camionnette. Bien que tétraplégique, il arrive à conduire, à descendre tout seul, prendre son fauteuil, ouvrir cette porte de cabinet bien mal adaptée et va dans la salle d’attente où il attend son tour comme chacun. Il discute, s’intéresse aux autres malades. La différence c’est que lui, il est toujours souriant, toujours prévenant, laissant passer l’enfant fiévreux ou la vieille mamie pressée.

Quand il rentre dans mon bureau, je prends mon habit de clown pour cacher mon malaise, je plaisante avec lui avec notre arme commune: la dérision.

 » Doc, je suis à plat !

-Fatigué?

-Non, c’est mon pneu qui est dégonflé (en me faisant un sourire complice)

-C’est un coup de pompe !

-C’est ça, doc’! J’ai besoin de médicament, j’ai une tendinite au bras à force de pousser le fauteuil à l’entraînement.

Mathieu, il n’est handicapé que pour les autres, m’a t’il dit.

 » Moi je suis comme tout le monde, je suis marié, j’ai deux enfants, je travaille et je joue au rugby ! »

Je me régale de l’entendre me parler de son sport, c’est le moteur de sa vie, son enthousiasme, sa préparation individuelle, son organisation, sa recherche de sponsor.

 » C’est dur de trouver des moyens, il faut du matériel, des camionnettes pour nous transporter et, quand on part à l’étranger, c’est un Transval qu’il faut comme avion!

Il s’occupe de promouvoir le rugby. Il a le mental d’un Dussautoir, l’enthousiasme d’un Maxou Machenaud, la force d’un Picamoles .

On se plaint tous d’un bobo, d’une prothèse, d’une déprime, lui jamais !

Alors ce match de rugby, je vais le faire! Je vais essayer d’emmener tous mes vieux copains des prés qui taquinaient le cuir avec moi. Je vais essayer de rendre un peu à Mathieu tout le bien qu’il me fait. En plus de réunir mes deux passions médecine et rugby, il m’apprend l’humilité.

Je vous tiendrai informés de la date du match. On viendra nombreux pour applaudir et soutenir Mathieu et ses amis !

 

05 Nov

Les maux dedans #10

chat_drmaison

C’est vrai que tous les jours je me demande si je suis bête, « bilongoté » comme on dit en Afrique ou bien si je suis en train de vivre quelque chose que tous les analysés par un lacanien vivent.
Ne pouvant pas trop parler devant ce parterre de gens de cinéma, et comme je suis un peu têtu, je rappelle Vincent dès le lendemain.
Quand je dis cela, ça prouve la place énorme, oui énorme, que ce petit frisé a pris dans mon cortex. Le prétexte de ma venue chez Vincent était bien sûr différent que des questionnements sur un analyste même ami intime de Gérard Miller ou de la famille de Lacan !

J’abordai très vite le sujet avec ce copain qui n’a pas l’habitude de mâcher ces mots.
 » Ce mec est fou Antoine, c’est lui qui devrait consulter, et surtout c’est un dormeur. »

– Un dormeur ? »

– Oui, un jour où j’étais allongé, je me suis rendu compte qu’il dormait ! Je me suis levé et j’ai crié à son oreille :  » Tu dors Mie ! Tu crois que je vais te donner 40 euros pour te voir cluquer ? »

– Il a dû te parler de l’attention flottante freudienne ?

– Freud ou pas Freud, je me suis cassé et je ne l’ai jamais revu ! »

J’ai très vite arrêté cet entretien. Je me sentais mal à l’aise, j’étais si motivé par ma démarche, si fier aussi de m’y tenir trois fois par semaine que les doutes que je ressentais parfois prenaient une importance gênante.
Je me suis dit pour me rassurer que Vincent n’était pas moi et que sa personnalité et son coté brut de décoffrage ne pouvaient pas aller avec un Lacanien. Cela voulait dire aussi que j’étais surement et suffisamment compliqué pour que l’analyse me soit bénéfique.

Alors, c’est avec un enthousiasme de débutant que je repartis pour de nouvelles séances chez le dormeur « flottant ».

Tous les lundis matin, à six heures, ma petite voiture était téléguidée jusqu’au 202 de la rue Saint-Rémi.L’escalier toujours aussi abrupt entraînait un essoufflement et quelques minutes dans la salle d’attente me permettaient  de retrouver une élocution normale sur le divan. Mais ce jour là, il m’attendait devant la porte et me conduisit immédiatement, sans passer par la case d’attente, sur son divan. On aurait dit qu’il était pressé, il me parla sèchement :

 » On en était où ?

– Je ne m’en souviens pas

– Et voilà, c’est là le problème, vous ne vous rappelez pas! J’ai des inquiétudes sur vous Monsieur, vous ne travaillez pas assez, vous ne devez vivre que pour ça et pour votre inconscient.

– Je ne comprends pas.

– Et en plus, vous ne comprenez pas ! »

Alors il se mit à me raconter son séjour dans son orphelinat bulgare, ces enfants attachés dans un lit de fer, ces infirmières qui dormaient à coté d’eux toute la nuit. Je ne comprenais pas le rapport entre ses inquiétudes sur mon mauvais travail et cette œuvre humanitaire dans un pays de l’Est !
Une fois de plus, je nageais dans le doute. J’arrivais avec les idées de Vincent dans ma tête puis il m’engueulait et il touchait ma sensibilité ce qui remettait son compteur crédibilité à son maximum.

Une fois de plus, je pensais que tout était organisé, tout était voulu, tout était cadré comme dans les formules physiques de Monsieur Lacan.

C’était un de ces vendredis où mon repas était remplaçé par une nourriture intello-psycho- laca ..mienne plus une dose d’embouteillage, tout ça sans café pour 45 euros en liquide s’il vous plait. Pas de café certes, mais la tasse de thé dont la fumée se mélangeait à celle d’un cigare tordu (genevois)!
La séance avait bien commencé. Je parlais avec aisance de mon travail, de ma famille, de mes amis. Il était plus loquace que d’ habitude, il avait de l’humour, ses jeux de mots fusaient  et moi j’étais bien.

J’étais bien comme …quand on a son chat qui, si sauvage d’ordinaire, vient un soir, on ne sait pourquoi, se mettre sur vos genoux. On se dit que ça y est, la bête est dompté et puis vous voulez la caresser et là, hop, il s’en va à toute vitesse se mettre sous la vieille table du salon.
Avec le docteur Mie, c’était pareil qu’avec mon chat ! Ce jour-là donc, il n’était certes pas sur mes genoux mais il était zen et un petit état de satisfaction m’habitait.

Tu vois, Antoine, ce mec a du cœur! Il est brillant, il se donne à fond pour son travail et il est fort comme analyste. Mon choix du hasard était le bon.
Mais comme le petit chat qui part sous la table du salon, le génie redevenait un animal sauvage : il arrêta net son attitude empathique et  me lança un : »allons, continuez, continuez !! »

– Mais je ne sais pas quoi dire.

– Ce qui vient, dites ce qui vous vient.

– Mais, j’ai rien à vous dire.

–  Ce n’est pas à moi que vous devez dire, c’est à votre inconscient !

– Vous me parlez de mon inconscient, je ne connais même pas mon conscient !

– Nous en resterons là, cela fait 45 et en liquide s’il vous plait. »

31 Oct

Kasko

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Quand je reçois le résultat du bilan de Robert, le plus difficile pour moi, c’est de savoir comment lui annoncer.

Robert, il est basque, petit, rondouillet, le béret sur la tête jour et nuit , un makila de Bergara toujours à la main.

Il va à la chasse à la palombe, il ramasse des champignons (il m’en donne beaucoup), il vit seul à Bordeaux la semaine, à Cambo le week-end.

Il n’est jamais malade, un bilan sanguin deux fois par an, une vérification de la tension de temps en temps, il a 78 ans.

Son bilan sanguin montre des anomalies, un marqueur du cancer de la prostate très élevé, une anémie et des perturbations montrant indirectement des problèmes osseux.

Il arrive toujours en sifflotant des airs me rappelant des troisièmes mi-temps de rugby. Boga Boga, les fêtes de Mauléon, la pena baiona. Il rentre toujours en me lançant un « Agur » sûrement pour me rappeler nos origines communes et je lui réponds des bêtises à consonances d’Euskadi : Etchéona, Bidegaray, voire… Rika Zarail vu ma non connaissance de la langue du 64.

Je le fais toujours rire quand je prends cet accent caractéristique que je plagie.

Mais aujourd’hui je ne rigole pas, il va falloir lui faire faire des examens complémentaires et ce n’est pas gagné!!

« Alors Robert,  je te le commente ce bilan?

– Pardiou, tu crois que je suis là pour te compter fleurette?

– Tu te lèves souvent la nuit pour uriner?

– Tu ne peux pas dire pisser comme tout le monde, monsieur le snob?

– si tu veux, Roberto mais je suis un peu inquiet pour tes analyses.

– Quoi? J’ai un problème?

– ça serait bien d’aller voir un urologue!

– Jamais, tu m’entends petit, jamais, never, never !

– Tu parles anglais maintenant mister Robert?(reculant l’échéance du verdict verbal)

– Arrête tes sottises, j’ai quoi, un cancer?

– Je ne peux pas savoir, il faut des analyses supplémentaires, une biopsie une scintigraphie.

– Ecoute moi bien, petit, que j’ai le cancer, la cangite, la pécole, je m’en fiche, elles passent samedi à Irraty.

– Elles passent ?

– Inculte, innocent, toubib de la ville bien sûr qu’elles passent les palombes, alors ton cancer tu l’oublies et moi aussi ! »

Ce premier entretien pour annoncer à Robert qu’il a sûrement un cancer de la prostate avec des métastases osseuses est un échec total. Il est plus préoccupé par la chasse de samedi que par le diagnostic.

Je ne l’ai pas revu pendant six semaines. Evidement il ne connait pas les portables et, si on veut le trouver, il faut appeler au Café des Sports dans son village.

Il revient au bout de deux mois,  sifflotant, béret et makila .

«  Alors petit, tu vas m’annoncer quoi aujourd’hui, le crabe, l’infarctus, la grossesse? »

J’essaie d’être très sérieux, rôle de composition dans ce cas.

« Tu es décidé à faire des examens ?

– Bon diou, mais petit tu es plus têtu que mon fronton à Guéthary, au moins lui il a des fissures !

-Mais Robert, je suis là pour te soigner sinon tu ne viendrais pas ?

– Ecoute moi toubib, je sais très bien que tu es un excellent médecin, que tu m’apprécies beaucoup, mais là, tu m’embêtes, je sais que j’ai sûrement un cancer, des bébêtes dans les os vu la douleur dans ma colonne mais je ne veux pas me soigner, c’est des poisons toutes ces médicaments ! J’ai vu mon copain Peio dans la palombière samedi. Il avait la maladie, on lui a fait la chimio, les rayons, l’opération et résultat aujourd’hui il est maigre comme un coucou, il n’a plus de cheveux, il pisse dans son pantalon et sa femme n’a plus vu le loup depuis six mois alors tu comprends je préfère rester comme je suis. Je n’ai pas d’enfant, pas de femme régulière et je veux continuer ma vie jusqu’à que je ne puisse plus rien. A ce moment là, le cinq coup automatique il ne sera pas pour une pauvre palombe mais pour bibi!

– Au moins le basqoï tu es clair! »

Ma sympathie pour Robert est immense mais mon devoir de guérir mes malades est encore plus grand. Je sais très bien que je peux lui éviter des souffrances à venir mais le malade est maître de son destin. Je doute de ma force de persuasion, je suis tracassé et ce soir là mon stilnox est nécessaire.

La nuit portant conseil, j’ai eu une idée. Il m’a souvent proposé d’aller à une partie de chasse dans sa palombière.

Je vais y aller samedi,  je vais parler à ses amis de trente ans, ils  arriveront peut être à le convaincre.

Je ne vais pas vous raconter en détail cette journée. Je vous dirai seulement que je n’ai pas vu ni tué le moindre volatile, mais que l’Irouleguy, le Patcharan, l’Izarra n’ont plus (hic…)de secret(hic…) pour moi (hic, hic, hic…).

Cela dit, avant cette beuverie, j’ai discuté avec tous ses amis (Manech, Patchi, Peso etc… (en phonétique).

Ils m’ont tous dit : « Tu es mignon toubib mais Roberto, il est plus têtu qu’un truite de Baïgorry, tu ne pourras rien faire .

Laisse tomber ! »

Cela fait douze ans, Robert n’a jamais fait d’examens ! Il a sûrement des métastases osseuses, il se lève dix fois par nuit, il est fatigué, il a 90 ans mais toujours en vie .

Alors, parfois je me pose des questions, j’ai des doutes et pas de réponses. Je sais seulement que le mental d’un homme est plus fort que toutes les médecines !

 

 

 

27 Oct

L’appel

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 » Tu viens avec moi petit?

– Mais où ?

– Te donner la vocation pardi! »

J’ai onze ans, je passe un week-end chez mon » meilleur » ami, comme on dit lorsque l’on est bambin. Son papa est médecin de campagne, un vrai!

Il a un pantalon en velours marron, une veste en tweed et un pull-over à col roulé. Je saute dans sa vieille deux chevaux Citroën à coté de celui qui va devenir mon guide, mon dieu, mon Hippocrate à moi!

Les petites routes sinueuses du Gers, les champs de tournesols, les prairies à perte de vue, les coups de klaxon pour saluer le paysan devant sa meule et la vieille dame en noir partant au village, sûrement à la messe dominicale : je suis aux anges!

Mon copain a préféré rester chez lui car, voyant son papa travailler si dur, il a acquis une certitude : il ne sera jamais médecin!

L’honneur d’être seul avec le docteur du village me comble de joie. Il prend un petit chemin de terre bordé d’hortensias, la vielle voiture saute de trou en trou dans un nuage de poussière pour arriver devant cette vieille ferme aux volets bleus « Lescoure ».

Je n’ose pas descendre, ce qui a le don d’énerver notre toubib!

« Tu veux que je te porte petit, ou tu descends tout seul ? Allez, dépêche toi… vite !!

– Oui, oui j’arrive.

L’odeur de cette maison est encore dans ma mémoire : les restes du feu de cheminée de la veille se mélangent avec harmonie à celle de la garbure qui chauffe dans la cuisine.

« Alors, elle est où, cette Adrienne?

Le vieux paysan a gardé son chapeau et sa salopette bleue. Il nous indique la chambre du fond. Je me sens timide, mais tellement excité de voir ma première malade!

 » Allez, prends mon cartable petit pendant que je me lave les mains. »

J’accomplis ce jour-là mon premier  devoir d’apprenti médecin !

Il rentre dans cette chambre où le plancher sentant encore la vieille cire semble crépiter à chaque pas de mon premier maître.

 » Alors, mon Adrienne, toujours cette mauvaise toux? »

La pauvre malade prend sa main et le regarde fixement pendant un long moment. D’une voix faible, elle lui chuchote :

 » Mon cher docteur, cette fois-ci c’est la fin. Vous avez tout fait, vous êtes un bon thérapeute et surtout un grand humaniste mais là, seul un miracle peut me sauver. »

Mon maître semble alors très perturbé. ll se baisse, s’assoit sur le rebord du lit, lui fait un baiser sur le front en lui disant à voix basse :

 » Vous êtes formidable de courage mon Adrienne, je serai toujours là pour vous. »

A ce moment précis, ce dimanche matin du printemps 1968, à 11h05,  j’ai reçu un appel d’une telle force que j’ai su alors que rien ne pourrait m’ empêcher d’atteindre mon but!

Je serai Médecin !!!!!

25 Oct

Les maux dedans #9

cigars_drmaison

Les séances se succédaient à un rythme infernal, souvent très courtes, parfois sans rien, parfois pour parler de lui, de la dédicace que lui avait écrite ce psychiatre de télé Gérard Miller, un de ces amis intimes!  (et dire qu’il déteste Ruffo le vulgaire) .
Une anecdote fumante! Un jour, au détour de la séance,  je lui demandai de m’excuser car je ne pouvais pas  venir vendredi. Je devais aller à Genève pour un congrès de phlébologie. Il se mit une fois de plus dans une colère énorme, hurlant que je n’avais pas le droit, que de toute façon je devais payer cette séance et celle où j’étais absent et que c’était la dernière fois qu’il acceptait cela. J ‘avais déjà entendu qu’en psychanalyse le patient doit payer les séances qu’il annule au dernier moment, mais là j’étais surpris. Mais, avec lui ….

La véritable surprise arrive le lendemain. Il me téléphone sur mon portable personnel à 22h.

 » Docteur ??? Vous partez bien à Genève vendredi ?

– Oui.

– Alors ramenez moi une boite de cigares, les xxxx, ceux que fumait Jacques Lacan. Ils ont une forme tordue !

– D’accord ….. à lundi.

– C’est ça à lundi ! »

Je résume : il me fait payer une séance où je ne peux pas venir mais il m’appelle pour lui ramener une boite de cigares. Il me parle de Jacques et moi dans tout cela, qu’ai-je fait ? Je lui ai ramené une boite de 20 cigares très chers et je me suis bien juré d’en parler à personne vu la honte de mettre fait avoir comme cela.

Le lundi suivant j’ apporte les cigares que je dépose sur son bureau, pas un regard, pas un mot, juste un signe de la main m’indiquant de m’allonger.
J’ai envie de lui en parler, je ne peux pas, je ne dis rien et lui non plus. Deux minutes comme cela! C’est long, très long… puis il me sort:  » Bien, on en était où ? »

Cette séance fut atroce pour moi, j’avais l’impression que tout s’écroulait. Tous les progrès s’arrêtaient net. J’avais honte de ma faiblesse. Bon dieu, Antoine quand auras- tu des ….. ?
Lui, imperturbable, « alors on en était ou ???? »

– Je vous parlais de mes malaises.

– Vous en avez refait ?

– Non !

– Bon, c’est génial la psychanalyse ! J’ai psychanalysé un de nos confrères, docteur Untel.

Là,  une sueur froide me traversa le dos !! Il vient de me dire le nom d’un de mes amis intimes que je côtoie souvent, mais où est le secret médical ? Peut -être fait il de même avec moi ?

 » Et j’ai soigné ses maux d’estomac ! Je me permets de vous le dire car je sais que nous sommes entre nous et que vous ne dévoilerez pas cela .

– Non mais j’espère que vous ne ferez pas de même avec moi !

– Bien ! 45 et en liquide svp !

En sortant de là je n’avais qu’une envie c’était d’aller voir mon copain qui avait donc été comme moi défragmenté par le docteur Mie. Pas facile d’aborder cette relation! Aussi je me suis dit que l’occasion se présenterait un jour et que cela serait mieux.
Il ne fallut pas longtemps. Invité chez un réalisateur de cinéma je retrouve le psychanalysé de dr frisette. Après quelques verres j’aborde la discussion de façon très hypocrite mais néanmoins subtile.

 » Comment vas- tu, Vincent ?

– Super et toi ?

– Ecoute, j’étais pas loin du « burn out » et, pour éviter de cramer,  je suis allé me faire refroidir chez un analyste Lacanien.

– Chez qui, si ce n’est pas trop indiscret ?

– Pas du tout , chez Philippe Mie .

– Ce mec est fou, arrête ça tout de suite.

– Tu le connais ?

– Oui, j’ai subi ses travers pendant 6 mois.

– Eh bien, moi cela fait deux ans et c’est bizarre mais mon avis est partagé.

– Comme tu veux mais ne deviens pas comme lui.

Je suis content de partager avec un très bon ami ce docteur Mie mais je suis très perturbé qu’il pense que cet homme soit fou.

23 Oct

Père et fille

sucette_drmaison

Myriam est handicapée mentale moyenne comme ils disent. Elle a un faciès ingrat avec une grande bouche, des lunettes à triple foyer. Elle est la fille de Farida.

Farida a eu une cirrhose alcoolique il y a dix ans. Elle est décédée il y a 4 ans. Elle vivait avec son ami Youssef depuis plus de 30 ans.

Myriam ne connait pas son père. Elle s’occupe de la maison selon ses moyens, fait le ménage, la vaisselle, le linge. Elle va dans un CAT pour faire des petits travaux trois fois par semaine.

Depuis la mort de sa maman, Youssef s’occupe d’elle, l’amène souvent en bus (il ne conduit pas). On ne peut pas dire qu’elle est malade, elle ne prend aucun médicament mais ils viennent me voir une fois par mois. C’est un couple bizarre, il est attentionné, lui prépare ses repas. Elle ne l’appelle ni papa, ni Youssef. Elle dit lui ou il.

Je n’arrive pas à savoir ce qu’elle pense, je ne sais si elle est heureuse, malheureuse, si elle comprend, si elle a des émotions.

Lui, il était concierge dans l’immeuble. C’est là qu’il a rencontré Farida et Myriam. Il a toujours une vieille casquette des Girondins que je lui ai donnée. Il ne la quitte pas, on pense même qu’il couche avec. Quand il vient me voir pour Myriam, il me laisse toujours 1euro en plus. Il me dit « c’est pour la sucette du petit ! » (oubliant sans doute que mon fils chéri aujourd’ hui a 26 ans !

Lui, il n’est jamais malade ! Il accompagne Myriam, se fait prendre la tension et repart, été comme hiver avec trop de vêtements, ce qui lui donne un corpulence reconnaissable. Il m’invite souvent à manger son couscous du vendredi et reprend son petit accent marocain « C’est le meilleur du monde, docteur ! Venez manger avec votre gazelle et les petits gazous ! »

Un jour, Youssef amène Myriam. Elle est très enrhumée, il est attentionné, l’aide à se déshabiller. C’est vrai qu’elle est maladroite. « Elle renverse tout me dit-il, elle casse une assiette par jour! »

Cette association fille beau-père est touchante. Il est si gentil avec elle et, elle, si imperméable à tout. Son sourire permanent ne permet pas de pénétrer dans son univers. Comprend t’elle, ressent-elle des émotions, des tristesses, de l’affection?

Lui aussi il sourit, toujours affable, généreux. Il ne sait pas lire. Il me demande souvent de lui traduire des feuillets administratifs. Je lui conseille souvent d’aller voir une assistante sociale pour s’occuper d’eux. Il refuse toujours, il ne veut pas que l’on rentre dans sa vie. Je suis la seule personne qu’ils côtoient. Pas d’ami, pas de famille, personne ! Seulement elle et lui !

Dès qu’elle est soufrante, fatiguée, il vient. C’est la sortie de la semaine, du mois.

Je ne suis allé chez eux qu’une fois. L’appartement est petit, très propre. Pas de photos, pas de décoration. Seul un vieux » transistor » fonctionne toute la journée, ils sont hors du temps, ils vivent en vase clos.

Il a un sacré caractère! Si j’ose lui demander d’aller consulter un spécialiste, il refuse toujours. Pourtant il en a besoin, ce pauvre Youssef ! Il n’entend rien, il y voit très mal et sa dentition me rappelle la mienne après mon match à Lavardac où les phalanges du deuxième ligne m’ont enlevé mon sourire naturel à tout jamais.

Un jour, panique à la maison ! Youssef m’appelle. Il est gêné. Myriam a vomi et se sent épuisée.

« Elle n’est pas enceinte, docteur? »

J’imagine mal comment la pauvre Myriam pourrait avoir eu une relation mais on ne sait jamais ..

« Je lui fais faire un test, Youssef.

– Tu es d’accord Mymi ?

– Oui, d’accord. » (en sachant très bien que si il lui avait posé la question inverse elle aurait répondu la même réponse !)

Evidement le test est négatif et Youssef semble soulagé non pas de ne pas avoir un enfant de plus à la maison mais il me dit :

« L’appartement serait trop petit ! »

Myriam est toujours identique à elle même, enfermée dans une bulle étanche à toute sensibilité.

Youssef est souriant mais je lui trouve mauvaise mine.

« Il faut faire un bilan Youssef!

– Jamais, tout va bien.

– Si, tu dois en faire un, je te trouve fatigué.

– Je veux bien mais c’est toi qui le fais!

– Ok, je passe demain avec les tubes. (J’adore faire les bilans sanguins ; cela me rappelle mon enfance quand j’accompagnais mon papa)

Le lendemain, il n’ouvre pas la porte et il y a juste un papier écrit d’une autre main que la sienne « je passerai te voir au cabinet docteur, j’ai dû partir amener la petite. »

Il n’est jamais venu. J’ai essayé de téléphoner plusieurs fois en vain. Je me dis que, de peur d’avoir une prise de sang et de savoir son diagnostic, il refuse de voir la seule personne qu’il connaisse: moi!

Je téléphone au CAT où elle travaille. Surprise, la responsable me dit qu’elle ne vient plus car son beau-père a prévenu qu’ils sont partis en famille en dehors de Bordeaux. J’émets des doutes sur ce départ car il m’a toujours dit qu’il n’avait pas de famille.

Alors, je décide d’y aller !

Je sonne plusieurs fois sans réponse. Puis j’ose frapper à la porte en m’étant fait ouvrir par une voisine. Elle aussi ne les a pas vus depuis un mois.

Elle m’ouvre la porte habillée avec un gros manteau et un bonnet en laine (type les bronzés font du ski ).

Il fait un froid glacial, elle me regarde en souriant et me dit un bonjour comme si je l’avais quittée la veille.

« ça va Youssef?

– Il est dans sa chambre.

Je rentre dans sa chambre et là, je vois le pauvre Youssef au fond du lit, gris, maigre comme un squelette. Il a des assiettes, des compotes, une compresse sur le front. Il est agonisant incapable de me répondre.

Depuis tout ce temps Myriam s’occupe de lui, le soigne, lui fait la toilette. Moi qui pensais qu’elle ne ressentait jamais rien enfermée dans son carcan autistique, elle s’est transformée en aide soignante, en infirmière en … fille dévouée pour son beau-père. Je ne sais comment elle a fait pour lui acheter les courses alimentaires, les médicaments. Elle est comme un animal auprès de son enfant malade. Je la croyais incapable d’avoir la moindre action sensée  et, par amour, elle trouve la force, l’intelligence nécessaire pour sauver celui à qui elle doit tout.

J’ai fait hospitaliser Youssef en urgence et j’ai négocié (avec grande difficulté) que Myriam soit hospitalisée en même temps.

Il a fait un ulcère de l’estomac et une énorme anémie. Le miracle humain s’est accompagné d’un sauvetage médical : six poches de sang, un anti- ulcère ont remis sur pied notre bon Youssef. Ils sont repartis main dans la main et, moi, une sucette cadeau pour mon fils dans ma poche.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

18 Oct

Les maux dedans #8

 

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Je m’attendais quand même à un commentaire ce lundi matin à 6h30! La porte était restée fermée plus que d’ habitude. J’avais franchi l’escalier avec aisance pour une fois et je m’installais dans cette salle d’ attente où l’odeur de 15 jours de fermeture provoquait un dégout immédiat. L’attente fut longue. J’entendais des bruits de modem, de fax, de reniflements, mais toujours auncun appel ! Au bout de vingt minutes le « Venezz  » fut plus agressif que jamais! Il ne m’adressa pas la parole et, d’un geste machinal, me montra le divan. Je m’allongeais et cherchais comment j’allais aborder son absence le jour du symposium. Eh bien là, aucun mot ne pouvait sortir : je balbutiais,  bégayais et je commençais à lui dire : « J’ai fait un malaise la semaine dernière . »

Au lieu de lui parler de tout ce j’avais sur le cœur, je lui parlais de mon cœur ! En effet, depuis quelque temps, je faisais des très gros malaises avec pertes de connaissance, toujours en public, jamais seul, très désagréable pour moi mais aussi pour mon entourage. Il s’en foutait royalement, il rangeait des papiers, reniflait sans cesse et me dit au bout de cinq minutes :  » Bien, cela fait 45 euros. J’ai augmenté comme tout le monde et en liquide svp ! »

En écrivant je suis entrain de penser que, vous qui me lisez ou vous qui me côtoyiez à cette époque, vous devez vous dire soit ce pauvre garçon est un simple d’esprit, soit un faible, soit un homme subissant une force suprême incontrôlable venant d’un dieu céleste.
Eh bien pas du tout, je pensais alors que tout était fait exprès dans un but thérapeutique, tout était calculé et je pensais que l’histoire de la couleur rouge allait se reproduire, que j’allais trouver des explications à tout. J’y croyais dur, je savais que les Lacaniens étaient spéciaux et je n’arrivais pas à détester ce docteur Mie. J’étais obligé de mentir par omission ou mentir carrément à mon entourage familial tellement je me rendais compte que j’étais bien le seul à pouvoir accepter le comportement de mon thérapeute.

Je fus conforté du bienfait de ce Génie de docteur Mie lors d’une séance d’un vendredi d’automne. Mes malaises devenaient de plus en plus fréquents et j’avais dû réaliser une batterie d’examens pour en trouver l’étiologie .
Rien, rien dans les scanners, ecg, eeg, irm, sang et autre fond œil! Je devais en parler à mon « dentiste lacanien ». Je lui racontais ces malaises avec une description très proche de la réalité. Pour une fois je le sentis à l’écoute. Bien que ne le voyant pas parce que situé derrière le divan,  j’entendais la plume de son Mont Blanc grincer sur les feuilles de son fameux petit carnet. Ce jour-là il ne me dit qu’une phrase mais quelle phrase !

 » Citez moi les personnes présentes lors de vos malaises ? »  Je réfléchissais et j’énonçais: « ma femme, des amis… »

– Oui précisez, précisez ! (en colère)

-Sylvie

– Qui est Sylvie ???

– C’est la femme de mon meilleur ami qui est maintenant décédé.

– Précisez, précisez je vous dis ! (on aurait dit qu’il était en transe).

Il y a 7 ans, j’ai perdu Eric sur un terrain de rugby, en plein match. Il a fait un arrêt cardiaque et, devant 5000 personnes, j’ai essayé de le réanimer en vain. Sa femme Sylvie était là et je m’en veux encore de n’avoir pas pu empêcher la mort de celui qui était un autre moi-même.

 » Etait-elle là à chaque malaise, oui ou non ?

– Oui.

– Bien, restons en là, cela fait 45 euros en liquide svp. »

Cette séance m’a bouleversé ! Bien sûr j’avais dû me remémorer la mort d’Eric mais aussi penser au doute que je traversais sur les compétences ou sur l’imposture ou voire même le charlatanisme de ce dentiste échevelé psychanalyste.
En remontant dans ma voiture, j’étais comme sonné, ko. Je ressentais un malaise énorme, j’avais l’impression de me retrouver en ce 29 octobre 1995, sur un terrain de rugby avec un froid glacial et un silence sépulcral. Je venais de comprendre la raison de mes pertes de connaissance ! Enfin je croyais avoir trouvé car c’était seulement mon interprétation sachant que Mie n’avait fait que poser la question :  » avec qui étiez-vous pendant vos malaises ? » C’est moi qui ensuite avais analysé, qui avais donné une réponse à cette question : « quelle pathologie organique ou pas peut entraîner une bradycardie et un arrêt cardiaque ? »

Vous allez tous en conclure, banal, il fait un transfert ! Certes je pense que l’on pouvait parler de cela mais je pense qu’il avait quelque chose de plus, une force indescriptible. J’ai compris comment des hommes ou des femmes pouvaient tomber dans l’aliénation d’une secte alors qu’ils présentent une intelligence tout à fait normale. Je ne parlais à personne des dérives bizarres et originales du doc et je ne racontais que l’histoire du pull rouge et des malaises « Ericien ».