17 Oct

Toi mon amour, toi mon enfer

vieux_drmaisonIls se détestent depuis 45 ans !

Ils sont mariés depuis 46 ans !

Quand ils viennent au cabinet, c’est toujours le même scénario : rendez-vous 16h, arrivée 15h30. Passage devant la secrétaire, monsieur soulève son chapeau en guise de bonjour, il précède sa femme de façon inélégante sans lui retenir la porte. Il fait couler son café de la machine. Elle arrive, péniblement en soufflant, et parlant seule à voix basse : « ça lui écorcherait sûrement la main de me tenir la porte à ce gros bonhomme ! ».

Il boit son café, discute de façon agréable avec les autres patients sans se soucier de sa femme. Il se retourne devant la secrétaire pour demander si j’ai du retard et prend un de ces journaux qui sont dans ma salle d’attente depuis si longtemps (un Match des années 90 ou un VSD annonçant la mort de François Mitterrand.) Cela a le don de le mettre en en colère « on va lui prêter des sous à ce toubib, il pourrait renouveler son stock ! »).

Comme une tortue, elle arrive juste pour s’asseoir mais jamais à coté de lui ! Elle ne dit rien aux autres,  continue à marmonner : « Quel malotru ! Mon mari ne m’a jamais aidée, moi qui suis handicapée par mes douleurs et mon embonpoint ». Parvenu (comme elle le souhaitait) à ses oreilles, il lui lance un regard mitraillette en lui infligeant à haute voix devant des patients surpris : « Toi, si tu n’es pas contente, tu n’as qu’à pas venir avec moi ! »

Il reprend alors son sourire VRP (son ancien travail) et discute avec les autres.

C’est à leur tour, je viens les chercher. Lui se lève le premier et passe devant elle en lui disant : « Je passe devant, j’ai besoin de lui parler ! ».

Ils ne passent jamais ensemble.

«  Alors, mon cher docteur, comment allez-vous ?

(Je n’ai absolument pas le temps de discuter de moi, alors j’embraye très vite.)

– Tout va bien, que me vaut l’honneur de votre visite ?

– Je vais la tuer ! Elle m’insupporte, elle ne fait que manger, râler et parler toute seule !

– Vous n’êtes pas venu pour me dire que cela ? Je sais que vos relations sont tendues mais quand même !

– C’est vrai, prenez-moi la tension, je dois exploser avec ce que je vis !

– 18/10, c’est trop !

– Je vous le dis, je vais me retrouver hémiplégique et il ne faudra pas que je compte sur elle pour pousser le fauteuil.

Je lui donne un médicament hypotenseur et lui prescris un bilan.

« Surtout, ne lui dites pas, elle serait trop heureuse ! »

Un peu comme les vieilles dames des bandes dessinées, elle arrive en boitant, couverte d’un manteau et d’une écharpe augmentant un thorax très développé (au moins un 100 G) s’opposant à des jambes très fines et des petits pieds serrés dans des chaussures à talon.

« Alors, qu’est ce qui ne va pas chère madame ?

– Lui !

– Pourquoi lui, c’est quand même pour vous que vous êtes venue ?

– Oh moi, surtout ne me soignez pas ! Je préfère mourir que de rester avec cet ignoble personnage. Il me parle mal, il boit, il me trompe.

– Il vous trompe ? (un peu surpris de voir ce monsieur de 81 ans faire des écarts dans sa vie conjugale).

– Il remonte soi-disant le moral de l’épouse de son ami d’enfance décédé récemment.»

J’ai un petit sourire car je connais très bien cette dame respectable âgée de 86 ans et je n’imagine pas un seul instant une « liaison fatale » entre les deux protagonistes… enfin on ne sait jamais !

Je lui renouvelle ses médicaments en écoutant les différentes plaintes : il ne s’occupe jamais du chat, il met le son de la télévision trop fort car il est sourd et refuse de se faire appareiller, il ronfle, il l’énerve quand il fait sa gym au milieu du salon, il ne regarde pas un match le samedi mais il en regarde sept !

« Je le hais, docteur ! »

J’essaie de compatir et lui demande pourquoi ils n’ont pas fait une séparation avant, sachant que lui aussi se plaint.

« Où voulez-vous que j’aille ? Il m’a toujours empêchée de travailler, il fallait que j’élève les enfants et que je m’occupe de lui !

Je le vois parfois tout seul sans sa femme.

Il aime venir se plaindre lui aussi.

« Elle me gâche ma fin de vie, j’ai travaillé comme un fou pour lui donner un confort de vie, elle passe son temps chez le coiffeur pour son brushing, elle a une femme de ménage 10h par semaine et je n’ai pas le droit de regarder un match à la télé ! Docteur, je la hais !

Les mêmes mots, les mêmes gestes. Pourtant toujours ensemble depuis si longtemps. Pourquoi n’ont-ils pas divorcé avant ? Seraient-ils plus heureux séparés au lieu de se battre psychologiquement jour après jour. En les voyant, je pense toujours au couple Signoret-Gabin. Même leur chat complète le tableau !

Un dimanche, il est 15h et elle m’appelle chez moi.

« Allo docteur, venez vite, je crois qu’il est arrivé un drame chez nous, venez ! »

Je n’ai pas eu le temps de poser quelques questions, qu’elle a raccroché.

J’arrive dans cet immeuble bourgeois, l’odeur du poulet dominical est présente dans toute la maison. Elle m’attend inquiète.

« Docteur, on s’est disputé pour une bêtise ce matin, il est monté dans le grenier vers 10h et quand je l’ai appelé pour manger, il ne m’a pas répondu. Comme il faisait sa mauvaise tête, je n’ai pas insisté. Mais là, je suis inquiète, car ne pas venir manger son poulet c’est impossible ! »

Voir cette vieille dame, qui, il y a quelques jours, me disait qu’elle le haïssait dans cet état de stress me touche et me surprend.

Je monte très vite (enfin, avec un genou en métal, on monte comme on peut !) et je frappe à la porte du grenier.

Il ne me répond pas, la porte est fermée. Comme à la télé, je recule et d’un coup de pied magistral j’éclate la porte (j’ai l’impression d’être Starsky ou Hutch).

Je l’aperçois couché dans un vieux lit, une couverture le recouvre. J’ai peur du pire, je le secoue, je lui crie dessus : monsieur ! monsieur !

(se levant brutalement) « Qu’y a-t-il, qu’y a-t-il ? »

Son haleine me donne le diagnostic rapide : il est saoul ! Il remet ses prothèses auditives qui émettent un sifflement strident.

« Mais que faites-vous là ? »

Je me rends compte que pendant ce temps, sa femme pleure en silence dans le coin de la pièce. Elle s’approche de lui, lui prend la main et lui murmure tout bas : « tu m’as fait peur vieux maboule, je croyais que tu étais mort. »

Il lui prend la main, lui fait un petit bisou sur le front :  « Elle m’enquiquine souvent mais c’est quand même ma petite femme chérie ! »

Le plus heureux de cette scène c’est le gros vatapa, ce beau chat qui semble se réjouir de voir ses maîtres en parfaite harmonie. Il ronronne de bonheur, le vieux fauteuil en cuir lacéré par tant de coup de griffes en témoigne.

Des années passent, le couple vieillit, oubliant les rancœurs du passé, ils arrivent à se respecter.

Il m’appelle un matin, inquiet, car sa femme ne va pas bien du tout. Ce n’est qu’une vilaine bronchite, mais de voir son empressement à m’appeler, à aller chercher les médicaments à la pharmacie, je me rends compte de l’immense affection et tendresse qu’il lui porte. J’ai dans la tête la chanson de Brel :

 « Les vieux ne meurent pas, ils s´endorment un jour et dorment trop longtemps

Ils se tiennent la main, ils ont peur de se perdre et se perdent pourtant

Et l’autre reste là, le meilleur ou le pire, le doux ou le sévère

Cela n´importe pas, celui des deux qui reste se retrouve en enfer

Vous le verrez peut-être, vous la verrez parfois en pluie et en chagrin

Traverser le présent en s´excusant déjà de n´être pas plus loin

Et fuir devant vous une dernière fois la pendule d´argent

Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, qui leur dit : je t´attends

Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non et puis qui nous attend. »

 

15 Oct

Plus fort que tout !

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J’ai commencé ce blog sans savoir. Aujourd’hui je sais !

Mon rituel du matin, tôt dans la fin de la nuit j’écris mes histoires. Je vois que cela vous touche, vous donne un rire, un sourire, une larme. Moi je suis souvent ému en me rappelant ces drames, ces beaux moments de vie, ces situations bizarres qui font mon quotidien depuis trente ans. Alors j’écris, j’écris, j’aime faire plaisir, j’aime donner.

La période hivernale est malheureusement propice aux maladies et donc mon travail augmente. J’ai peur de ne plus avoir la même spontanéité dans mes écrits.

Je ne veux surtout pas arrêter, je veux donner mais donner mieux. Je veux de la qualité à défaut de quantité. J’ai besoin de faire cela pour vous mais aussi pour moi. Ma vie de médecin est parfois très dure moralement, ce blog me permet de mieux la supporter. Je ne sais comment vous exprimer mon bonheur quand je vois vos commentaires, vos avis, vos réactions. Alors oui je continue mais en vous distillant mes histoires je vais essayer de vous faire autant de bien que vous vous me faites.

J’adore cette phrase de René Char : »Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder, ils s’habitueront »

Tout est dit dans cette maxime !

En fait, non, il en manque  une partie : la lune est belle.

 

Antoine, votre doc

 

14 Oct

Clavardage

 

machine à écrire_drmaison

 

À vous qui me lisez en ce lieu virtuel

Où j’ouvre insouciant mon coeur à vos sourires,

Sachez que pour livrer à vos yeux mes délires,

Je me dois, de l’amour, cesser le rituel.

 

Voyez dans mes écrits combien l’âge me pèse

Combien l’art du clavier s’empare de mon temps,

Et, même si ma fleur sait le poids de mes ans,

Le Dimanche, pour vous, c’est elle que je lèse.

 

Reparlons de ma fleur, mon petit écureuil,

Séduite comme vous par mes péripéties,

Mais, au jour du désir, toutes les facéties

Que je portais si bien; plus le moindre clin d’œil!

 

Parlons de mes amis, dont cet apothicaire

Hermétique à l’humour comme sont ces gens là,

Mais tellement sensible! Il m’écrit que « Voila,

Rien n’est mieux qu’un bon blog pour apprendre à se taire »!

 

Je ne me tairai pas! j’aime tant vos avis!

J’aime par dessus tout humaniser ma cause,

Mais, si de mes écrits je réduisais la dose,

Vous, ma fleur, mes amis, tous en seriez ravis…

 

11 Oct

Gueule de bois

whisky_drmaisonPetit, trapu, une boule de muscles! Jean-Pierre c’est Ben Johnson, un ancien athlète qui courait le cent mètres en 10 secondes 32. Il me le dit dès sa première visite: « Jean-Pierre, 10s 32, bonjour ! »

Sa femme travaille pour l’Education Nationale. Passionnée par son métier, elle est professeur des collèges. Leur fille c’est l’enfant unique, bonne élève comme la mère, surdouée en sport comme le papa aurait voulu être !

Jean-Pierre aurait rêvé d’être un sportif de haut niveau :championnats du monde, jeux olympiques etc…Malheureusement il n’a été que champion du Lot et Garonne.

« C’est mon manque de gabarit et j’ai refusé de me doper, moi ! »

Il entraîne sa fille pour qu’elle fasse la carrière qu’il n’a pas faite. Il est tyrannique, surveille son poids et programme un à deux entraînements par jour.

Estelle aime son sport même si, comme elle le reconnaît, son papa est très dur. Elle franchit différents niveaux, de régional elle accède au national. Elle termine souvent à des places d’honneur que son père appelle déshonneur.

Jean-Pierre est un excessif en tout, il s’énerve souvent, crie après sa femme, sa fille, son patron. Il est directeur régional d’une grande boîte de distribution.

Il est tellement insupportable que mère et fille s’associent souvent contre lui. Estelle grandit, les petits copains arrivent et les entraînements s’éloignent.

Jean-Pierre est fatigué et contrarié de voir baisser les performances de sa protégée. La boisson est une triste mais réelle compensation. Il rentre le soir et boit plusieurs verres de whisky.

Un jour, violent, il s’est mis en colère contre sa fille et l’a giflée. La maman a voulu le calmer et il l’a bousculée.

Ne pouvant accepter cela, dès le soir même, elle et sa fille sont parties chez des amies. Elle est venue me consulter le lendemain.

« Nous avons tout pour être heureux, il gagne très bien sa vie (7000 euros par mois) nous sommes propriétaires de la maison, sa fille est belle comme un cœur, elle a certes arrêté le sport mais passe en deuxième année de kiné alors pourquoi, pourquoi docteur ? »

Il est difficile d’expliquer dans ce cas là l’intolérable, la violence, l’alcool, le lâcher prise.

Elle a demandé le divorce et a pris un appartement !

Jean-Pierre a très mal vécu cette séparation. J’ai réussi à lui faire arrêter l’alcool mais il a sombré dans une dépression sévère.

« Docteur, que faire, je suis mal à Bordeaux, on me propose un poste à Tours ? »

Difficile de répondre, un redémarrage dans la vie, une reconstruction, pourquoi pas? Il est parti ! Estelle est à Paris et ils se voient souvent le week-end. Il rencontre une jeune femme au travail… très vite, trop vite ! Ils vivent ensemble dans sa maison. Elle a un fils de 15 ans, il s’entend bien avec lui. Il lui propose d’en faire un champion d’athlétisme et, comme dans le livre « Lolita » … »il retomba toujours au même endroit » ! Même implication, même excès, même tyrannie !

Peu de temps après, imprégné d’alcool, il a, sur un coup de colère, démissionné de son travail, persuadé qu’il va en retrouver un autre au plus vite.

Pas de chômage, perte de ses droits sécurité sociale … le néant !

Trois ans ont passé et aucun travail ! Il est alcoolique violent. Elle ne le supporte plus. Elle lui demande partir. Il est dans sa maison. S’il part, il est dans la rue.

Un soir à 19 h, on frappe à ma porte. Je viens de finir mes consultations. Rentre un homme que je ne reconnais pas (mon pauvre Antoine, Alzheimer te guette !)

« Oh doc’, tu ne me reconnais pas ?

– Euh, non !

– Jean pierre, 10sec32 !

– Bien sûr ! Jean-Pierre ! » (il faut dire qu’il est bouffi, les cheveux longs, habillé en jeans, lui qui était toujours en costume cravate )

Il rentre et se met à fondre en larmes.

« Je n’ai plus rien, plus de logement, plus de travail, plus de femme, ni famille. Je ne sais pas où dormir ce soir. J’ai fraudé dans le train pour venir à Bordeaux, je n’ai plus de téléphone. Je vais dormir dans la rue.

Je croyais que cela n’existait qu’ à la télé. Là, devant moi, j’ai la misère humaine ! Du cadre commercial, marié avec une fille, il est devenu un de ces pauvres du XXI°  siècle que l’on croise le soir dans les rues.

J’ai eu de la chance dans mes démarches pour lui. J’ai sollicité mes amis, mes relations. Je me suis investi à fond et, sans en tirer aucune gloire, je peux dire que  j’ai réussi à aider Jean-Pierre.

Petit à petit, il a trouvé un logement, un petit travail, une sociabilité. Il a reconstruit ce qu’il avait démoli. Il revoit sa fille, il est grand père.

Je remercie toute cette chaîne d’union qui a permis cette renaissance. La résilience, ça existe !!

 

 

 

10 Oct

La lune est belle

lune_drmaison

C’est le genre d’homme que l’on appelle un emphatique. Il a 45 ans, la grande classe, le costume Hugo Boss toujours du dernier cri, une chemise blanche, une cravate pastel, des chaussures toujours bien cirées. La voiture gris métal, vitres teintées se gare toujours en double file. Il descend aussi vite que s’il devait prendre un train.

Il vient me voir régulièrement. Il déteste attendre, se met devant mon bureau pour passer avant les autres. Je le connais depuis dix ans et je ne peux dire quel est son travail, c’est du genre « consultant marketing business and communication « .

Il a une oreillette bluetooth en permanence à l’oreille et parle fort sûrement en direct avec New York, Londres ou Tokyo !!

Quand il vient me voir, il a préparé une fiche bristol pour soulever les points essentiels.

« Hi ! (il adore, comme Jean Claude Vandame, parler avec des mots anglais ) je viens pour many problèmes.

Hello Man (je lui fais donc une réponse très Vandame) Where is Bryan? in the kitchen ?

– Arrêtez de vous moquer doc’, je ne vais pas bien ! »

Il prend sa fiche et regarde : « tension artérielle? »

Je lui prends aux deux bras : 13/8 parfait !

Il raye sur le bristol et marque de son stylo Mont-Blanc plus gros que gros le chiffre rassurant.

– Insomnie ! When je vais au bed je ne dors pas, trop busy sûrement.

– Stilnox ?

– Oh, ok thanks, stilnox. »

Il barre insomnie.

« Maintenant doc’, examinez moi à fond, je pense que j’ai une grave pathologie au foie. »

L’examen clinique ne montre rien. Je lui propose un bilan. Il est ce genre de patient qui est un adepte d’internet pour diagnostiquer avant moi sa pathologie.

« Vu ma fatigue et ma gêne à droite, j’ai peut être une hépatite, un cancer du foie ? »

J’essaie en vain de le rassurer mais je lui confirme que ce n’est qu’après le bilan que l’on saura. Il m’interrompt prenant un appel auquel il répond par l’oreillette. Rayant le mot cancer sur la petite fiche et rajoutant un gros point d’interrogation. Il ne veut pas donner sa carte vitale, il me règle en augmentant le tarif, comme une aumône, palabrant sur le peu de reconnaissance des médecins.

Il revient toutes les semaines pour un nouveau problème. Il a eu le résultat du bilan, parfaitement normal. Aujourd’hui il a mal à la tête et, dans son questionnaire préparé, il est persuadé d’une tumeur cérébrale. Il veut un scanner !

« Je suis sûr que j’ai un glioblastome du tronc cérébral doc’!

– Pourquoi?

– Mal à la tête, fatigue, perte de poids :voilà ce que j’ai tapé sur le net et le diagnostic est évident ! »

Je lui explique les dangers de s’auto-diagnostiquer car les mots frappés sur le clavier auraient pu conclure par léger surmenage… mais il veut son scanner!

Il arrive une autre fois tout tremblant, mauvaise mine.

« Hello doctor, maintenant je l’ai !

– Quoi?

– Le cancer du colon ! »

L’examen, la symptomatologie et le contexte épidémique me font penser beaucoup plus à une gastro-entérite classique mais, avec ce style de malade, j’ai toujours peur. Je lui demande de faire mon traitement antigastro et nous explorerons plus tard s’il n’y a pas d’amélioration.

Chaque fois, je le vois déçu que je ne réponde pas à ses attentes, et pourtant il revient me voir car il dit qu’il n’ a confiance qu’en moi.

Cette inquiétude permanente me pousse un jour où je suis plus tranquille à lui poser des questions sur son stress permanent de la maladie.

Il me répond que tout va bien, qu’il n’invente rien que ses maux de tête, ses diarrhées, sa fatigue sont bien réels et que, si cela continue, il changera de médecin.

Il arrive un jour avec la main sur le coeur ayant des  difficultés à parler. Passant devant tout le monde, il s’avachit dans le fauteuil.

« Hi, doc’ je fais un infarctus, j’ai mal à la poitrine ! Ça me serre.

– Vous êtes stressé en ce moment?

– Ce n’est pas le problème, j’ai certes un gros souci de trésorerie  mais là j’ai mal !! »

Devant ce genre de signes je prescris toujours une demande de troponine (élevée dans les infarctus) et j’envoie systématiquement chez le cardiologue .

Il repart du cabinet presque satisfait que, pour une fois, je lui fasse faire un examen…preuve de mon inquiétude !

Le résultat une heure après est strictement normal, simple surmenage me confie mon copain cardio.

Il est secret sur sa vie personnelle. Je sais qu’il a deux enfants mais ne parle jamais de sa vie sentimentale en général. Aujourd’hui il est obligé de m’en parler car il arrive très inquiet:

« Je n’arrive plus à tout gérer doc’, je suis à bout, mes gosses, mon travail, ma vie intime.

Je suis surpris par ce « lâcher prise » et de le voir non pas connecté avec un businessman d’outre atlantique mais simplement avec la dure réalité de la vie.

N’ayant pas de temps ce jour là, je lui propose de venir manger le lendemain à midi dans ma cantine.

Evidement il arrive avec le quart d’heure de retard bordelais. Il rentre cheveux au vent, serre quelques mains, écrase sa cigarette et s’assoit devant moi.

« Désolé doc’, mon banquier est toujours en retard.

– Cela va mieux votre trésorerie ?

– Non, je vais déposer le bilan mais ce n’est pas grave, car, vu ce que j’ai, je n’en ai plus rien à faire !

– Vous avez quoi ?

– Le sida ! »

Pensant une fois de plus que son diagnostic venait du docteur Internet j’ose un petit sourire ..

«  Ne riez pas, pour une fois c’est vrai!

– Mais vous avez fait des examens ?

– Oui, j’ai donné mon sang et il m’ont téléphoné! »

A ce moment là, lui, qui depuis des années était soucieux, hypochondriaque majeur semble serein, décontracté. Il vient d’apprendre ce que certains ne supportent pas de savoir et lui semble heureux, libéré.

Il commence alors à tout me raconter, tout !

« Je ne vous ai jamais parlé, doc’ car ma vie est un secret. J’étais marié avec Isabelle, je l’avais connue à l’école, c’était la femme de ma vie. Nous avons eu un premier enfant, Baptiste, puis, très vite après, nous avons eu la petite Margaux. Après l’accouchement, Isa a fait une hémorragie, on l’a transfusée et, deux ans plus tard, on s’est rendu compte qu’elle était séropositive. Bêtement nous n’avons jamais rien dit, c’était notre secret. Nous avons dit à tout le monde quand elle a commencé sa maladie que c’était un cancer. Elle est partie deux ans plus tard. Depuis ce jour là, je n’ai jamais voulu faire le test, je suis venu vous enquiquiner toutes les semaines, je me suis inventé un cancer, un infarctus, une tumeur et, au fond de moi, je savais très bien que j’avais peur de voir la réalité en face. Je devais élever mes enfants, travailler, épargner mes parents .

Puis hier, mon fils a eu son diplôme d’ingénieur, ma fille est infirmière. Je suis allé donner mon sang pour savoir. Aujourd’hui doc’ je me sens bien, libéré de tant d’années de stress. »

Honnêtement j’avais beaucoup de mal à trouver ce patient sympathique, je le trouvais prétentieux, « frimeur » et hypochondriaque. Aujourd’hui, je découvre un homme merveilleux, humble, courageux, responsable. Je m’en veux de ne pas avoir pu déceler ses souffrances, d’avoir eu un jugement erroné.

Cela fait dix ans que cette histoire est arrivée. Il est soigné par tri-thérapie, ses résultats sont très bons, il est grand père et vit avec une très belle femme.

On peut parler de rémission sa charge virale étant toujours nulle. Il m’ a dit il y a quelques jours :

« Vous savez doc’, je suis en pleine forme, mes enfants et petit-enfant vont bien. Ma chérie est fabuleuse. Vous savez qu’en Asie quand par pudeur on ose dire à une femme qu’on l’aime on dit : «  la lune est belle !» . Alors, vraiment aujourd’hui, la lune est vraiment belle comme ma vie. »

 

 

09 Oct

Les maux dedans #7

psy_drmaisonJe pensais que pendant une analyse on se devait de parler de sa vie intime, sexuelle et je me promettais de révéler à mon confesseur frisoté, non des secrets d’alcôves mais peut être des questionnements, des doutes et des réflexions sur les notions de plaisirs, de frustrations, de différences homme et femme. Très motivé,  j’abordai cette séance avec détermination en me servant comme préambule du résumé d’une émission grand public qui m’avait interessé la veille. Alors qu’il ne parlait jamais, ce jour là,  je ne pus en placer une. Il se mit à délirer sur le pauvre docteur Rufo pédo-psy très médiatisé qui était l’ invité de cette émission.

« C’est un scandale, ce mec n’a rien compris! On ne doit pas vulgariser ce que le vingtième siècle a fait de mieux en imposant la psychanalyse. Je vous interdis de me citer cet usurpateur de la psychiatrie et je vous interdis de regarder ces émissions! Vous avez beaucoup mieux à faire et notamment préparer un colloque où je vous demande d’intervenir dans un mois sur les groupes pluridisciplinaires à l’auditorium. »
Alors là, j’étais paumé ! J’avais envie de progresser pendant mes séances et j’étais très frustré de ne pas le faire mais, d’un autre coté, je me réjouissais d’avoir, si l’on peut dire, séduit ce chef qui me mettait sur le devant de la scène en tant que conférencier psychanalytique lacanien.

J’ai préparé cette réunion comme un fou. Je présentais un cas clinique intéressant sur une ambigüité sexuelle d’un ou plutôt d’une patiente. Je faisais un effort de bibliographie en me tapant tous les derniers articles concernant ce sujet, j’apprenais par cœur mon contenu et,  le jour J, un samedi, je devais me retrouver à l’estrade avec lui et un psychologue parisien devant un parterre de médecins psy et autres personnes concernés. Eh bien, devinez ce qui se passa ? Il me téléphone 5 minutes avant le début sur mon portable (tiens, je croyais que c’était insupportable les portables) et il me sort avec une voix libidineuse:  » Antoine, je suis désolé mais j’ai dû partir en Bulgarie pour m’occuper d’un orphelinat et je ne suis donc pas là, veuillez m’excuser. »

Plusieurs réactions dans mon cerveau ébranlé : la peur de me retrouver seul, la déception de son absence, la colère de m’avoir pris pour un con et la surprise qu’il m’appelle par mon prénom ! Tout ça mélangé en 3 minutes alors que je dois parler devant 300 personnes !
La conférence s’est bien déroulée, néanmoins il me tardait de pouvoir lui exprimer ma colère lors de la prochaine séance . Celle ci n’arriva que 15 jours plus tard, vacances du Kouchner bulgare oblige! J’avais eu le temps de me calmer mais je digérai très mal son alibi bidon d’être obligé de partir 5 minutes avant une conférence prévue depuis six mois !

08 Oct

Les choux et les roses

drmaison_bébé

« Ils sont arrivés se tenant par la main », chantait Piaf.

Ils sont rentrés dans mon bureau, Benjamin que je connais depuis sa naissance et sa petite fiancée Marie-Lou. Ils ont à peine dix huit ans. Benjamin me présente sa chérie, étudiante comme lui dans une école de commerce.

« Voilà doc’, nous n’avons jamais eu de relations sexuelles et nous voudrions faire les choses comme il faut. »

Je suis surpris qu’à l’heure de la libération des jeunes un petit couple vienne me demander conseil. Est-ce mon étiquette de médecin ou celle de complice des jeunes qui pousse ces amoureux, en ce beau mois de mai, à venir me demander conseil, voire une permission pour réaliser la concrétisation de leur amour naissant.

Lui est sportif, joue au football à un très au niveau, elle prend plaisir à peindre ou dessiner.

Je suis un peu gêné, mal à l’aise mais je les félicite de cette démarche courageuse.

« C’est la première fois ?

– Oui.

J’ai expliqué l’importance de la prise de sang, de tous les tests et la nécessité de consulter une gynécologue.

Sans faire le vieux donneur de leçons, j’ai timidement parlé d’amour, d’honnêteté et d’avoir les plus belles conditions pour réaliser ce que l’on oublie jamais. Comme dit Brassens : « on oublie tout des campagnes mais on oublie jamais la première fille que l’on a pris dans ses bras « .

Je conseille bien sûr l’utilisation des préservatifs et d’une pilule contraceptive et leur redis toute mon émotion devant une telle requête.

Des mois plus tard, ils sont revenus plus à l’aise (moi aussi) pour renouveler les prescriptions, plus amoureux que jamais. Un rayon de soleil illumine ma pièce chaque fois que je les vois.

L’été est là, ils partent faire un voyage tous les deux et me demande une petite trousse d’urgence. Ils sont beaux, responsables, amoureux. Ce qui est merveilleux avec mon métier c’est que je revis tous les jours à travers mes patients toutes les étapes de ma vie, tous mes souvenirs de bonheur.

Cinq ans plus tard, Benjamin et Marie-Lou reviennent. Ils n’ont pas cet air touchant et attendrissant de la première fois, ils sont inquiets.

Marie-Lou a des douleurs pelviennes (bas ventre), elle présente de grosses hémorragies. Benjamin est très stressé. Je tente en vain de les rassurer mais je n’y arrive pas. Je demande des examens complémentaires, une écho, une prise de sang.

« Doc’, vous pouvez faire un test de grossesse. J’ai envie d’un petit footballeur ou d’une petite artiste alors on essaie… »

Fin de matinée, j’ai deux nouvelles à leur annoncer : le test BHCG est positif (elle est enceinte) mais l’écho est mauvaise. Il y a un doute sur l’emplacement : forte suspicion de grossesse extra-utérine. Elle doit aller vite à l’hôpital.

De voir ces amoureux me regarder avec leurs yeux d’enfants partir à la maternité me bouleverse. Hier encore, ils étaient si heureux de savoir qu’elle pouvait être enceinte, aujourd’hui ils sont dans le stress et le doute.

Je suis passé le soir après avoir eu le gynéco. Elle a fait une GEU (grossesse extra utérine). On l’a opérée et malheureusement on a dû lui faire une ablation de la trompe et de l’ovaire gauche.

J’essaie toujours de positiver (on m’appelle souvent Carrefour). Je suis un éternel optimiste!!

« Les petits ne soyez pas tristes. Premièrement, vous pouvez faire des enfants, vous n’êtes pas stériles, deuxièmement, il reste une autre trompe. La nature est bien faite !

« C’est sûr, doc’?

– Bien sûr.

Pendant trois ans, ils ont tout essayé pour faire ce petit footballeur ou cette petite artiste. Un véritable parcours du combattant !

Test de fertilité pour Benjamin avec la fameuse épreuve du spermogramme (on doit aller au labo et essayer dans une atmosphère hostile d’avoir une jouissance. L’imagination joue un rôle primordial vu le contexte…). Et pour elle, hystérographie, test de perméabilité, etc…

Hélas, l’autre trompe n’est pas perméable et le constat est là : Marie-Lou ne peut pas avoir d’enfant naturellement !

Commencent alors les fécondations in vitro, les injections d’hormones, les dates, les heures de rendez- vous précises, les attentes à l’hôpital, chez le gynéco…

Les fausses joies: ça y est, nous avons quatre embryons, il faut que ça tienne !

Une nouvelle déception, ça n’a pas tenu.

Pendant trois ans, ils passent de joies en peines, d’espoirs en désillusions. Puis, un jour, ils se rendent à l’évidence : « Nous n’aurons pas de bébé par ces moyens là ! »

Ils sont toujours aussi amoureux et je leur rappelle souvent la première fois qu’ils sont venus me demander « la permission. »

Leur désir est si grand qu’en ce lundi de juin, ils viennent me voir.

« Doc’, nous avons bien réfléchi, nous voulons adopter un enfant.

– C’est merveilleux les petits, j’aimerais tellement vous voir pleinement heureux !

– On sait, la route est longue mais on y arrivera. »

Pendant deux ans et demi, ils ont marché sur cette route si difficile du chemin de l’adoption : papiers, examens, visas etc…

Ils sont partis au Brésil. Un petit Anthony (un clin d’oeil pour mon prénom) attend son nouveau papa et sa nouvelle maman !

Ils sont revenus avec lui deux mois plus tard, un poupon frisé, souriant,  arrivant au paradis de l’amour au rythme de la samba.

 

Aujourd’hui Anthony est professionnel de football. Eux, ils vont le voir au stade… en se tenant par la main.

 

 

 

07 Oct

Pani problem

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Un jour, un poète a dit « pour réussir sa vie il faut faire un enfant, planter un arbre et écrire un livre. »

Quand il naît, il pèse 5kg600, c’est le phénomène de cette petite maternité de la Guadeloupe. Romuald est le premier enfant de Placide et Joséphine. Ils ont eu beaucoup de difficultés pour avoir cet enfant. De courbes de température en fécondation in vitro, le poupon arrive en vedette dans l’île du soleil et du rhum.

Je peux décrire cet univers paradisiaque car, un jour, j’ai décidé d’abandonner mes huîtres et mon bassin pour traverser l’Atlantique et goûter aux plaisir des cocotiers, accras et langoustes.

Je soigne les grands-parents depuis mes débuts. Ce sont les personnes les plus attachantes que je connaisse, ils ont l’art de transformer le morose en gaieté, la pluie en soleil, l’eau en…rhum.

Je ne vais jamais chez eux le matin, je passe en fin de journée. Le ti-punch m’est servi (après mon examen) et je repars chez moi avec une joie énorme et des pommettes bien rouges. (Heureusement j’habite à côté).

Romuald vit avec sa maman, le papa s’est égaré ailleurs. Elle forme avec lui un petit couple indissociable. C’est le poupon que toute petite fille a ou rêve d’avoir : des billes noires rieuses, des cheveux très courts, tout bouclé, un petit ventre rond avec un nombril saillant preuve d’un estomac toujours bien rempli.

Quand j’arrive pour mes vacances au pays des foulards et des madras j’ai le devoir de rentre visite à Joséphine et Romuald : ordre du grand-père, mon voisin bordelais.

Je ne peux pas oublier cette soirée : le décor, les saveurs de vanille et surtout l’accueil que je nomme « arrangé » en rapport avec les nombreux verres absorbés.

Romuald à 15 ans.

On dirait un homme ! Il pèse 100kg, mesure 1m 60, c’est un petit cube ! Il est essoufflé à chaque pas et, devant nous, à cet apéritif, se goinfre de lamblis de langoustes, d’arachides, de beignets de crevettes. Sa maman est presque fière de voir son chéri en grande forme. Moi, même légèrement éméché de Nelson ou Trois Rivières, je suis inquiet de la surcharge pondérale de Romuald.

La maman ne semble pas se rendre compte du risque pour la santé de Romuald. Elle est plutôt fatiguée par l’énergie et le caractère difficile de son fils.

« Il n’arrête pas, il faut que je me fâche tout le temps. Il ne fait que ce qu’il veut, docteur, je suis débordée mais il est si mignon que j’autorise tout.

Romuald de sa frimouse bien ronde nous envoie un beau sourire charmeur que je traduis en créole : paniproblem mam, laisse moi manger, je t’aime !

Mon séjour au paradis antillais terminé, dès mon retour je raconte au grand-père mon escapade et la rencontre de Romuald. C’est un vieux monsieur aux cheveux gris bouclés, une canne à la main mais droit comme un bâton. La salle à manger est une réplique d’un salon antillais. Des vieux fauteuils en cuir, un ventilateur au plafond et des odeurs de vanille imprègnent le salon. Je lui fais part de mon inquiétude pour son petit-fils, son poids, son caractère tyranique avec sa maman, l’épuisement de sa fille de devoir élever seule un enfant trop gâté.

« Il mange sa mère mon pov doc’ ! »

La simplicité de l’image de ce sage antillais correspond tout à fait à la réalité. Cet enfant surprotégé n’a pas de limite. Excessif en tout, il dévore sa maman qui, se culpabilisant de l’élever seule, lâche prise et cède à tous ses caprices.

« Je vais le faire venir à Bordeaux. Cela reposera ma fille et moi je vais lui apprendre l’autorité.

Romuald arrive en ce début d’année, plus gros que jamais ! Les 115 kg sont là et l’essoufflement majeur ! Il passe son temps dans le vieux rocking-chair à se basculer la Game Boy à la main. Le vieux papi essaie de lui parler gentiment, parfois en colère : rien n’y fait.

Romual semble complètement déprimé. Il faut dire que de passer des Trois Ilets à Lestonnat peut rendre triste un enfant né sur la plage des cocotiers.

A table Romuald mange très peu, son papi me le fait remarquer.

« Il ne mange rien avec nous à table et pourtant il ne maigrit pas d’un gramme, Doc il faut faire quelque chose !

Je décide de monter dans la chambre pour discuter avec le petit. Sa chambre est triste comme lui, pas un poster, pas un jouet ! Seule une photo de sa maman sur la plage des Salines avec son papa.

« ça va Romuald?

– ça va.

– Tu es triste de ne pas être avec maman là-bas ?

– Non, ça va, mais elle me manque.

– Ton poids, ça t’embête ?

– Oui parce que papi me gronde et je ne mange pas !

Il est allongé sur le lit et moi assis à côté de lui devant son bureau. Machinalement, j’entrouve le tiroir et découvre un nombre incalculable de papiers de Mars, Nuts et autres bonbons.

– Romuald, mais tu manges en cachette?

– S’il te plaît, ne le dis pas, ne le dis pas ! Papi va le dire à maman.

– D’accord, mais veux-tu faire un contrat avec moi ?

– Quoi?

– On va faire tout pour te faire maigrir et, quand tu seras au poids idéal, tu rentres chez toi avec maman.

– Et je pourrai jouer au basket comme Michael?

– Michael?

– Michael Jordan pardi!

Vu la surcharge, un simple régime ne suffirait pas. Alors, je décide de proposer au papi et à la maman un très gros sacrifice : partir pensionnaire pendant un an  dans un centre spécialisé des Pyrénées Orientales.  Les enfants y sont pris en charge avec sport, régime et suivi scolaire intense.

La maman est venue aux vacances de Noël. Le conseil de famille décide de suivre mon plan. Romuald est d’ accord à la seule condition : pouvoir un jour jouer au basket en club!

Il est parti en pesant 123 kg à seize ans !

En septembre suivant, il est revenu beau comme un dieu. Il a beaucoup grandi et a perdu 32 kg.

Sa maman est venue le rechercher si heureuse de le retrouver après un an de « diète affective ».

Je lui ai donné le maillot de Boris Diaw, capitaine de l’équipe de France que j’ai eu la chance de rencontrer.

Romuald joue capitaine de son équipe et est promis à un bel avenir professionnel et sportif. La vie est belle !

 

 

05 Oct

De l’autre côté du drap – la suite

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Je viens de me faire opérer de ma prothèse… du genou. Je quitte l’hôpital où j’ai été opéré et j’attends l’ambulance.

Deux hommes noirs en blouse blanche, chacun sosie de Cassius Clay et Teddy Rinner frappent à ma porte.

« On vient vous chercher !! »

Je suis toujours sous forte dose de morphine et je sommeille .

« Pour aller où ?

– (avec un humour décalé Teddy Rinner) à Cadillac !

– (moi, sans humour)  Mais pourquoi ?

– Vous êtes fou, docteur !

Je retrouve mes esprits

– Vous m’avez fait peur, je rêvais !

Le transport  en fauteuil roulant commence par un gymkhana dans les couloirs, je tourne, je vire et ……je vomis !

Evidement….. je croise un de mes patients qui passe un IRM !

« Docteur, vous étiez plus brillant quand vous m’avez fait arrêter de boire !

– Ah bonjour, désolé.

Je repars. Cassius me prend dans ses bras pour m’allonger dans l’ambulance. Je me sens petit, vilain, sale mais où est donc le docteur Maison?

L’ambulance démarre ! J’ai presque un petit bonheur: ils vont mettre le klaxon !

Je regarde la rue de la petite lunette de coté. J’ai l’impression de revivre après cette semaine terrible de souffrance. Les gens regardent l’ambulance arrêtée au feu rouge s’imaginant comme moi je le fais toujours: y a t’il un grave malade, une femme en train d’accoucher, un mort à l’intérieur?

Mais non, il n’y a qu’un pauvre docteur, tout jeune prothèsé !

J’arrive au grand centre de rééducation de la région.

Mon arrivée ne se fait pas dans la discrétion ! Je suis mal rasé, en short avec des collants de contention blancs. Le professeur Patrick Centre-Ville est là, entouré de toute son équipe (kiné, secrétaire, ergothérapeute ). Est-ce mon statut de médecin qui me donne tant d’honneur ? ( je me suis très vite aperçu que chaque nouvel arrivant avait droit aux mêmes faveurs).

Après d’interminables formalités administratives, je dois prendre, toujours dans mon fauteuil roulant, l’ascenseur !

Il y a la « queue de fauteuils » comme devant les caisses le jour de Noël. Chaque malade ici est en fauteuil ou presque.

La montée aux étages est lente et les arrêts fréquents, une voix chevrotante annonce « premierrrrrr étageeee »! Je me dis alors, qu’en plus d’être handicapés, certains doivent être aveugles ou mal-entendants! ça promet …

Chambre 422, j’y suis! C’ est la chambre où Ronaldo, voire Raphael Nadal, a dormi? (Ce centre, vu sa notoriété, a sauvé de nombreux grands sportifs)

Surprise: ni l’un ni l’autre. Mais aujourd’hui, c’est Fernando, ouvrier maçon en cure de rééducation après une chute d’une échelle.

Je me retourne, surpris, vers l’infirmier :

« Mais … je pensais avoir une chambre seule ?

– Oh, mon pauvre, tout le monde en veut !

– Fernando, avec un gros rire qui fait bouger son abdomen dilaté :  » Le senor ne veut pas partager mi habitation?

– Pas de problème, Monsieur. Je voulais être incognito et je vois donc que l’on a respecté mon désir. »

La chambre ne fait pas hôpital, elle ressemble plutôt à une chambre d’hôtel.  Ma joie est immense quand j’aperçois qu’il y a Canal Plus et donc de nombreux matchs de rugby en perspective. Hélas, le rugby n’est pas encore arrivé à Madrid et je dois me contenter d’un Seville-Réal pour satisfaire notre hildago sur le retour.

Ma première nuit  avec un homme est torride ! La vue d’un vieillard en chemise de nuit, les fesses à l’air avec une perfusion se levant six fois pour aller soulager sa prostate, me confirme mon hétérosexualité. C’est déjà ça ! Je sais où j’en suis.

Réveil le matin à 6h 02 par un Sergent chef piqueur. Je viens faire le bilan sanguin, montrez moi votre bras !! Cette interpellation se rajoutant à  cette nuit blanche me plonge alors dans un syndrome dépressif aigu : j’ai peur des piqures ! Je promets à ce moment précis que je n’en abuserai plus jamais avec mes patients.

La chambre ressemble à un hôtel mais le petit déjeuner ne se prend pas dans la chambre, on descend au réfectoire.

Queue de fauteuils ! Que de fauteuils !!

Une demi-heure plus tard, je partage ma table avec un hémiplégique (qui ne peut donc manger seul), un accidenté de la route qui a perdu sa femme dans l’accident et une très belle femme paraplégique suite à une défenestration.

Eh bien, mes amis, je n’ai plus mal !! La vie est belle, ma prothèse du genou c’est de la rigolade, je suis heureux!

En fait pas heureux, abasourdi par les malheurs des autres. Depuis huit jours, je passe mon temps à me plaindre et, devant moi, j’ai le résumé de la souffrance humaine sur terre.

Le pauvre papi qui a perdu sa femme ne cesse de pleurer ayant ses jambes écrasées par le moteur de la voiture d’en face. La jeune désespérée qui, par chagrin d’amour, ne marchera plus jamais. Le grand chef d’entreprise victime d’un AVC qui a besoin de moi pour tourner sa cuillère dans son bol de café.

Je pense que ce centre de rééducation doit être un lieu nécessaire pour montrer que l’on a pas le droit de se plaindre quand, comme moi, on a un petit problème.

Mes journées sont chronométrées. Je passe du gymnase à la piscine, de la piscine à la musculation. Je mange avec tous ces malheureux de la vie. Je fais manger mes voisins. Je regarde les matchs avec les autres. J’organise des courses de fauteuil le soir avec les plus jeunes quand tout le monde dort.  Je fume dans le patio avec quelques voyous qui, comme moi, ont ce vice. J’ai l’impression d’être Jack Nicholson dans « Vol au dessus d’un Nid de Coucou ». Je progresse à vitesse grand V. La vue des autres m’a guéri !

Le professeur Patrick Centre-Ville est l’homme le plus fort et le plus humain qui transforme cet enfer en un lieu de miracles comme l’avait fait son prédécesseur le professeur Matebas.

Mon surnom de docteur Maison je me le suis donné quand je suis parti deux mois plus tard avec mes tennis et ma canne dans mon cabinet de médecin en face du centre.  Je suis parti sur mes deux jambes ….

04 Oct

Ils sont parmi nous

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En apparence tout est normal dans cette petite maison de banlieue: une fille, aide soignante à l’hôpital, un fils, postier au centre de tri et le papa, 75 ans, qui épluche le journal de la première à la dernière ligne.

Claudine la fille est la jumelle de Claude. Ils ont 51 ans. La maison est vieillotte, c’est celle de Pierrot, retraité lui aussi des postes.

Il gère l’intendance de la maison, fait son jardin potager, achète les courses aux petits commerces avoisinants. Les deux enfants n’ont jamais été mariés, ils partagent leur temps entre travail et maison. Le garçon travaille de nuit, rentre le matin tôt, déjeune avec sa soeur et son papa puis Claudine à son tour va travailler. « On ne le laisse jamais seul depuis le décès de maman » disent-ils. Ils s’occupent de lui merveilleusement.

Pierrot a une santé de fer. Ses tomates et ses pommes de terre font sa fierté.

« Antoine, je t’appelle car papa est un peu dépressif, tu peux venir?

J’essaie de venir vers 7h moment où toute la famille est réunie.

« Alors monsieur Pierrot est tristounet ce matin?

– Pas au top docteur.

Je le questionne pour connaître cette tristesse inexpliquée. Je vois bien qu’il n’est pas dans son état normal. Il me parle avec des mots codés dont je ne comprends pas le sens.

« Enfin, vous comprenez, quand ils auront ce qu’ils veulent, ils me laisseront en paix.

– Mais qui?

– Ben… eux, les gens.

Je ne comprends rien, pas plus que les deux enfants atterrés par ce discours inhabituel.

Désemparé, je prescris un bilan sanguin pour vérifier s’il n’y a pas un problème organique, une crise d’urée, une déshydratation.

Le bilan est normal et je repasse deux jours plus tard à 9h pour être seul avec Pierrot.

« Comment ça va ?

– Ils ont passé la nuit dans le garage, ils n’ont cessé de parler et comploter!

– Vos enfants ?

– Non, eux, les gens.

– Qui c’est ?

(Mettant son doigt devant sa bouche et baissant d’intonation) Ceux qui veulent tout me prendre, ils viennent de la CIA…

– (gardant mon sérieux)  la CIA?

– Oui, ils m’ont mis une puce électronique après la guerre dans mon cerveau et ils m’ont retrouvé. Ils veulent prendre tout mon argent et me capturer vivant!»

Je me rends compte à ce moment là que notre pauvre Pierrot perd complètement la tête bien qu’en apparence il paraît très logique et sérieux. Ce qui est surprenant, c’est que son discours en très peu de temps redevient normal me parlant de la victoire de Toulouse le samedi précédent et du magnifique essai de Jean-Michel Rancoule.

Je téléphone le jour même aux enfants et  leur demande de venir me voir.

Ils viennent pour la première fois au cabinet habillés comme un dimanche, elle, avec son manteau noir et lui, avec une cravate qu’il a dû mettre pour la dernière fois le jour de sa communion solennelle.

– Votre Papa perd la tête, vous ne pensez pas ?

– Oh, il dit quelques bêtises parfois car il ne voit pas assez de monde et la lecture du journal le perturbe.

– Comment est-il avec vous?

– Normal. Il a peur des voleurs, il se barricade et met son fusil de chasse sous le lit. On lui a enlevé les cartouches !

Je fais passer un scanner cérébral à Pierrot qui revient normal. Je vais lui commenter, histoire de discuter un peu avec lui. Il m’a préparé des tomates, du persil et des fèves. (j’adore !!)

« Bonjour mon petit, rentre vite. (il ferme la porte à clef de sa chambre, il a mis un meuble devant la fenêtre et a obturé une bouche d’aération avec du papier journal.)

– Ca va ?

– Chut, vous êtes fou, ne parlez pas si fort, ils ont mis des micros dans le plancher. Ils ont chuchoté toute la nuit et là, ils nous regardent par l’ampoule, il y a une caméra.

– Mais Pierrot, il n’y a personne!

– Allez-vous en! Pour me dire des bêtises pareilles ce n’est pas la peine que vous veniez !!

– Mais???

– Partez, partez vite ! Ils vont vous mettre une puce dans le cerveau comme moi et vous verrez ! Depuis 40 ans, ils me suivent partout et là, ma capture est proche.

Puis, comme d’habitude, il reprend une conversation normale râlant à propos du montant de sa déclaration d’impôt et de la couleur de ses tomates coeur de boeuf !

Claudine m’appelle ce matin car son papa est enfermé dans sa chambre depuis trois jours. Il a pris de la nourriture de survie, son fusil est armé et il campe dans le noir éclairé par une bougie.

« C’est un délire hallucinatoire chronique, mes pauvres enfants.

– Ah bon, docteur, c’est grave ?

-Il va falloir l’hospitaliser à Charles Perrens !

– Chez les fous ???

– Hélas oui.

– Il ne voudra jamais !

– Il faut que vous m’aidiez!

– Comment?

– J’ai préparé un plan. Je lui prends la tension, je la trouve élevée de façon fictive et l’amène chez un spécialiste. Nous y allons tous ensemble et faisons un placement à la demande d’un tiers. Sa vie est en danger, la votre aussi, son fusil est armé. Toutes les circonstances sont réunies. »

Bizarrement, ou parce que je suis doué pour la comédie, tout s’est passé à merveille. Pierrot est rentré aux urgences psychiatriques. Il est resté à l’hôpital trois mois. Il prend un traitement adapté et reprend goût à la vie … et ses tomates aussi !