31 Oct

Kasko

béret_drmaison

Quand je reçois le résultat du bilan de Robert, le plus difficile pour moi, c’est de savoir comment lui annoncer.

Robert, il est basque, petit, rondouillet, le béret sur la tête jour et nuit , un makila de Bergara toujours à la main.

Il va à la chasse à la palombe, il ramasse des champignons (il m’en donne beaucoup), il vit seul à Bordeaux la semaine, à Cambo le week-end.

Il n’est jamais malade, un bilan sanguin deux fois par an, une vérification de la tension de temps en temps, il a 78 ans.

Son bilan sanguin montre des anomalies, un marqueur du cancer de la prostate très élevé, une anémie et des perturbations montrant indirectement des problèmes osseux.

Il arrive toujours en sifflotant des airs me rappelant des troisièmes mi-temps de rugby. Boga Boga, les fêtes de Mauléon, la pena baiona. Il rentre toujours en me lançant un « Agur » sûrement pour me rappeler nos origines communes et je lui réponds des bêtises à consonances d’Euskadi : Etchéona, Bidegaray, voire… Rika Zarail vu ma non connaissance de la langue du 64.

Je le fais toujours rire quand je prends cet accent caractéristique que je plagie.

Mais aujourd’hui je ne rigole pas, il va falloir lui faire faire des examens complémentaires et ce n’est pas gagné!!

« Alors Robert,  je te le commente ce bilan?

– Pardiou, tu crois que je suis là pour te compter fleurette?

– Tu te lèves souvent la nuit pour uriner?

– Tu ne peux pas dire pisser comme tout le monde, monsieur le snob?

– si tu veux, Roberto mais je suis un peu inquiet pour tes analyses.

– Quoi? J’ai un problème?

– ça serait bien d’aller voir un urologue!

– Jamais, tu m’entends petit, jamais, never, never !

– Tu parles anglais maintenant mister Robert?(reculant l’échéance du verdict verbal)

– Arrête tes sottises, j’ai quoi, un cancer?

– Je ne peux pas savoir, il faut des analyses supplémentaires, une biopsie une scintigraphie.

– Ecoute moi bien, petit, que j’ai le cancer, la cangite, la pécole, je m’en fiche, elles passent samedi à Irraty.

– Elles passent ?

– Inculte, innocent, toubib de la ville bien sûr qu’elles passent les palombes, alors ton cancer tu l’oublies et moi aussi ! »

Ce premier entretien pour annoncer à Robert qu’il a sûrement un cancer de la prostate avec des métastases osseuses est un échec total. Il est plus préoccupé par la chasse de samedi que par le diagnostic.

Je ne l’ai pas revu pendant six semaines. Evidement il ne connait pas les portables et, si on veut le trouver, il faut appeler au Café des Sports dans son village.

Il revient au bout de deux mois,  sifflotant, béret et makila .

«  Alors petit, tu vas m’annoncer quoi aujourd’hui, le crabe, l’infarctus, la grossesse? »

J’essaie d’être très sérieux, rôle de composition dans ce cas.

« Tu es décidé à faire des examens ?

– Bon diou, mais petit tu es plus têtu que mon fronton à Guéthary, au moins lui il a des fissures !

-Mais Robert, je suis là pour te soigner sinon tu ne viendrais pas ?

– Ecoute moi toubib, je sais très bien que tu es un excellent médecin, que tu m’apprécies beaucoup, mais là, tu m’embêtes, je sais que j’ai sûrement un cancer, des bébêtes dans les os vu la douleur dans ma colonne mais je ne veux pas me soigner, c’est des poisons toutes ces médicaments ! J’ai vu mon copain Peio dans la palombière samedi. Il avait la maladie, on lui a fait la chimio, les rayons, l’opération et résultat aujourd’hui il est maigre comme un coucou, il n’a plus de cheveux, il pisse dans son pantalon et sa femme n’a plus vu le loup depuis six mois alors tu comprends je préfère rester comme je suis. Je n’ai pas d’enfant, pas de femme régulière et je veux continuer ma vie jusqu’à que je ne puisse plus rien. A ce moment là, le cinq coup automatique il ne sera pas pour une pauvre palombe mais pour bibi!

– Au moins le basqoï tu es clair! »

Ma sympathie pour Robert est immense mais mon devoir de guérir mes malades est encore plus grand. Je sais très bien que je peux lui éviter des souffrances à venir mais le malade est maître de son destin. Je doute de ma force de persuasion, je suis tracassé et ce soir là mon stilnox est nécessaire.

La nuit portant conseil, j’ai eu une idée. Il m’a souvent proposé d’aller à une partie de chasse dans sa palombière.

Je vais y aller samedi,  je vais parler à ses amis de trente ans, ils  arriveront peut être à le convaincre.

Je ne vais pas vous raconter en détail cette journée. Je vous dirai seulement que je n’ai pas vu ni tué le moindre volatile, mais que l’Irouleguy, le Patcharan, l’Izarra n’ont plus (hic…)de secret(hic…) pour moi (hic, hic, hic…).

Cela dit, avant cette beuverie, j’ai discuté avec tous ses amis (Manech, Patchi, Peso etc… (en phonétique).

Ils m’ont tous dit : « Tu es mignon toubib mais Roberto, il est plus têtu qu’un truite de Baïgorry, tu ne pourras rien faire .

Laisse tomber ! »

Cela fait douze ans, Robert n’a jamais fait d’examens ! Il a sûrement des métastases osseuses, il se lève dix fois par nuit, il est fatigué, il a 90 ans mais toujours en vie .

Alors, parfois je me pose des questions, j’ai des doutes et pas de réponses. Je sais seulement que le mental d’un homme est plus fort que toutes les médecines !