Philippe, il est grand, longiligne, des yeux très clairs. Pas besoin d’aller à Lourdes pour constater que les miracles peuvent exister même sur les bords de Garonne quand on est un homme bien.
Je connais Nathalie depuis quelques années car elle travaille dans l’industrie pharmaceutique. Petit bout de femme, énergique, elle me présente ses médicaments avec une détermination, inversement proportionnelle à sa taille. Comme je suis un curieux, bavard je m’intéresse à son parcours extra professionnel.
Comme beaucoup de personnes elle se remet difficilement d’une séparation conjugale. Puis, un jour, elle arrive avec des petits croissants à mon cabinet.
-Doc je vais nettement mieux,je viens de rencontrer une pépite: l’homme parfait !
– Donc Nathalie est amoureuse ?
– Plus que cela folle d’amour. »
Elle me raconte alors sa rencontre avec celui que j’appelle Gillette: la perfection au masculin !
Nathalie vient me voir régulièrement pour me vanter les bénéfices de tel ou tel médicament et nous finissons toujours notre entretien par un zapping de sa vie: tout n’est que bonheur, joie, amour.
Lui, il travaille beaucoup couvert de diplômes il a un poste à grande responsabilité, « son seul défaut c’est sa quantité de travail » qu’il produit tous les jours. Il commence tôt, finit tard mais lui fait passer des super week-ends en amoureux.
Le conte de fée en ce matin de novembre s’arrête net. Nathalie ne sourit pas, elle rentre dans mon bureau, les yeux rougis par des larmes coulant encore sur son visage ou les petites taches de rousseur ressortent plus que d’habitude.
– « Qu’y a t-il, Nathalie ?
– C’est Philippe !
– Vous vous êtes disputés?
Elle n’arrive pas à parler, des longs silences entrecoupés de sanglots puis:
– Il a une tumeur au cerveau ! »
Je suis abasourdi. On pense souvent que certaines personnes ne peuvent pas être touché par le malheur, tellement ils sont bien, généreux, humains, beaux !
Elle me raconte tout ce qui arrive, les premiers symptômes, les migraines, les pertes d’équilibres, les troubles neurologiques.
Puis vient le doute, l’espoir, les scanners, les IRM, et arrive le verdict impitoyable: Glioblastome cérébral !
Tout s’écroule, une vie à deux, un mariage, une maison, un amour immense. Il va falloir se battre affronter l’opération, la chimio, les rayons. L’infime espoir de survie est certes le seul moteur de tout ce parcours du combattant mais il est si petit.
Nathalie est courageuse, elle continue à travailler avec une force qui n’a d’égal que le courage de Philippe.
Pendant longtemps, leur vie se partage entre les espoirs, la fatalité, la peur, la souffrance. Ils s’aiment tellement que je pense, car je suis un éternel optimiste, que le tout petit espoir de guérison va se transformer en une rémission totale.
On est arrivé après le cursus chirurgical et oncologique à une période d’attente et de rééducation.
Philippe, bien que pas du tout de la partie, profite de cette période pour se faire plaisir en cuisinant. Il invente des recettes, il donne des saveurs à tous ses plats comme il donne un sens à sa vie. Chez lui tout est raffiné, il mélange le sucré et le salé, il parfume ses desserts avec cette petit pointe d’acidité propre à relever cette sucrerie habituellement trop fade, faisant du banal un délice !
Quand Nathalie rentre le soir, Philippe a son grand tablier de cuisinier, il a mis le couvert les bougies sont sur la table et la maison respire d’une suave odeur de la cuisine d’antan.
Nathalie n’ose croire à cette vie merveilleuse, cela ne se voit qu’au cinéma me dit elle souvent. Elle a peur tous les jours, toutes les nuits. Mais elle est pragmatique, les pieds sur terre, et la tête dans les étoiles elle se régale de tous ces petits plats qui l’attendent tous les soirs. Toutes le semaines j’ai vu Philippe, l’amélioration a chaque visite, bonheur et sérénité retrouvée de ce couple magique.
Nathalie retrouve son punch habituel, son sourire dévastateur, elle est épanouie, parle peu mais que de son mari. Elle est sûre de sa guérison autant que ses dons culinaires.
– « Phil n’arrête pas il m’a fait prendre 5kg !
– Ok mais n’oublie pas que tu en as perdu 6.
– Mais c’est si bon il me fait des desserts à tomber à la renverse. »
Des jours, des mois ce sont passés un jour phil est venu me consulter avec Nathalie.
– « Nous avions (j’aime ce « nous », preuve que l’épreuve était bien partagée) peut être une chance sur 1000 de survivre et aujourd’hui l’hôpital nous a dit que c’était gagné ! Les larmes sur la joue de Nathalie n’étaient pas les mêmes. Elles signifiaient bonheur !
Il y a deux mois un vendredi soir je rentre tard, je suis épuisé, j’ai faim et le canapé m’attend. J’allume la télé, un gros plan s’arrête sur un des candidats à l’émission la plus célèbre pour élire le « chef ». Philippe est là, devant moi et des millions de téléspectateurs. Il a enchanté la France entière, il a sublimé ses plats comme il a su sublimé mon métier en me montrant que tout est possible dans la vie.
Merci Nathalie, merci Philippe, vous êtes mes pâtes d’amande, mes calissons, mes chouchous. Grâce à vous j’ai encore plus confiance en la médecine, en l’amour, en l’homme tout simplement.