22 Août

Les maux dedans #3

bill

Venir le vendredi à 13h30 ne m’arrangeait pas du tout car je commençais mes consultations à 14h à l’autre bout de Bordeaux. J’ai imaginé un moment que c’était volontaire de sa part. Moi qui lui avait annoncé que je ne savais pas dire non, il me demandait l’impossible. En fait, pas du tout, j’ai su par lui qu’il avait perdu une cliente qui venait tous les vendredis, mais qui s’était suicidée et qui lui avait écrit une lettre qu’il m’a lue ce vendredi et dont la conclusion était  « Merci Docteur Mie de m’avoir accompagnée jusqu’à ma mort » !

Je ne comprenais pas, j’étais paumé, je prenais la place d’une suicidée, il me lisait une lettre d’amour pour lui.

Il me lance :

« Alors, on en était où ?

– Dans un stade sans but.

– Continuez.

– Finalement…

– Bien, cela fait 40 euros, en liquide s’il vous plait !

« Oui, voilà, excusez-moi je n’ai pas la monnaie. »

Je lui tendais un billet de 100.

Fou de rage : « C’est la dernière fois ! C’est votre inconscient qui parle! En fait, vous appréciez tellement notre travail que vous pensez que le tarif que je vous demande de 40 euros est trop faible, vous avez raison. Aussi, je garde ce billet, et si vous n’êtes pas d’accord la prochaine fois, vous amènerez le compte exact ! »

J’étais k.o. ! Je descendais cet escalier complètement abasourdi. La séance avait duré 2 minutes, elle s’était arrêtée au mot finalement et il m’avait volé 60 euros !
Je n’avais pas le temps de réfléchir, je devais foncer à mon cabinet. Il était 14h et j’avais sûrement la salle d’attente pleine.
C’est fou mais, alors que je devrais être furieux de tout cela, j’avais comme un sentiment bizarre, un peu comme admiratif, très curieux de la technique, envouté par cet homme qui me terrorisait mais qui me motivait pour réussir ce que j’aime tant faire : arriver à le séduire.

Pendant mes longues heures dans la voiture, j’avais toujours le temps de réfléchir et de repenser à mes minutes passées dans le donjon en haut de l’escalier avec le  » dentiste  » ! C’est ce que le docteur appelait mon  » auto analyse « . Cette semaine-là, j’avais vraiment du travail. Pourquoi m’avait t’il demandé de « remplacer  » une morte ? Pourquoi, lui qui ne parle pas, m’avait t’il raconté son suicide, m’avait t’il lu cette lettre? Pourquoi avait t’il stoppé la séance sur mon « finalement » ? Pourquoi cette histoire de mon inconscient …généreux ?

Je suis tellement motivé que j’arrive à trouver une explication à chaque question. Je suis tellement dans la passion psychanalytique que je n’imagine pas une seconde que les réactions du docteur ne sont autres que thérapeutiques, et bien sur honnêtes !

Pourquoi revenir le vendredi ? Parce que mon travail doit évoluer et une seule séance par semaine ne suffit pas. J’arrive même à m’expliquer que je ne parle que de la face visible de l’iceberg le lundi et, ayant moins de choses superficielles à exprimer, je vais dans la profondeur de mon fameux inconscient le vendredi. J’arrive à penser qu’il a trouvé un analysant intéressant. Pourquoi me parle-t-il de sa suicidée et pourquoi me lit-il la lettre ? Parce que la mort est un sujet qui m’inquiète terriblement, il a compris cela et il veut démystifier la mort à mes yeux. Pourquoi arrête t’il la séance sur un  « finalement » ? Parce que mon inconscient devait sûrement arrêter ? N’avais-je plus rien à dire ?

Les maux dedans #2

sofa

 

La semaine suivante fut curieuse. Comme pour tout, j’aime aller à fond et me passionner. Je repars chez Mollat, je feuillette et achète des nouveaux livres sur Lacan. Je me procure moi aussi un fameux petit carnet où je décide de préparer mes futures séances.  Je ne comprends toujours pas trop les livres mais je progresse, je les lis à l’endroit!

Ce nouveau lundi, excité par un nouveau rendez vous, je me lève très tôt et pars presque heureux d’ avoir un nouveau but. 6h 23,  je sonne, 2mn d’attente… l’ouverture de la porte, l’escalier et là, derrière la porte, notre Alain Souchon, ben ladenien hirsute m’accueille, si on peut dire :

 » 6h30, c’est 6h30 et pas 6h23!

– Veuillez m’excuser.

– Venezzzz. »

Je rentre dans le bureau où, déjà, l’odeur du cigare envahit la pièce plus sombre que jamais. Seule une petite lampe de bureau et l’éclairage de la rue permettent d’y voir.

Je m’assois en face de lui et là, pour ne pas avoir ce vide de la dernière fois, je m’apprête à parler en premier, et là, surprise, il me lance avec un petit sourire :

« Alors, on en était où? »

Je le trouve plus humain, normal quoi. J’avais préparé mon introduction, et voilà qu’il faut que je réponde à une question! Eh bien, je suis content de revenir!

« Continuezzzzzz! »

– Cela me gène un peu de dire que je consulte un psychiatre alors je dis à tout le monde que je suis en traitement chez un dentiste!

– Oui, normal pour vos maux dedans! »

Ça y est, je viens de tout comprendre des théories lacaniennes!  Il faut bien dire qu’à partir de cette phrase, l’ Alain Souchon du pauvre, le Ben Laden des riches ou le Woody Allen de la psy devenait un vrai thérapeute et le doute que j’avais pu ressentir s’effaçait. Ce n’était pas un imposteur, c’était bien un enfant de Lacan, génie, gourou et sauveur.

J’ai eu le tort de lui montrer que je trouvais fabuleux ce jeu de mot, moi qui en fais toute la journée, souvent plus bête que fin mais qui me font rire et parfois font rire les autres. Alors il se croit obligé de reprendre un air méchant, obscur et me relance par un:

« Oui, continuezzzz! »

Je reprends donc le fil conducteur de ce que je voulais dire avant d’être interrompu et je sors:

 » Voilà,  je suis à un stade sans but dans ma vie et cela me dérange, j’ai besoin de but. »

D’un air enjoué il part alors dans une tirade cinématographique :

 » C’est merveilleux, vous vous rendez compte, cher monsieur, de ce que vous venez de me dire? Non, quoi ? non, vous ne voyez pas ? mais c’est dingue ! Il faut voir, entendre l’inconscient!  Vous pensez que vous venez pour vous reposer ici ? »

Son ton était fort, agressif et bizarre. Je ne savais pas si c’était de la comédie ou si c’était thérapeutique. En tout cas,  il commençe par m’expliquer que moi, sportif, ex rugbyman,  je parlais de stade sans but.  Il ne comprenait pas la différence entre des buts de football et des poteaux de rugby, et je ne comprenais rien à ce que venait faire mon inconscient sur une pelouse. Enfin, je savourais ces premières joutes analytiques quand la phrase cloche retentit:

 » Bien… ça fait 40 euros, en liquide s’il vous plait. A vendredi, 13h30.

– 13h30? Vendredi? Pas lundi, 6h30?

– J’ai dit vendredi 13h30. »

Machinalement je regardai ma montre et je constatai que cette séance n’avait durée que 7 minutes! Mais, toujours optimiste, je pensai que ce qui comptait c’était le contenu et qu’une immense piste de réflexion s’était ouverte: que faire d’un stade sans but?

C’était nouveau, j’avais besoin de nouveauté dans ma vie, j’avais toujours eu parallèlement à ma vie familiale et professionnelle des passions. Au début,  j’étais joueur de rugby, puis j’ai eu la chance d’être médecin des Girondins de Bordeaux avec tous les plus grands joueurs puis je suis devenu président du SBUC, et aujourd’hui, je sentais que la psychanalyse et son gourou, le fabuleux docteur Mie, allait être le nouveau moteur de ma vie.

Les maux dedans #1

cortex

 

Ça y est !

C’est décidé,  je vais faire une psychanalyse!  ça fait bien non? Un peu américain, un peu « american beauty ».  J’ ai 45 ans, j’ai eu une vie bien remplie, beaucoup de réussites extérieures, mais un grand bazar intérieur. Alors je prends le bottin, pages jaunes, la rubrique psy, je ferme les yeux, et avec mon index, je pointe, au pif: docteur Philippe Mie, rue Saint-Rémi, Bordeaux !
J’ai l’habitude d’aller toujours vite, alors le portable d’une main, la clope de l’autre, le genou sous le volant afin de maintenir un cap sur la chaussée et … hop!  Allô, Docteur Mie?  Et là,  une voix feutrée comme la nuit à la radio quand une psychologue prend les communications des pauvres désespérés qui n’ont jamais atteint l’orgasme.

« Ouiiiiiiiii,  bonsoir que puis-je pour vous ? »

-Je voudrais un rendez vous avec vous.
-Pourquoi ? »

J’avais envie de lui répondre parce que tout va bien et que j’ai envie de vous donner du fric.

-Parce que je souhaite vous consulter.
-Demain 15h.
-Je ne peux pas, je suis médecin et je consulte l’après-midi.
-Alors 6h30, lundi.
-Ok, pas de problème je commence tôt.
-C’est votre problème, pas le mien, à lundi. »

Je ne vous cache pas que cette première approche avec la psychanalyse est plutôt surprenante, mais bon, je la veux, je l’aurai ma psychanalyse.

Après cette impulsivité téléphonique, je commençais à cogiter un peu. Est- il freudien, youngien, lacanien ou je ne sais quel autre race de psy?

La rencontre fortuite avec un copain psychiatre autour d’un stade de rugby me permet de lui demander s’ il connait le Dr Mie : « Oh, oh, un Lacanien pur souche; mais compétent, pourquoi tu me demandes cela? » Et là, comme d’habitude dans ce genre de circonstance, le gros mensonge: « Euh, c’est pour un ami qui cherche un analyste lacanien ».

Bon,  je sais qu’il est lacanien mais je ne sais pas ce qu’est un lacanien. Alors direct chez Mollat, la grande librairie de Bordeaux et au rayon psy, je cherche Lacan bien sûr,  je trouve et j’achète deux livres pour le weekend !!

Je me rappellerai toujours cette lecture des premiers chapitres. Je ne comprenais rien, de rien de rien, mais bon, j’étais presque fier d’être rentré dans ce monde intello, psycho, socio et voir ma femme, me regardant avec un sourire admiratif en train de lire, suffisait à mon bonheur, même si je tenais le livre à l’envers!

J’ai toujours aimé me lever tôt, et savoir qu’un homme de l’art, médecin comme moi, psychiatre, se levait aussi tôt me réjouissait et je traversais tout Bordeaux avec une émotion, un petit frisson, comme si j’avais donné un rendez vous à une femme par Meetic sur le net.

Je n’avais pas fait attention à l’adresse mais, en descendant de voiture,  je remarquais que le cabinet était situé à coté de l’ancienne maison de mes grands parents, maison qui m’avait remplie de bonheur, de souvenirs merveilleux et que j’avais quittée il y a plus de 35 ans! Bonne augure tout ça!

Par contre, ce petit escalier en colimaçon m’apparaissait comme un Everest surtout pour un vieux rugbyman ayant laissé son genou sur un terrain de Saint-Sever. Enfin, pour prendre du plaisir, il faut souffrir!

La salle d’attente est toute petite, avec une odeur de vieux. Les revues sur une petite table Ikea sont surprenantes, ce n’est pas un vieux match ou un Elle de 1968 comme dans tous les cabinets mais c’est beaucoup plus Art press, des livres d’humour juif, un livre sur Lacan,  un magazine de photos très pornographiques.

J’entends un murmure au fond du couloir,  preuve qu’il ya quelqu’un. Je suis fébrile, impatient et un peu craintif. Puis ça y est, un bruit de porte, un au revoir lugubre, des pas, et l’arrivée dans la salle d’attente d’un homme tout de noir vêtu, frisé comme un mouton (noir), un nez qui me parait immense, un teint que je qualifierais d’ « olivâtre » et cette fameuse voix à la Meni Grégoire que j’avais entendue lors de ma prise de rendez-vous: « Vous venezzzzz? »

Alors là, pas de surprise pour la description du bureau: petit, sombre, une odeur de cigare, des tapis partout (vu l’allure et le teint du propriétaire je ne peux m’empêcher de penser: il a dû en vendre dans sa première vie!) un petit divan recouvert d’un autre tapis,  des tableaux abstraits, sombres eux aussi, des masques africains noirs, et quelques grigris frisés comme la chevelure de mon psy! Une tasse de thé encore fumante, un fauteuil en cuir tout vieux, bien sûr, situé derrière le divan et perpendiculairement, un petit bureau ancien avec un cendrier plein, des papiers et un petit carnet, un fameux petit carnet!

Je me suis toujours demandé si j’allais devoir m’allonger dès la première séance ou si j’allais m’asseoir devant lui. D’un signe de la main, il m’invite à m’asseoir et je peux dire que cela me rassure. Je me voyais mal allongé dès le premier jour.

Je suis mal à l’aise et il ne fait rien pour m’aider. Il ne me dit rien, moi non plus. Deux bonnes minutes se passent avant que je ne prononce le premier mot:

« Je viens vous voir parce que je voudrais savoir dire un mot que mon cerveau n’ a pas dans ses archives le mot: NON! »

Je suis assez fier de cette première déclaration et, comme j’ai lu dans les livres que la parole est primordiale chez les lacaniens, je pense que mon Alain Souchon (il lui ressemble en brun) va pouvoir s’éclater. Eh bien, pas du tout! Toujours aussi lugubre, il ne dit rien. Alors gêné, je me sens obligé de continuer et je lui raconte en quelques phrases ma vie que je pourrais résumer en: amours, rugby, médecine! Dix minutes plus tard,  il se lève, prononce un mot qui sera récité à chaque fin de séance comme la cloche du collège:

« Bien ! cela fera 40 euros en liquide, s’il vous plaît, et vous viendrez lundi prochain à 6h30! »

La descente de l’escalier en colimaçon fut encore plus difficile que la montée surtout que mon genou n’était pas revenu de Saint-Sever !

Je monte dans ma voiture, j’éteins la radio, j’allume ma cigarette et je réfléchis. J’éprouve un mélange de frustration, de plaisir, de déception, mais bon,  je m’en fous: je suis en analyse !!

La saison des transferts

Le transfert, haut symbole de psychanalyse, est bien connu. Je le vis au quotidien mais parfois on s’y attend pas, ça arrive.

2 mai ! Je me souviens, c’est le jour de l’anniversaire de mon père et on m’attend pour repas festif.

19h ! Le téléphone sonne et je réponds toujours tel Zorro, je pense que c’est une histoire de vie et de mort ! La voix paniquée de cette institutrice de 40 ans divorcée, à peine audible : « Venez vite, docteur, venez vite ».

Je saute dans ma voiture et fonce pour peut-être sauver une vie, éviter un suicide, masser un coeur arrêté, injecter un corticoide pour une crise d’asthme …

Je monte 4 à 4 les trois étages de cette petite résidence modeste où l’odeur de piperade excite mes papilles avant mon repas familial.

Elle m’attend cheveux hirsutes devant la porte.

 » Ah, vous voilà, docteur ! » Elle claque la porte sans contrôler ses gestes, elle titube, elle  parle seule: elle est bourrée !!!!

 » Vous êtes pas prêt de repartir car je vous aimmmmmmme… hic, docteurrrrrrr. »  Elle prend les clefs de la porte et  les jette par le balcon!

Je vous fais le point: 20h enfermé dans un appartement au 3ième étage avec une instit bourrée en manque d’affection et le gâteau de mon père commence à fondre sous les 78 bougies allumées ! Je reprends mon rôle de médecin:  » Madame Faure, vous avez abusé d’un peu trop d’alcool, calmez-vous et donnez-moi vos clefs ! Je vais vous faire une piqûre.  »

 » Si c’est pour moi voir mon cul, pas besoin de piqûre (elle commence à se déshabiller, titube et tombe par terre renversant une table jonchée de cadavres de bouteilles vides. Je suis perdu, je suis fou de rage, je ne sais pas quoi faire. Notre maitresse d’école est toujours à poil marmonnant des mots grossiers, sexuels et répétant sans cesse son amour pour moi.

C’est grâce à un mouvement d’humeur terrible dont je suis capable que le double des clefs finissent par tomber d’un vieux sac. Le lendemain, Madame Faure m’a donné un petit coup de fil et a présenté ses excuses. Je n’ai plus jamais revu cette pauvre instit’ en mal d’amour.

Un petit miracle

 

bébé

Mes journées se remplissent. Si je ne fais pas de visite, je vais faire mes courses et change tous les jours de boulanger, de boucher, et à chaque fois, je discute, je raconte mon installation, ma disponibilité 24/24 je donne mon numéro de télèphone personnel, mon adresse, tout, je donne tout! J’aime trop mon travail, j’aime les gens, j’aime aider, soigner, j’aime parler, j’aime démarrer fort. Je Je prends des gardes à tous les autres médecins bien contents de laisser les week-ends aux petits jeunes.

J’ai accepté la garde du 1er janvier ! Le premier appel à 7h ! Jusque-là rien de spécial, une gastro chez une jeune femme, elle a mal au ventre. Lendemain du réveillon, j’imagine bien le tableau …

C’est la voisine qui m’ouvre la porte de ce minuscule appartement du centre-ville. Il fait froid et le décor ambiant me rappelle mes années étudiantes. Christine est dans son lit et s’excuse du bazar ambiant. Je ne regarde rien sur les conseils de mon vieux pote Hippocrate, par contre je remarque les traits tirés de la patiente : elle souffre ! Elle m’explique que son mari militaire est en mission a Djibouti et que, comme je le suppose, ce n’est pas le réveillon festif qui provoque ce mal au ventre et ses vomissements mais une belle diarrhée. Soulevant les draps, elle est très gênée, elle m’explique honteuse qu’elle vient d’ avoir une petite fuite. Poussé par foi de sauveur, je lui explique que cela n’est pas grave mais je suis surpris par l’allure de la petite fuite. Elle est sanguinolente et la palpation du ventre est difficile car Christine présente une surcharge pondérale. J’examine et je dois faire un examen gynéco (ce n’est pas ma grande spécialité, je l’avoue) mais là, ma surprise fut totale : des cheveux, oui des cheveux sous mes doigts : Christine est en train d’accoucher!

C’est dingue, c’est fou ! Je lui demande si elle savait qu’elle est enceinte et elle ne le sait pas du tout, c’est un choc énorme. La tête est engagée ! Elle pleure, elle rit, pense à son mari qui est parti il y a trois mois et qui va revenir dimanche. Il a quitté sa femme seule et va se retrouver papa ! J’appelle le Samu de suite mais le médecin régulateur m’annonce qu’il ne peut pas envoyer une antenne avant 45 mn! Aucune ambulance libre ! Soit je l’accouche là dans ce petit studio, soit je l’emporte dans ma petite Ford Ka.

Il faut agir vite. J’amène la voisine et Christine et direction la maternité. Je préviens l’obstétricien de garde et je fonce …. J’ai bêtement la main sur le bas ventre comme si je retenais la tête du bébé. A l’arrivée un brancard nous attend et l’expulsion se passe juste à l ‘entrée du bloc. Je suis là, je souris, je pleure, je tremble. Christine me regarde, elle est anéantie, heureuse, paniquée, et me demande:

 » Comment vous vous appelez docteur ?

– Mareilhac, docteur Mareilhac.

– Non, votre prénom ?

– Antoine !

– Alors, il s’appellera Antoine !! Je vous demande juste d’être là dimanche quand mon mari reviendra ».

La suite est belle : le militaire arrive au studio ce dimanche de janvier. Il fait beau, le soleil illumine le séjour bien rangé, un petit couffin bleu pale est posé sur la table et, quand la porte s’ouvre, Christine, Antoine dans ses bras, se précipite dans ceux du soldat en lui chuchotant en pleurant « c’est ton fils mon Chéri ! Joyeux Noel ! »

Je vous promets que ce jour-là j’ai vécu le moment le plus émouvant de ma vie.

Mordu par l’Urssaf !

Les premiers mois de ma nouvelle vie sont essentiellement faits de longues attentes seul au cabinet où quelques patients se suivent, un par un, tout au long de la journée.

Il m’ arrive, parfois, en début d’après-midi, de faire même une petite sieste sur ma table d’examen!

Une après-midi, je suis réveillé par une vielle dame qui vient de se faire mordre par son petit chien. Je me lève précipitamment avec la marque du drap d’ examen inscrit sur mon front et je fonce  mettre ma blouse blanche afin de retrouver un peu de crédibilité médicale. La plaie sur la lèvre est importante et la pauvre mamie n’a qu un seul mot à sa bouche (ensanglantée) « Urssaf », « Urssaf » ! Je ne comprends rien, je me réveille d’une sieste ….médicale, du sang partout et une vieille dame qui hurle « Urssaf ». je dois rêver..

Pour moi, « Urssaf » c’est un mot tabou car tous mes vieux confrères m’ont toujours dit : « Méfie toi de l ‘urssaf, méfie toi de l’urssaf… », j’ai peur !

Alors, j’ose poser la question: « Pourquoi vous criez « Urssaf », Madame ? » « Ben, docteur c’est le nom de mon petit chien, mon pauvre mari l’a appelé comme ça pour ne pas oublier de payer ses cotisations ! »

Beetle Juice

Cela fait plus de 30 ans que je vis un rêve éveillé en accomplissant mon travail de médecin. Passionné à l’âge de 11 ans au cours d’un week-end à la campagne chez un ami de classe dont le papa est médecin. Ce jour-là, je me suis juré qu’Hippocrate aurait un disciple de plus.

Le premier jour de ma vie professionnelle est excitant. Le choix de mes vêtements m’a pris plus de temps que le petit déjeuner, que je n’ai pas pu avaler vu le stress que je ressentais. Bon, tu es jeune et donc pour augmenter ta crédibilité, il faut donner un air sérieux. Je ressors la cravate de mon père complètement ringarde et je mets un jeans porte-bonheur que je porte à chaque examen. Il est huit heures, tout est bien rangé sur le bureau, les ordonnances à mon nom sont là trônant comme la couronne d’un nouveau roi. Je suis à coté du téléphone, prêt à le saisir dès la première sonnerie. Je ne fais rien, je suis excité, j’ai peur, mais impatient… tiens « un patient »… Jeu de mot très lacanien qui me fait sourire aujourd’hui après mes mésaventures psychanalytiques que je ne tarderai pas à vous raconter.

9h11

Le téléphone, vert caca d’oie à clavier rond, se met à sonner. J’attends une, deux, trois sonneries (il ne faut pas que je montre que je n’ai rien faire !

« Allô, cabinet médical, j’écoute.

– Bonjour Docteur, je viens d’arriver dans le quartier et j ‘ai vu votre plaque. Pouvez-vous venir me voir ? J’ai uriné tout rouge ».

Alors là, j’y suis ! Je suis au pied de mon Everest ! J’essaie de prendre une voix très assurée et je pose les quelques questions d’usage afin de reprendre mes esprits et de gagner du temps.

« Vous avez quel âge ?

– 72 ans ans, docteur.

– Vous habitez où ?

– Au 45 de votre rue (et merde je n ‘ai pas le choix de dire qu ‘il me faudra du temps, c’est juste à coté. Il a dû voir ma voiture).

 » Bien, je finis une consultation et je viens.  »

Je tremble, j’ai froid, je tourne en rond, je suis au pied du mur, j ‘ai peur !!!!! Bon, Mareilhac, il faut te reprendre, quand on a joué contre Lavardac en seizième de finale, tu avais aussi peur et pourtant tu as su surmonter, alors fonce !

Je vérifie mon cartable, stéthoscope, ordonnance, brassard, la parfaite mallette de l ‘apprenti docteur de « Toys are Us » ne serait pas mieux remplie.

Une idée, et si je regardais un petit bouquin du style « La mèdecine pour les Nuls » ?

Hématies, hématique .. hema,.. hématurie …cause, diagnostic, traitement… Aïe, 12 pages : bon, je parcours vite.

J’arrive devant le 45 et ma main tremblante appuie sur cette sonnette qui, pour moi, résonne comme le coup de feu d’un départ d’une course de 100 mètres aux Jeux Olympiques.

Le petit papi avec sa robe de chambre d’intérieur bordeaux et ses pantoufles écrasées m’ouvre ce vieux portail noir rouillé et me fait un sourire, qui me libère de ma trouille indescriptible.

 » Je viens de m’installer ici pour me rapprocher des enfants. Je suis de Cudos, à coté de Langon et ce matin, j’ai pissé rouge !! »

– Ne vous inquiétez pas, on va voir ça.

On aurait dit un vieux médecin paternaliste en fin carrière alors que si j’avais eu des couches, j’aurais surement … Je reprends dans ma tête le plan de l ‘examen d’une hématurie, la durée, les signes d’accompagnement, les antécédents, et l ‘examen clinique.

Allongé sur son vieux lit au matelas de laine déformé depuis 50 ans, le papi regarde ma façon de l’ examiner, avec un regard inquiet et attendrissant.

Moi, je me rassure en reprenant dans l’ordre, inspection, palpation, percussion… je ne trouve rien ! Alors, je lui annonce qu ‘il va  devoir faire analyses complémentaires.

« Comme vous voulez docteur, je n’ ai rien à faire depuis que j’ai perdu ma pauvre femme d’ un cancer de l’utérus. »

Cela ne m ‘arrange pas ! je pense alors que ce papi lâche prise après le décès de sa femme et donc je pense qu il faut être encore plus vigilant et demander tout. Je prends mon joli bloc et je commence à écrire  l’arsenal des examens complémentaires pour une hématurie: prise de sang, radio, écho, urographie intra veineuse, scanner etc. Et c’est sûrement là que le déficit de la sécurité sociale a commencé et c’est sûrement là que cette Caisse Primaire de malheur a dû me désigner comme seul et unique responsable – 30 ans après ça dure encore !

Papi semble rassuré, et moi , je dois faire , en fait, ce qui me sera le plus dur : me faire payer!

Je n’ose pas lui annoncer qu’il me doit 85 francs. Je lui dis simplement  » n’hésitez pas à me rappeler quand vous aurez tous les résultats » et là, au lieu de me régler la première consultation de ma vie, il me sort d’un vieux sac un pot de confiture à l’abricot.

 » Prenez-le docteur, c’est ma femme qui les faisait. »

Heureux néanmoins de ce premier contact avec la médecine, je lui serre la main et et je repars en passant par la cuisine. Les restes du repas de la veille sont là sur la toile cirée à carreaux  rouges et blancs et, au milieu, un saladier avec des restes de betteraves et tel Raymond Souplex dans les cinq dernières minutes, je pousse  un : « Bon sang, mais c’est bien sur! » L’hématurie n’en est pas une, c’est la coloration rouge par la betterave.

Premier diagnostic culinaire mais un premier diagnostic !

Médecin de campagne à la ville

24 décembre, 19H

Je suis épuisé, je rentre chez moi afin de me préparer pour le réveillon de Noël familial. A peine franchi le pas de  la porte sonne le  téléphone de la maison. Je suis au travail depuis 6 heures du matin et j’avoue que je n’ai aucune envie de repartir. Aie !! j’ ai oublié de brancher mon répondeur.

Alors .. adaptation immédiate : je décroche et j’ imite mon propre répondeur : « Bonjour vous êtes en communication avec le répondeur du Docteur  Mareilhac, je ne suis pas là pour l’instant mais veuillez me laisser un message après l’obtention du bip sonore »  Biiiiip. La voix de ma vieille patiente Marcelline suffit pour me rassurer sur la non gravité de l’appel (elle m’ appelle souvent le soir car ça la rassure).

 » Bonsoir, Docteur Antoine , je voudrais savoir si vous pouvez passer dans 8 jours pour mon renouvellement et j’en profite pour vous souhaiter un très bon Noël. »

Sûrement attendri par cette voix chevrotante de Marcelline, je lâche un MERCI, ayant oublié en fait que je n’étais qu’un simple répondeur !

Le lundi suivant, Marcelline s’émerveille des progrès de la technologie, et moi, je suis un peu confus de ma supercherie.