31 Oct

Kasko

béret_drmaison

Quand je reçois le résultat du bilan de Robert, le plus difficile pour moi, c’est de savoir comment lui annoncer.

Robert, il est basque, petit, rondouillet, le béret sur la tête jour et nuit , un makila de Bergara toujours à la main.

Il va à la chasse à la palombe, il ramasse des champignons (il m’en donne beaucoup), il vit seul à Bordeaux la semaine, à Cambo le week-end.

Il n’est jamais malade, un bilan sanguin deux fois par an, une vérification de la tension de temps en temps, il a 78 ans.

Son bilan sanguin montre des anomalies, un marqueur du cancer de la prostate très élevé, une anémie et des perturbations montrant indirectement des problèmes osseux.

Il arrive toujours en sifflotant des airs me rappelant des troisièmes mi-temps de rugby. Boga Boga, les fêtes de Mauléon, la pena baiona. Il rentre toujours en me lançant un « Agur » sûrement pour me rappeler nos origines communes et je lui réponds des bêtises à consonances d’Euskadi : Etchéona, Bidegaray, voire… Rika Zarail vu ma non connaissance de la langue du 64.

Je le fais toujours rire quand je prends cet accent caractéristique que je plagie.

Mais aujourd’hui je ne rigole pas, il va falloir lui faire faire des examens complémentaires et ce n’est pas gagné!!

« Alors Robert,  je te le commente ce bilan?

– Pardiou, tu crois que je suis là pour te compter fleurette?

– Tu te lèves souvent la nuit pour uriner?

– Tu ne peux pas dire pisser comme tout le monde, monsieur le snob?

– si tu veux, Roberto mais je suis un peu inquiet pour tes analyses.

– Quoi? J’ai un problème?

– ça serait bien d’aller voir un urologue!

– Jamais, tu m’entends petit, jamais, never, never !

– Tu parles anglais maintenant mister Robert?(reculant l’échéance du verdict verbal)

– Arrête tes sottises, j’ai quoi, un cancer?

– Je ne peux pas savoir, il faut des analyses supplémentaires, une biopsie une scintigraphie.

– Ecoute moi bien, petit, que j’ai le cancer, la cangite, la pécole, je m’en fiche, elles passent samedi à Irraty.

– Elles passent ?

– Inculte, innocent, toubib de la ville bien sûr qu’elles passent les palombes, alors ton cancer tu l’oublies et moi aussi ! »

Ce premier entretien pour annoncer à Robert qu’il a sûrement un cancer de la prostate avec des métastases osseuses est un échec total. Il est plus préoccupé par la chasse de samedi que par le diagnostic.

Je ne l’ai pas revu pendant six semaines. Evidement il ne connait pas les portables et, si on veut le trouver, il faut appeler au Café des Sports dans son village.

Il revient au bout de deux mois,  sifflotant, béret et makila .

«  Alors petit, tu vas m’annoncer quoi aujourd’hui, le crabe, l’infarctus, la grossesse? »

J’essaie d’être très sérieux, rôle de composition dans ce cas.

« Tu es décidé à faire des examens ?

– Bon diou, mais petit tu es plus têtu que mon fronton à Guéthary, au moins lui il a des fissures !

-Mais Robert, je suis là pour te soigner sinon tu ne viendrais pas ?

– Ecoute moi toubib, je sais très bien que tu es un excellent médecin, que tu m’apprécies beaucoup, mais là, tu m’embêtes, je sais que j’ai sûrement un cancer, des bébêtes dans les os vu la douleur dans ma colonne mais je ne veux pas me soigner, c’est des poisons toutes ces médicaments ! J’ai vu mon copain Peio dans la palombière samedi. Il avait la maladie, on lui a fait la chimio, les rayons, l’opération et résultat aujourd’hui il est maigre comme un coucou, il n’a plus de cheveux, il pisse dans son pantalon et sa femme n’a plus vu le loup depuis six mois alors tu comprends je préfère rester comme je suis. Je n’ai pas d’enfant, pas de femme régulière et je veux continuer ma vie jusqu’à que je ne puisse plus rien. A ce moment là, le cinq coup automatique il ne sera pas pour une pauvre palombe mais pour bibi!

– Au moins le basqoï tu es clair! »

Ma sympathie pour Robert est immense mais mon devoir de guérir mes malades est encore plus grand. Je sais très bien que je peux lui éviter des souffrances à venir mais le malade est maître de son destin. Je doute de ma force de persuasion, je suis tracassé et ce soir là mon stilnox est nécessaire.

La nuit portant conseil, j’ai eu une idée. Il m’a souvent proposé d’aller à une partie de chasse dans sa palombière.

Je vais y aller samedi,  je vais parler à ses amis de trente ans, ils  arriveront peut être à le convaincre.

Je ne vais pas vous raconter en détail cette journée. Je vous dirai seulement que je n’ai pas vu ni tué le moindre volatile, mais que l’Irouleguy, le Patcharan, l’Izarra n’ont plus (hic…)de secret(hic…) pour moi (hic, hic, hic…).

Cela dit, avant cette beuverie, j’ai discuté avec tous ses amis (Manech, Patchi, Peso etc… (en phonétique).

Ils m’ont tous dit : « Tu es mignon toubib mais Roberto, il est plus têtu qu’un truite de Baïgorry, tu ne pourras rien faire .

Laisse tomber ! »

Cela fait douze ans, Robert n’a jamais fait d’examens ! Il a sûrement des métastases osseuses, il se lève dix fois par nuit, il est fatigué, il a 90 ans mais toujours en vie .

Alors, parfois je me pose des questions, j’ai des doutes et pas de réponses. Je sais seulement que le mental d’un homme est plus fort que toutes les médecines !

 

 

 

27 Oct

L’appel

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 » Tu viens avec moi petit?

– Mais où ?

– Te donner la vocation pardi! »

J’ai onze ans, je passe un week-end chez mon » meilleur » ami, comme on dit lorsque l’on est bambin. Son papa est médecin de campagne, un vrai!

Il a un pantalon en velours marron, une veste en tweed et un pull-over à col roulé. Je saute dans sa vieille deux chevaux Citroën à coté de celui qui va devenir mon guide, mon dieu, mon Hippocrate à moi!

Les petites routes sinueuses du Gers, les champs de tournesols, les prairies à perte de vue, les coups de klaxon pour saluer le paysan devant sa meule et la vieille dame en noir partant au village, sûrement à la messe dominicale : je suis aux anges!

Mon copain a préféré rester chez lui car, voyant son papa travailler si dur, il a acquis une certitude : il ne sera jamais médecin!

L’honneur d’être seul avec le docteur du village me comble de joie. Il prend un petit chemin de terre bordé d’hortensias, la vielle voiture saute de trou en trou dans un nuage de poussière pour arriver devant cette vieille ferme aux volets bleus « Lescoure ».

Je n’ose pas descendre, ce qui a le don d’énerver notre toubib!

« Tu veux que je te porte petit, ou tu descends tout seul ? Allez, dépêche toi… vite !!

– Oui, oui j’arrive.

L’odeur de cette maison est encore dans ma mémoire : les restes du feu de cheminée de la veille se mélangent avec harmonie à celle de la garbure qui chauffe dans la cuisine.

« Alors, elle est où, cette Adrienne?

Le vieux paysan a gardé son chapeau et sa salopette bleue. Il nous indique la chambre du fond. Je me sens timide, mais tellement excité de voir ma première malade!

 » Allez, prends mon cartable petit pendant que je me lave les mains. »

J’accomplis ce jour-là mon premier  devoir d’apprenti médecin !

Il rentre dans cette chambre où le plancher sentant encore la vieille cire semble crépiter à chaque pas de mon premier maître.

 » Alors, mon Adrienne, toujours cette mauvaise toux? »

La pauvre malade prend sa main et le regarde fixement pendant un long moment. D’une voix faible, elle lui chuchote :

 » Mon cher docteur, cette fois-ci c’est la fin. Vous avez tout fait, vous êtes un bon thérapeute et surtout un grand humaniste mais là, seul un miracle peut me sauver. »

Mon maître semble alors très perturbé. ll se baisse, s’assoit sur le rebord du lit, lui fait un baiser sur le front en lui disant à voix basse :

 » Vous êtes formidable de courage mon Adrienne, je serai toujours là pour vous. »

A ce moment précis, ce dimanche matin du printemps 1968, à 11h05,  j’ai reçu un appel d’une telle force que j’ai su alors que rien ne pourrait m’ empêcher d’atteindre mon but!

Je serai Médecin !!!!!

25 Oct

Les maux dedans #9

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Les séances se succédaient à un rythme infernal, souvent très courtes, parfois sans rien, parfois pour parler de lui, de la dédicace que lui avait écrite ce psychiatre de télé Gérard Miller, un de ces amis intimes!  (et dire qu’il déteste Ruffo le vulgaire) .
Une anecdote fumante! Un jour, au détour de la séance,  je lui demandai de m’excuser car je ne pouvais pas  venir vendredi. Je devais aller à Genève pour un congrès de phlébologie. Il se mit une fois de plus dans une colère énorme, hurlant que je n’avais pas le droit, que de toute façon je devais payer cette séance et celle où j’étais absent et que c’était la dernière fois qu’il acceptait cela. J ‘avais déjà entendu qu’en psychanalyse le patient doit payer les séances qu’il annule au dernier moment, mais là j’étais surpris. Mais, avec lui ….

La véritable surprise arrive le lendemain. Il me téléphone sur mon portable personnel à 22h.

 » Docteur ??? Vous partez bien à Genève vendredi ?

– Oui.

– Alors ramenez moi une boite de cigares, les xxxx, ceux que fumait Jacques Lacan. Ils ont une forme tordue !

– D’accord ….. à lundi.

– C’est ça à lundi ! »

Je résume : il me fait payer une séance où je ne peux pas venir mais il m’appelle pour lui ramener une boite de cigares. Il me parle de Jacques et moi dans tout cela, qu’ai-je fait ? Je lui ai ramené une boite de 20 cigares très chers et je me suis bien juré d’en parler à personne vu la honte de mettre fait avoir comme cela.

Le lundi suivant j’ apporte les cigares que je dépose sur son bureau, pas un regard, pas un mot, juste un signe de la main m’indiquant de m’allonger.
J’ai envie de lui en parler, je ne peux pas, je ne dis rien et lui non plus. Deux minutes comme cela! C’est long, très long… puis il me sort:  » Bien, on en était où ? »

Cette séance fut atroce pour moi, j’avais l’impression que tout s’écroulait. Tous les progrès s’arrêtaient net. J’avais honte de ma faiblesse. Bon dieu, Antoine quand auras- tu des ….. ?
Lui, imperturbable, « alors on en était ou ???? »

– Je vous parlais de mes malaises.

– Vous en avez refait ?

– Non !

– Bon, c’est génial la psychanalyse ! J’ai psychanalysé un de nos confrères, docteur Untel.

Là,  une sueur froide me traversa le dos !! Il vient de me dire le nom d’un de mes amis intimes que je côtoie souvent, mais où est le secret médical ? Peut -être fait il de même avec moi ?

 » Et j’ai soigné ses maux d’estomac ! Je me permets de vous le dire car je sais que nous sommes entre nous et que vous ne dévoilerez pas cela .

– Non mais j’espère que vous ne ferez pas de même avec moi !

– Bien ! 45 et en liquide svp !

En sortant de là je n’avais qu’une envie c’était d’aller voir mon copain qui avait donc été comme moi défragmenté par le docteur Mie. Pas facile d’aborder cette relation! Aussi je me suis dit que l’occasion se présenterait un jour et que cela serait mieux.
Il ne fallut pas longtemps. Invité chez un réalisateur de cinéma je retrouve le psychanalysé de dr frisette. Après quelques verres j’aborde la discussion de façon très hypocrite mais néanmoins subtile.

 » Comment vas- tu, Vincent ?

– Super et toi ?

– Ecoute, j’étais pas loin du « burn out » et, pour éviter de cramer,  je suis allé me faire refroidir chez un analyste Lacanien.

– Chez qui, si ce n’est pas trop indiscret ?

– Pas du tout , chez Philippe Mie .

– Ce mec est fou, arrête ça tout de suite.

– Tu le connais ?

– Oui, j’ai subi ses travers pendant 6 mois.

– Eh bien, moi cela fait deux ans et c’est bizarre mais mon avis est partagé.

– Comme tu veux mais ne deviens pas comme lui.

Je suis content de partager avec un très bon ami ce docteur Mie mais je suis très perturbé qu’il pense que cet homme soit fou.

23 Oct

Père et fille

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Myriam est handicapée mentale moyenne comme ils disent. Elle a un faciès ingrat avec une grande bouche, des lunettes à triple foyer. Elle est la fille de Farida.

Farida a eu une cirrhose alcoolique il y a dix ans. Elle est décédée il y a 4 ans. Elle vivait avec son ami Youssef depuis plus de 30 ans.

Myriam ne connait pas son père. Elle s’occupe de la maison selon ses moyens, fait le ménage, la vaisselle, le linge. Elle va dans un CAT pour faire des petits travaux trois fois par semaine.

Depuis la mort de sa maman, Youssef s’occupe d’elle, l’amène souvent en bus (il ne conduit pas). On ne peut pas dire qu’elle est malade, elle ne prend aucun médicament mais ils viennent me voir une fois par mois. C’est un couple bizarre, il est attentionné, lui prépare ses repas. Elle ne l’appelle ni papa, ni Youssef. Elle dit lui ou il.

Je n’arrive pas à savoir ce qu’elle pense, je ne sais si elle est heureuse, malheureuse, si elle comprend, si elle a des émotions.

Lui, il était concierge dans l’immeuble. C’est là qu’il a rencontré Farida et Myriam. Il a toujours une vieille casquette des Girondins que je lui ai donnée. Il ne la quitte pas, on pense même qu’il couche avec. Quand il vient me voir pour Myriam, il me laisse toujours 1euro en plus. Il me dit « c’est pour la sucette du petit ! » (oubliant sans doute que mon fils chéri aujourd’ hui a 26 ans !

Lui, il n’est jamais malade ! Il accompagne Myriam, se fait prendre la tension et repart, été comme hiver avec trop de vêtements, ce qui lui donne un corpulence reconnaissable. Il m’invite souvent à manger son couscous du vendredi et reprend son petit accent marocain « C’est le meilleur du monde, docteur ! Venez manger avec votre gazelle et les petits gazous ! »

Un jour, Youssef amène Myriam. Elle est très enrhumée, il est attentionné, l’aide à se déshabiller. C’est vrai qu’elle est maladroite. « Elle renverse tout me dit-il, elle casse une assiette par jour! »

Cette association fille beau-père est touchante. Il est si gentil avec elle et, elle, si imperméable à tout. Son sourire permanent ne permet pas de pénétrer dans son univers. Comprend t’elle, ressent-elle des émotions, des tristesses, de l’affection?

Lui aussi il sourit, toujours affable, généreux. Il ne sait pas lire. Il me demande souvent de lui traduire des feuillets administratifs. Je lui conseille souvent d’aller voir une assistante sociale pour s’occuper d’eux. Il refuse toujours, il ne veut pas que l’on rentre dans sa vie. Je suis la seule personne qu’ils côtoient. Pas d’ami, pas de famille, personne ! Seulement elle et lui !

Dès qu’elle est soufrante, fatiguée, il vient. C’est la sortie de la semaine, du mois.

Je ne suis allé chez eux qu’une fois. L’appartement est petit, très propre. Pas de photos, pas de décoration. Seul un vieux » transistor » fonctionne toute la journée, ils sont hors du temps, ils vivent en vase clos.

Il a un sacré caractère! Si j’ose lui demander d’aller consulter un spécialiste, il refuse toujours. Pourtant il en a besoin, ce pauvre Youssef ! Il n’entend rien, il y voit très mal et sa dentition me rappelle la mienne après mon match à Lavardac où les phalanges du deuxième ligne m’ont enlevé mon sourire naturel à tout jamais.

Un jour, panique à la maison ! Youssef m’appelle. Il est gêné. Myriam a vomi et se sent épuisée.

« Elle n’est pas enceinte, docteur? »

J’imagine mal comment la pauvre Myriam pourrait avoir eu une relation mais on ne sait jamais ..

« Je lui fais faire un test, Youssef.

– Tu es d’accord Mymi ?

– Oui, d’accord. » (en sachant très bien que si il lui avait posé la question inverse elle aurait répondu la même réponse !)

Evidement le test est négatif et Youssef semble soulagé non pas de ne pas avoir un enfant de plus à la maison mais il me dit :

« L’appartement serait trop petit ! »

Myriam est toujours identique à elle même, enfermée dans une bulle étanche à toute sensibilité.

Youssef est souriant mais je lui trouve mauvaise mine.

« Il faut faire un bilan Youssef!

– Jamais, tout va bien.

– Si, tu dois en faire un, je te trouve fatigué.

– Je veux bien mais c’est toi qui le fais!

– Ok, je passe demain avec les tubes. (J’adore faire les bilans sanguins ; cela me rappelle mon enfance quand j’accompagnais mon papa)

Le lendemain, il n’ouvre pas la porte et il y a juste un papier écrit d’une autre main que la sienne « je passerai te voir au cabinet docteur, j’ai dû partir amener la petite. »

Il n’est jamais venu. J’ai essayé de téléphoner plusieurs fois en vain. Je me dis que, de peur d’avoir une prise de sang et de savoir son diagnostic, il refuse de voir la seule personne qu’il connaisse: moi!

Je téléphone au CAT où elle travaille. Surprise, la responsable me dit qu’elle ne vient plus car son beau-père a prévenu qu’ils sont partis en famille en dehors de Bordeaux. J’émets des doutes sur ce départ car il m’a toujours dit qu’il n’avait pas de famille.

Alors, je décide d’y aller !

Je sonne plusieurs fois sans réponse. Puis j’ose frapper à la porte en m’étant fait ouvrir par une voisine. Elle aussi ne les a pas vus depuis un mois.

Elle m’ouvre la porte habillée avec un gros manteau et un bonnet en laine (type les bronzés font du ski ).

Il fait un froid glacial, elle me regarde en souriant et me dit un bonjour comme si je l’avais quittée la veille.

« ça va Youssef?

– Il est dans sa chambre.

Je rentre dans sa chambre et là, je vois le pauvre Youssef au fond du lit, gris, maigre comme un squelette. Il a des assiettes, des compotes, une compresse sur le front. Il est agonisant incapable de me répondre.

Depuis tout ce temps Myriam s’occupe de lui, le soigne, lui fait la toilette. Moi qui pensais qu’elle ne ressentait jamais rien enfermée dans son carcan autistique, elle s’est transformée en aide soignante, en infirmière en … fille dévouée pour son beau-père. Je ne sais comment elle a fait pour lui acheter les courses alimentaires, les médicaments. Elle est comme un animal auprès de son enfant malade. Je la croyais incapable d’avoir la moindre action sensée  et, par amour, elle trouve la force, l’intelligence nécessaire pour sauver celui à qui elle doit tout.

J’ai fait hospitaliser Youssef en urgence et j’ai négocié (avec grande difficulté) que Myriam soit hospitalisée en même temps.

Il a fait un ulcère de l’estomac et une énorme anémie. Le miracle humain s’est accompagné d’un sauvetage médical : six poches de sang, un anti- ulcère ont remis sur pied notre bon Youssef. Ils sont repartis main dans la main et, moi, une sucette cadeau pour mon fils dans ma poche.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

18 Oct

Les maux dedans #8

 

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Je m’attendais quand même à un commentaire ce lundi matin à 6h30! La porte était restée fermée plus que d’ habitude. J’avais franchi l’escalier avec aisance pour une fois et je m’installais dans cette salle d’ attente où l’odeur de 15 jours de fermeture provoquait un dégout immédiat. L’attente fut longue. J’entendais des bruits de modem, de fax, de reniflements, mais toujours auncun appel ! Au bout de vingt minutes le « Venezz  » fut plus agressif que jamais! Il ne m’adressa pas la parole et, d’un geste machinal, me montra le divan. Je m’allongeais et cherchais comment j’allais aborder son absence le jour du symposium. Eh bien là, aucun mot ne pouvait sortir : je balbutiais,  bégayais et je commençais à lui dire : « J’ai fait un malaise la semaine dernière . »

Au lieu de lui parler de tout ce j’avais sur le cœur, je lui parlais de mon cœur ! En effet, depuis quelque temps, je faisais des très gros malaises avec pertes de connaissance, toujours en public, jamais seul, très désagréable pour moi mais aussi pour mon entourage. Il s’en foutait royalement, il rangeait des papiers, reniflait sans cesse et me dit au bout de cinq minutes :  » Bien, cela fait 45 euros. J’ai augmenté comme tout le monde et en liquide svp ! »

En écrivant je suis entrain de penser que, vous qui me lisez ou vous qui me côtoyiez à cette époque, vous devez vous dire soit ce pauvre garçon est un simple d’esprit, soit un faible, soit un homme subissant une force suprême incontrôlable venant d’un dieu céleste.
Eh bien pas du tout, je pensais alors que tout était fait exprès dans un but thérapeutique, tout était calculé et je pensais que l’histoire de la couleur rouge allait se reproduire, que j’allais trouver des explications à tout. J’y croyais dur, je savais que les Lacaniens étaient spéciaux et je n’arrivais pas à détester ce docteur Mie. J’étais obligé de mentir par omission ou mentir carrément à mon entourage familial tellement je me rendais compte que j’étais bien le seul à pouvoir accepter le comportement de mon thérapeute.

Je fus conforté du bienfait de ce Génie de docteur Mie lors d’une séance d’un vendredi d’automne. Mes malaises devenaient de plus en plus fréquents et j’avais dû réaliser une batterie d’examens pour en trouver l’étiologie .
Rien, rien dans les scanners, ecg, eeg, irm, sang et autre fond œil! Je devais en parler à mon « dentiste lacanien ». Je lui racontais ces malaises avec une description très proche de la réalité. Pour une fois je le sentis à l’écoute. Bien que ne le voyant pas parce que situé derrière le divan,  j’entendais la plume de son Mont Blanc grincer sur les feuilles de son fameux petit carnet. Ce jour-là il ne me dit qu’une phrase mais quelle phrase !

 » Citez moi les personnes présentes lors de vos malaises ? »  Je réfléchissais et j’énonçais: « ma femme, des amis… »

– Oui précisez, précisez ! (en colère)

-Sylvie

– Qui est Sylvie ???

– C’est la femme de mon meilleur ami qui est maintenant décédé.

– Précisez, précisez je vous dis ! (on aurait dit qu’il était en transe).

Il y a 7 ans, j’ai perdu Eric sur un terrain de rugby, en plein match. Il a fait un arrêt cardiaque et, devant 5000 personnes, j’ai essayé de le réanimer en vain. Sa femme Sylvie était là et je m’en veux encore de n’avoir pas pu empêcher la mort de celui qui était un autre moi-même.

 » Etait-elle là à chaque malaise, oui ou non ?

– Oui.

– Bien, restons en là, cela fait 45 euros en liquide svp. »

Cette séance m’a bouleversé ! Bien sûr j’avais dû me remémorer la mort d’Eric mais aussi penser au doute que je traversais sur les compétences ou sur l’imposture ou voire même le charlatanisme de ce dentiste échevelé psychanalyste.
En remontant dans ma voiture, j’étais comme sonné, ko. Je ressentais un malaise énorme, j’avais l’impression de me retrouver en ce 29 octobre 1995, sur un terrain de rugby avec un froid glacial et un silence sépulcral. Je venais de comprendre la raison de mes pertes de connaissance ! Enfin je croyais avoir trouvé car c’était seulement mon interprétation sachant que Mie n’avait fait que poser la question :  » avec qui étiez-vous pendant vos malaises ? » C’est moi qui ensuite avais analysé, qui avais donné une réponse à cette question : « quelle pathologie organique ou pas peut entraîner une bradycardie et un arrêt cardiaque ? »

Vous allez tous en conclure, banal, il fait un transfert ! Certes je pense que l’on pouvait parler de cela mais je pense qu’il avait quelque chose de plus, une force indescriptible. J’ai compris comment des hommes ou des femmes pouvaient tomber dans l’aliénation d’une secte alors qu’ils présentent une intelligence tout à fait normale. Je ne parlais à personne des dérives bizarres et originales du doc et je ne racontais que l’histoire du pull rouge et des malaises « Ericien ».

17 Oct

Toi mon amour, toi mon enfer

vieux_drmaisonIls se détestent depuis 45 ans !

Ils sont mariés depuis 46 ans !

Quand ils viennent au cabinet, c’est toujours le même scénario : rendez-vous 16h, arrivée 15h30. Passage devant la secrétaire, monsieur soulève son chapeau en guise de bonjour, il précède sa femme de façon inélégante sans lui retenir la porte. Il fait couler son café de la machine. Elle arrive, péniblement en soufflant, et parlant seule à voix basse : « ça lui écorcherait sûrement la main de me tenir la porte à ce gros bonhomme ! ».

Il boit son café, discute de façon agréable avec les autres patients sans se soucier de sa femme. Il se retourne devant la secrétaire pour demander si j’ai du retard et prend un de ces journaux qui sont dans ma salle d’attente depuis si longtemps (un Match des années 90 ou un VSD annonçant la mort de François Mitterrand.) Cela a le don de le mettre en en colère « on va lui prêter des sous à ce toubib, il pourrait renouveler son stock ! »).

Comme une tortue, elle arrive juste pour s’asseoir mais jamais à coté de lui ! Elle ne dit rien aux autres,  continue à marmonner : « Quel malotru ! Mon mari ne m’a jamais aidée, moi qui suis handicapée par mes douleurs et mon embonpoint ». Parvenu (comme elle le souhaitait) à ses oreilles, il lui lance un regard mitraillette en lui infligeant à haute voix devant des patients surpris : « Toi, si tu n’es pas contente, tu n’as qu’à pas venir avec moi ! »

Il reprend alors son sourire VRP (son ancien travail) et discute avec les autres.

C’est à leur tour, je viens les chercher. Lui se lève le premier et passe devant elle en lui disant : « Je passe devant, j’ai besoin de lui parler ! ».

Ils ne passent jamais ensemble.

«  Alors, mon cher docteur, comment allez-vous ?

(Je n’ai absolument pas le temps de discuter de moi, alors j’embraye très vite.)

– Tout va bien, que me vaut l’honneur de votre visite ?

– Je vais la tuer ! Elle m’insupporte, elle ne fait que manger, râler et parler toute seule !

– Vous n’êtes pas venu pour me dire que cela ? Je sais que vos relations sont tendues mais quand même !

– C’est vrai, prenez-moi la tension, je dois exploser avec ce que je vis !

– 18/10, c’est trop !

– Je vous le dis, je vais me retrouver hémiplégique et il ne faudra pas que je compte sur elle pour pousser le fauteuil.

Je lui donne un médicament hypotenseur et lui prescris un bilan.

« Surtout, ne lui dites pas, elle serait trop heureuse ! »

Un peu comme les vieilles dames des bandes dessinées, elle arrive en boitant, couverte d’un manteau et d’une écharpe augmentant un thorax très développé (au moins un 100 G) s’opposant à des jambes très fines et des petits pieds serrés dans des chaussures à talon.

« Alors, qu’est ce qui ne va pas chère madame ?

– Lui !

– Pourquoi lui, c’est quand même pour vous que vous êtes venue ?

– Oh moi, surtout ne me soignez pas ! Je préfère mourir que de rester avec cet ignoble personnage. Il me parle mal, il boit, il me trompe.

– Il vous trompe ? (un peu surpris de voir ce monsieur de 81 ans faire des écarts dans sa vie conjugale).

– Il remonte soi-disant le moral de l’épouse de son ami d’enfance décédé récemment.»

J’ai un petit sourire car je connais très bien cette dame respectable âgée de 86 ans et je n’imagine pas un seul instant une « liaison fatale » entre les deux protagonistes… enfin on ne sait jamais !

Je lui renouvelle ses médicaments en écoutant les différentes plaintes : il ne s’occupe jamais du chat, il met le son de la télévision trop fort car il est sourd et refuse de se faire appareiller, il ronfle, il l’énerve quand il fait sa gym au milieu du salon, il ne regarde pas un match le samedi mais il en regarde sept !

« Je le hais, docteur ! »

J’essaie de compatir et lui demande pourquoi ils n’ont pas fait une séparation avant, sachant que lui aussi se plaint.

« Où voulez-vous que j’aille ? Il m’a toujours empêchée de travailler, il fallait que j’élève les enfants et que je m’occupe de lui !

Je le vois parfois tout seul sans sa femme.

Il aime venir se plaindre lui aussi.

« Elle me gâche ma fin de vie, j’ai travaillé comme un fou pour lui donner un confort de vie, elle passe son temps chez le coiffeur pour son brushing, elle a une femme de ménage 10h par semaine et je n’ai pas le droit de regarder un match à la télé ! Docteur, je la hais !

Les mêmes mots, les mêmes gestes. Pourtant toujours ensemble depuis si longtemps. Pourquoi n’ont-ils pas divorcé avant ? Seraient-ils plus heureux séparés au lieu de se battre psychologiquement jour après jour. En les voyant, je pense toujours au couple Signoret-Gabin. Même leur chat complète le tableau !

Un dimanche, il est 15h et elle m’appelle chez moi.

« Allo docteur, venez vite, je crois qu’il est arrivé un drame chez nous, venez ! »

Je n’ai pas eu le temps de poser quelques questions, qu’elle a raccroché.

J’arrive dans cet immeuble bourgeois, l’odeur du poulet dominical est présente dans toute la maison. Elle m’attend inquiète.

« Docteur, on s’est disputé pour une bêtise ce matin, il est monté dans le grenier vers 10h et quand je l’ai appelé pour manger, il ne m’a pas répondu. Comme il faisait sa mauvaise tête, je n’ai pas insisté. Mais là, je suis inquiète, car ne pas venir manger son poulet c’est impossible ! »

Voir cette vieille dame, qui, il y a quelques jours, me disait qu’elle le haïssait dans cet état de stress me touche et me surprend.

Je monte très vite (enfin, avec un genou en métal, on monte comme on peut !) et je frappe à la porte du grenier.

Il ne me répond pas, la porte est fermée. Comme à la télé, je recule et d’un coup de pied magistral j’éclate la porte (j’ai l’impression d’être Starsky ou Hutch).

Je l’aperçois couché dans un vieux lit, une couverture le recouvre. J’ai peur du pire, je le secoue, je lui crie dessus : monsieur ! monsieur !

(se levant brutalement) « Qu’y a-t-il, qu’y a-t-il ? »

Son haleine me donne le diagnostic rapide : il est saoul ! Il remet ses prothèses auditives qui émettent un sifflement strident.

« Mais que faites-vous là ? »

Je me rends compte que pendant ce temps, sa femme pleure en silence dans le coin de la pièce. Elle s’approche de lui, lui prend la main et lui murmure tout bas : « tu m’as fait peur vieux maboule, je croyais que tu étais mort. »

Il lui prend la main, lui fait un petit bisou sur le front :  « Elle m’enquiquine souvent mais c’est quand même ma petite femme chérie ! »

Le plus heureux de cette scène c’est le gros vatapa, ce beau chat qui semble se réjouir de voir ses maîtres en parfaite harmonie. Il ronronne de bonheur, le vieux fauteuil en cuir lacéré par tant de coup de griffes en témoigne.

Des années passent, le couple vieillit, oubliant les rancœurs du passé, ils arrivent à se respecter.

Il m’appelle un matin, inquiet, car sa femme ne va pas bien du tout. Ce n’est qu’une vilaine bronchite, mais de voir son empressement à m’appeler, à aller chercher les médicaments à la pharmacie, je me rends compte de l’immense affection et tendresse qu’il lui porte. J’ai dans la tête la chanson de Brel :

 « Les vieux ne meurent pas, ils s´endorment un jour et dorment trop longtemps

Ils se tiennent la main, ils ont peur de se perdre et se perdent pourtant

Et l’autre reste là, le meilleur ou le pire, le doux ou le sévère

Cela n´importe pas, celui des deux qui reste se retrouve en enfer

Vous le verrez peut-être, vous la verrez parfois en pluie et en chagrin

Traverser le présent en s´excusant déjà de n´être pas plus loin

Et fuir devant vous une dernière fois la pendule d´argent

Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, qui leur dit : je t´attends

Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non et puis qui nous attend. »

 

15 Oct

Plus fort que tout !

love_drmaison

J’ai commencé ce blog sans savoir. Aujourd’hui je sais !

Mon rituel du matin, tôt dans la fin de la nuit j’écris mes histoires. Je vois que cela vous touche, vous donne un rire, un sourire, une larme. Moi je suis souvent ému en me rappelant ces drames, ces beaux moments de vie, ces situations bizarres qui font mon quotidien depuis trente ans. Alors j’écris, j’écris, j’aime faire plaisir, j’aime donner.

La période hivernale est malheureusement propice aux maladies et donc mon travail augmente. J’ai peur de ne plus avoir la même spontanéité dans mes écrits.

Je ne veux surtout pas arrêter, je veux donner mais donner mieux. Je veux de la qualité à défaut de quantité. J’ai besoin de faire cela pour vous mais aussi pour moi. Ma vie de médecin est parfois très dure moralement, ce blog me permet de mieux la supporter. Je ne sais comment vous exprimer mon bonheur quand je vois vos commentaires, vos avis, vos réactions. Alors oui je continue mais en vous distillant mes histoires je vais essayer de vous faire autant de bien que vous vous me faites.

J’adore cette phrase de René Char : »Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder, ils s’habitueront »

Tout est dit dans cette maxime !

En fait, non, il en manque  une partie : la lune est belle.

 

Antoine, votre doc

 

14 Oct

Clavardage

 

machine à écrire_drmaison

 

À vous qui me lisez en ce lieu virtuel

Où j’ouvre insouciant mon coeur à vos sourires,

Sachez que pour livrer à vos yeux mes délires,

Je me dois, de l’amour, cesser le rituel.

 

Voyez dans mes écrits combien l’âge me pèse

Combien l’art du clavier s’empare de mon temps,

Et, même si ma fleur sait le poids de mes ans,

Le Dimanche, pour vous, c’est elle que je lèse.

 

Reparlons de ma fleur, mon petit écureuil,

Séduite comme vous par mes péripéties,

Mais, au jour du désir, toutes les facéties

Que je portais si bien; plus le moindre clin d’œil!

 

Parlons de mes amis, dont cet apothicaire

Hermétique à l’humour comme sont ces gens là,

Mais tellement sensible! Il m’écrit que « Voila,

Rien n’est mieux qu’un bon blog pour apprendre à se taire »!

 

Je ne me tairai pas! j’aime tant vos avis!

J’aime par dessus tout humaniser ma cause,

Mais, si de mes écrits je réduisais la dose,

Vous, ma fleur, mes amis, tous en seriez ravis…

 

11 Oct

Gueule de bois

whisky_drmaisonPetit, trapu, une boule de muscles! Jean-Pierre c’est Ben Johnson, un ancien athlète qui courait le cent mètres en 10 secondes 32. Il me le dit dès sa première visite: « Jean-Pierre, 10s 32, bonjour ! »

Sa femme travaille pour l’Education Nationale. Passionnée par son métier, elle est professeur des collèges. Leur fille c’est l’enfant unique, bonne élève comme la mère, surdouée en sport comme le papa aurait voulu être !

Jean-Pierre aurait rêvé d’être un sportif de haut niveau :championnats du monde, jeux olympiques etc…Malheureusement il n’a été que champion du Lot et Garonne.

« C’est mon manque de gabarit et j’ai refusé de me doper, moi ! »

Il entraîne sa fille pour qu’elle fasse la carrière qu’il n’a pas faite. Il est tyrannique, surveille son poids et programme un à deux entraînements par jour.

Estelle aime son sport même si, comme elle le reconnaît, son papa est très dur. Elle franchit différents niveaux, de régional elle accède au national. Elle termine souvent à des places d’honneur que son père appelle déshonneur.

Jean-Pierre est un excessif en tout, il s’énerve souvent, crie après sa femme, sa fille, son patron. Il est directeur régional d’une grande boîte de distribution.

Il est tellement insupportable que mère et fille s’associent souvent contre lui. Estelle grandit, les petits copains arrivent et les entraînements s’éloignent.

Jean-Pierre est fatigué et contrarié de voir baisser les performances de sa protégée. La boisson est une triste mais réelle compensation. Il rentre le soir et boit plusieurs verres de whisky.

Un jour, violent, il s’est mis en colère contre sa fille et l’a giflée. La maman a voulu le calmer et il l’a bousculée.

Ne pouvant accepter cela, dès le soir même, elle et sa fille sont parties chez des amies. Elle est venue me consulter le lendemain.

« Nous avons tout pour être heureux, il gagne très bien sa vie (7000 euros par mois) nous sommes propriétaires de la maison, sa fille est belle comme un cœur, elle a certes arrêté le sport mais passe en deuxième année de kiné alors pourquoi, pourquoi docteur ? »

Il est difficile d’expliquer dans ce cas là l’intolérable, la violence, l’alcool, le lâcher prise.

Elle a demandé le divorce et a pris un appartement !

Jean-Pierre a très mal vécu cette séparation. J’ai réussi à lui faire arrêter l’alcool mais il a sombré dans une dépression sévère.

« Docteur, que faire, je suis mal à Bordeaux, on me propose un poste à Tours ? »

Difficile de répondre, un redémarrage dans la vie, une reconstruction, pourquoi pas? Il est parti ! Estelle est à Paris et ils se voient souvent le week-end. Il rencontre une jeune femme au travail… très vite, trop vite ! Ils vivent ensemble dans sa maison. Elle a un fils de 15 ans, il s’entend bien avec lui. Il lui propose d’en faire un champion d’athlétisme et, comme dans le livre « Lolita » … »il retomba toujours au même endroit » ! Même implication, même excès, même tyrannie !

Peu de temps après, imprégné d’alcool, il a, sur un coup de colère, démissionné de son travail, persuadé qu’il va en retrouver un autre au plus vite.

Pas de chômage, perte de ses droits sécurité sociale … le néant !

Trois ans ont passé et aucun travail ! Il est alcoolique violent. Elle ne le supporte plus. Elle lui demande partir. Il est dans sa maison. S’il part, il est dans la rue.

Un soir à 19 h, on frappe à ma porte. Je viens de finir mes consultations. Rentre un homme que je ne reconnais pas (mon pauvre Antoine, Alzheimer te guette !)

« Oh doc’, tu ne me reconnais pas ?

– Euh, non !

– Jean pierre, 10sec32 !

– Bien sûr ! Jean-Pierre ! » (il faut dire qu’il est bouffi, les cheveux longs, habillé en jeans, lui qui était toujours en costume cravate )

Il rentre et se met à fondre en larmes.

« Je n’ai plus rien, plus de logement, plus de travail, plus de femme, ni famille. Je ne sais pas où dormir ce soir. J’ai fraudé dans le train pour venir à Bordeaux, je n’ai plus de téléphone. Je vais dormir dans la rue.

Je croyais que cela n’existait qu’ à la télé. Là, devant moi, j’ai la misère humaine ! Du cadre commercial, marié avec une fille, il est devenu un de ces pauvres du XXI°  siècle que l’on croise le soir dans les rues.

J’ai eu de la chance dans mes démarches pour lui. J’ai sollicité mes amis, mes relations. Je me suis investi à fond et, sans en tirer aucune gloire, je peux dire que  j’ai réussi à aider Jean-Pierre.

Petit à petit, il a trouvé un logement, un petit travail, une sociabilité. Il a reconstruit ce qu’il avait démoli. Il revoit sa fille, il est grand père.

Je remercie toute cette chaîne d’union qui a permis cette renaissance. La résilience, ça existe !!

 

 

 

10 Oct

La lune est belle

lune_drmaison

C’est le genre d’homme que l’on appelle un emphatique. Il a 45 ans, la grande classe, le costume Hugo Boss toujours du dernier cri, une chemise blanche, une cravate pastel, des chaussures toujours bien cirées. La voiture gris métal, vitres teintées se gare toujours en double file. Il descend aussi vite que s’il devait prendre un train.

Il vient me voir régulièrement. Il déteste attendre, se met devant mon bureau pour passer avant les autres. Je le connais depuis dix ans et je ne peux dire quel est son travail, c’est du genre « consultant marketing business and communication « .

Il a une oreillette bluetooth en permanence à l’oreille et parle fort sûrement en direct avec New York, Londres ou Tokyo !!

Quand il vient me voir, il a préparé une fiche bristol pour soulever les points essentiels.

« Hi ! (il adore, comme Jean Claude Vandame, parler avec des mots anglais ) je viens pour many problèmes.

Hello Man (je lui fais donc une réponse très Vandame) Where is Bryan? in the kitchen ?

– Arrêtez de vous moquer doc’, je ne vais pas bien ! »

Il prend sa fiche et regarde : « tension artérielle? »

Je lui prends aux deux bras : 13/8 parfait !

Il raye sur le bristol et marque de son stylo Mont-Blanc plus gros que gros le chiffre rassurant.

– Insomnie ! When je vais au bed je ne dors pas, trop busy sûrement.

– Stilnox ?

– Oh, ok thanks, stilnox. »

Il barre insomnie.

« Maintenant doc’, examinez moi à fond, je pense que j’ai une grave pathologie au foie. »

L’examen clinique ne montre rien. Je lui propose un bilan. Il est ce genre de patient qui est un adepte d’internet pour diagnostiquer avant moi sa pathologie.

« Vu ma fatigue et ma gêne à droite, j’ai peut être une hépatite, un cancer du foie ? »

J’essaie en vain de le rassurer mais je lui confirme que ce n’est qu’après le bilan que l’on saura. Il m’interrompt prenant un appel auquel il répond par l’oreillette. Rayant le mot cancer sur la petite fiche et rajoutant un gros point d’interrogation. Il ne veut pas donner sa carte vitale, il me règle en augmentant le tarif, comme une aumône, palabrant sur le peu de reconnaissance des médecins.

Il revient toutes les semaines pour un nouveau problème. Il a eu le résultat du bilan, parfaitement normal. Aujourd’hui il a mal à la tête et, dans son questionnaire préparé, il est persuadé d’une tumeur cérébrale. Il veut un scanner !

« Je suis sûr que j’ai un glioblastome du tronc cérébral doc’!

– Pourquoi?

– Mal à la tête, fatigue, perte de poids :voilà ce que j’ai tapé sur le net et le diagnostic est évident ! »

Je lui explique les dangers de s’auto-diagnostiquer car les mots frappés sur le clavier auraient pu conclure par léger surmenage… mais il veut son scanner!

Il arrive une autre fois tout tremblant, mauvaise mine.

« Hello doctor, maintenant je l’ai !

– Quoi?

– Le cancer du colon ! »

L’examen, la symptomatologie et le contexte épidémique me font penser beaucoup plus à une gastro-entérite classique mais, avec ce style de malade, j’ai toujours peur. Je lui demande de faire mon traitement antigastro et nous explorerons plus tard s’il n’y a pas d’amélioration.

Chaque fois, je le vois déçu que je ne réponde pas à ses attentes, et pourtant il revient me voir car il dit qu’il n’ a confiance qu’en moi.

Cette inquiétude permanente me pousse un jour où je suis plus tranquille à lui poser des questions sur son stress permanent de la maladie.

Il me répond que tout va bien, qu’il n’invente rien que ses maux de tête, ses diarrhées, sa fatigue sont bien réels et que, si cela continue, il changera de médecin.

Il arrive un jour avec la main sur le coeur ayant des  difficultés à parler. Passant devant tout le monde, il s’avachit dans le fauteuil.

« Hi, doc’ je fais un infarctus, j’ai mal à la poitrine ! Ça me serre.

– Vous êtes stressé en ce moment?

– Ce n’est pas le problème, j’ai certes un gros souci de trésorerie  mais là j’ai mal !! »

Devant ce genre de signes je prescris toujours une demande de troponine (élevée dans les infarctus) et j’envoie systématiquement chez le cardiologue .

Il repart du cabinet presque satisfait que, pour une fois, je lui fasse faire un examen…preuve de mon inquiétude !

Le résultat une heure après est strictement normal, simple surmenage me confie mon copain cardio.

Il est secret sur sa vie personnelle. Je sais qu’il a deux enfants mais ne parle jamais de sa vie sentimentale en général. Aujourd’hui il est obligé de m’en parler car il arrive très inquiet:

« Je n’arrive plus à tout gérer doc’, je suis à bout, mes gosses, mon travail, ma vie intime.

Je suis surpris par ce « lâcher prise » et de le voir non pas connecté avec un businessman d’outre atlantique mais simplement avec la dure réalité de la vie.

N’ayant pas de temps ce jour là, je lui propose de venir manger le lendemain à midi dans ma cantine.

Evidement il arrive avec le quart d’heure de retard bordelais. Il rentre cheveux au vent, serre quelques mains, écrase sa cigarette et s’assoit devant moi.

« Désolé doc’, mon banquier est toujours en retard.

– Cela va mieux votre trésorerie ?

– Non, je vais déposer le bilan mais ce n’est pas grave, car, vu ce que j’ai, je n’en ai plus rien à faire !

– Vous avez quoi ?

– Le sida ! »

Pensant une fois de plus que son diagnostic venait du docteur Internet j’ose un petit sourire ..

«  Ne riez pas, pour une fois c’est vrai!

– Mais vous avez fait des examens ?

– Oui, j’ai donné mon sang et il m’ont téléphoné! »

A ce moment là, lui, qui depuis des années était soucieux, hypochondriaque majeur semble serein, décontracté. Il vient d’apprendre ce que certains ne supportent pas de savoir et lui semble heureux, libéré.

Il commence alors à tout me raconter, tout !

« Je ne vous ai jamais parlé, doc’ car ma vie est un secret. J’étais marié avec Isabelle, je l’avais connue à l’école, c’était la femme de ma vie. Nous avons eu un premier enfant, Baptiste, puis, très vite après, nous avons eu la petite Margaux. Après l’accouchement, Isa a fait une hémorragie, on l’a transfusée et, deux ans plus tard, on s’est rendu compte qu’elle était séropositive. Bêtement nous n’avons jamais rien dit, c’était notre secret. Nous avons dit à tout le monde quand elle a commencé sa maladie que c’était un cancer. Elle est partie deux ans plus tard. Depuis ce jour là, je n’ai jamais voulu faire le test, je suis venu vous enquiquiner toutes les semaines, je me suis inventé un cancer, un infarctus, une tumeur et, au fond de moi, je savais très bien que j’avais peur de voir la réalité en face. Je devais élever mes enfants, travailler, épargner mes parents .

Puis hier, mon fils a eu son diplôme d’ingénieur, ma fille est infirmière. Je suis allé donner mon sang pour savoir. Aujourd’hui doc’ je me sens bien, libéré de tant d’années de stress. »

Honnêtement j’avais beaucoup de mal à trouver ce patient sympathique, je le trouvais prétentieux, « frimeur » et hypochondriaque. Aujourd’hui, je découvre un homme merveilleux, humble, courageux, responsable. Je m’en veux de ne pas avoir pu déceler ses souffrances, d’avoir eu un jugement erroné.

Cela fait dix ans que cette histoire est arrivée. Il est soigné par tri-thérapie, ses résultats sont très bons, il est grand père et vit avec une très belle femme.

On peut parler de rémission sa charge virale étant toujours nulle. Il m’ a dit il y a quelques jours :

« Vous savez doc’, je suis en pleine forme, mes enfants et petit-enfant vont bien. Ma chérie est fabuleuse. Vous savez qu’en Asie quand par pudeur on ose dire à une femme qu’on l’aime on dit : «  la lune est belle !» . Alors, vraiment aujourd’hui, la lune est vraiment belle comme ma vie. »