31 Août

Business meeting

chauffeur

 

Ce qui est fabuleux dans mon métier c’est la diversité des gens qui le compose. Je passe en 15mn d’un élu bordelais, maire ou député à un voyou qui a passé plus de 20 ans en prison. J’aime les gens, j’aime  » le hors cadre « , j’aime écouter ces histoires fabuleuses, ces anecdotes qui parsèment mes journées. Souvent complice de leur secret, je me régale de rentrer dans leur univers.

Le grand patron internationnal bordelais vient me voir une fois par mois. Il arrive, conduit par son chauffeur habillé de façon aussi impeccable que son patron. Costume bleu marine, cravate bleue ciel, chemise blanche avec les manches qui dépassent juste de quelques centimètres de façon parfaitement symétriques. Les cheveux sont légèrement gominés; on dirait toujours qu’ils sortent tous les deux de la douche.

Le rituel est bien rodé. La voiture de fonction arrive vers 16 h. Henry, le chauffeur, descend, remet en ordre son costume, tire les manches de sa chemise afin de bien vérifier l’égalité recherchée, contourne par devant sa berline plus lustrée que jamais et ouvre la porte arrière gauche. Puis sort notre personnalité (Robert), petit coup d’oeil circulaire comme si il y avait toutes les télés du monde (il n’y a que moi derrière ma vitre en train de regarder cette petite scène rigolote), remise du costume en ordre, tirage des manches et d’un coup de main, remet le peu de cheveux qu’il possède en arrière. Robert dit un mot à l’oreille de son chauffeur. On dirait un secret défense de la plus haute importance. Le chauffeur remonte dans la voiture et prend une allure de petit chien que l’on laisserait dans le véhicule après lui avoir dit:  » Riri, tu es mignon, tu vas rester bien calmement, tu m’attends et ne fais pas de bêtises ! »

Notre Robert national rentre dans le cabinet avec le sourire que j’appelle commercial et me lance toujours la même phrase:  » Comment va notre bon docteur ? » et il rajoute après un temps d’arrêt: « Et comment va la vie ? Merci encore de me recevoir et de votre complicité… »

Un peu pompeusement je lui répond: « C’est bien normal, Monsieur Cac40 ! Allons, voyons cette tension. »

Il retire alors son costume qu’il pose délicatement sur le rebord de la chaise. Il enlève ses boutons de manchettes et retrousse la manche de sa belle chemise amidonnée. Je  lui trouve toujours la même pression, je lui annonce son 13/8 mensuel. Il remet son bouton, retend la manche, recoiffe ses cheveux,  me donne sa carte vitale (il insiste  malgré mon « oh, je ne vais pas vous faire payer pour une prise de tension ! ») et  là…..

Et là, cela devient plus intéressant car écrire un livre pour voir un élu se faire prendre la tension, j’avoue que vous, mes chers lecteurs, pourriez être déçus.

 » Bon, cher Doc, le devoir m’appelle.  » Il me laisse un billet de cinquante euros sur la table et rajoute, comme en colère, « pas de monnaie, je vous en prie. »

Notre Robert s’avance alors vers la porte arrière de mon bureau, et non vers la porte principale, sort en cachette à pied pour …. aller  retrouver sa maitresse dans un appartement jouxtant mon cabinet.

Henri, le chauffeur attend dans la voiture sur le parking croyant que la consultation dure longtemps. Robert, pendant ce temps-là, s’amuse des plaisirs de la vraie vie, me rendant complice de cet adultère …médical !

Trente minutes après, les cheveux toujours bien tirés en arrière, Robert, rouge comme un coq, légèrement essoufflé, pénètre par ma porte secrète et me lance avec un clin d’oeil complice un:  » Voilà, c’est fait, au mois prochain pour une nouvelle vérification de tension. »

Robert passe devant la salle d’attente, serre quelques mains de patients tous flattés d’être soigné par le même médecin que cette vedette internationale. Il salue la secrétaire, bien surprise que j’ai gardé un patient une demie heure, moi qui suis si expéditif habituellement.

Le chauffeur sort de sa voiture, remet ses manches au centimètre imposé par les codes du Cac 40 et s’inquiète de la santé de son chef:

« Alors, tout va bien Monsieur ? »

Notre Robert, avec un aplomb énorme, lui répond toujours la même phrase : « Oh,  mon pauvre Henri, en vieillissant les raideurs se déplacent….

 

30 Août

La petite fille et le monstre

balançoire

 

Si ce plus beau métier du monde me régale tous les jours, il m’arrive parfois de souffrir et d’être écoeuré de la monstruosité de le race humaine. Heureusement, c’est quand même rare.

Une si belle famille ! Un couple aussi beau que gentil, ils ont quatre enfants. Le papa, autodidacte, vient de la campagne langonnaise. Il n’a pas un seul diplôme et à réussi à créer une petite entreprise qui marche fort. La maman, magnifique, s’occupe de ses quatre bambins avec un amour touchant. Je vois grandir, depuis leur naissance, leurs enfants. Ils sont vifs, heureux et sans aucun problème.

Ce soir-là, je suis bien, je finis ma journée en consultant la maman, Chloé et sa petite dernière Julie, 7 ans. Elle présente des plaques d’eczéma sur tout le corps.

Mon premier avis intuitif est une réaction type allergique. Julie est belle dans sa petite robe bleue. Elle a un sourire forcé que j’interprète comme une timidité ou peut être comme la peur de recevoir un nouveau vaccin.

Chloé est inquiète car elle est, elle même, très allergique et espère ne pas avoir pas transmis cette pathologie à sa petite chérie.

Je vais souvent très vite dans mes consultations mais là, je ne sais pas pourquoi, je veux prendre mon temps. Nous parlons avec Chloé de tout et de rien, de la réussite de son mari, de la rentrée qui approche et des souvenirs des vacances récentes. Je regarde Julie et je la vois ailleurs, dans la lune, triste.

Je reprends mon costume de clown et je raconte une bêtise afin de faire rire la maman et surtout Julie. Elle me regarde en esquissant un petit rictus en se disant sûrement qu’il est bête ce docteur qui se met l’otoscope dans la bouche en guise de trompette.

Je sens un malaise mais je n’arrive pas à savoir lequel. Je questionne Chloé pour savoir si la rentrée prochaine n’inquiète pas Julie.

Elle me répond, surprise de mon interrogation, que sa fille adore l’école et qu’il lui tarde de retrouver ses amies, que son cartable rose Hello Kitty à roulettes est déjà prêt.

La prescription de pommade sur les rougeurs et un antiallergique conclue ma consultation mais me laisse interrogatif…

Il n’a pas fallu attendre longtemps pour que le papa, cette fois, m’amène Julie. La rentrée vient d’avoir lieu et elle ne va pas mieux. Les plaques grandissent et Julie n’est plus la même. C’est une enfant joueuse respirant la joie de vivre, un peu espiègle, un peu timide. Et la voilà triste, plus de sourire dans son regard.

Je commence à poser des questions au papa qui ne semble pas préoccupé par ce changement d’attitude de sa fille. Il rit même de cette hérédité maternelle allergique en proposant à Julie avec humour de porter plainte contre sa mère !

Le soir, en rentrant chez moi, je suis perplexe, inquiet. Le sommeil est dur à trouver. Dois- je me faire aider par un dermato ? Dois- je en parler à un confrère ?

Normalement avec corticoide et anti histaminique elle aurait dû guérir. Mais ce qui me préoccupe le plus c’est la tristesse de son regard.

Y a t’il un problème à l’école, une maitresse un peu ferme ? Un petit copain méchant ? Les repas à la cantine ! Voilà, c’est peut être ça ! Elle n’a pas l’habitude et ce n’est pas la bonne nourriture de maman !

Un mois sans nouvelle. Par hasard, je rencontre Chloé dans la rue.

 » Comment va notre Juju ?

– Pas le top,  toujours ses plaques et elle a perdue 2kg !

– Amène-la demain,  je vais lui parler. »

Pour prendre tout mon temps je lui donne rendez vous vers 19 heures. Le papa, la maman, Julie sont là, beaux, inquiets et scrutent mon regard, mes gestes comme si je devais perçer l’énigme des plaques.

La conversation part un peu dans tous les sens et je me focalise sur l’école, la cantine et rien ne se débloque.

Alors, je pense au dessin. Les enfants disent beaucoup de choses par le dessin. Je lui demande de me dessiner sa famille.

Julie sourit et semble heureuse de ma requête. Je lui donne des feutres de toutes les couleurs et une feuille blanche. Elle prend le feutre rouge et commence à faire des petits personnages. Elle en fait six. Par ordre décroissant du plus grand au plus petit. Sous chaque elle met une initiale pour signifier papa, maman et ses frères et soeur. Ils se donnent tous la main sauf le dernier qui est à part tout petit et, soudain, elle change de feutre et le dessine en noir.

 » C’est qui ça ? dis-je, en lui montrant le petit coloré en noir

– Ben, c’est moi.

– Pourquoi tu ne tiens pas la main de ta soeur ? Pourquoi tu t’es coloriée en noir ?

Je n’ai pas de réponse, je n’ai qu’une larme qui coule lentement sur la petite fossette de sa joue.

Je suis bouleversé. Je ne sais pas comment dire aux parents que je dois parler à Julie seul. Mais j’ose et je parle à Julie en lui disant:

 » Tu as sûrement un secret à me dire, on va discuter tous les deux. »

Les parents sortent et je me retrouve en face de Julie. En fait pas en face,  je fais le tour du bureau, je la prends sur mes genoux. Elle pleure, discrètement, pudiquement.

 » Alors, ce secret?

– Je ne veux plus aller chez Papi et Mami à Langon. (Elle y va tous les mercredis)

– Oh, mon coeur,  c’est ça ton problème ? Mais c’est pas grave, je vais en parler à Papa et Maman et je vais arranger ça. Pourquoi tu ne veux plus y aller?

– Eux, ils sont gentils mais j’aime pas tonton Pierrot.

– Pourquoi ?

– Je peux pas le dire, c’est pas bien.

Je ne peux encore aujourd’hui écrire ce que Julie m’a raconté et le traumatisme qu’elle a vécu. Heureusement que l’amour, l’équilibre de ses parents ont permis de reconstruire cette petite merveille. Ils ont réussi à sauver leur enfant d’un monstre que la justice a puni si peu…

12 Juillet 2013,  Juju vient d’avoir le bac et est venue me présenter son petit fiancé.

 

29 Août

Miss Rififi

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Parfois mes journées sont longues et épuisantes. Je commence très tôt le matin (6 heures) car je pars du principe que certaines personnes, comme moi, détestent attendre dans une salle d’ attente et préfèrent venir le matin que d’attendre une place dans les consultations de  l’après midi. L’avantage, c’est que cela me permet de prendre plusieurs petits déjeuners. Certains  papis et mamies sont tellement heureux de faire un petit café et de le partager avec moi .

Il arrive parfois que Colette me cuisine des pommes de terre farcies car elle sait qu’ à midi je ne vais pas avoir le temps de manger.

Quand je reviens à 13h30 pour les consultations, j’ai souvent déjà une horde de patients qui sont là. Celui qui arrive 1heure en avance car, comme ils disent, au moins là,  on n’attendra pas !  J’ai celui qui n’a pas rendez vous et qui compte  sur ma gentillesse et sur l’absence  du mot non dans mon vocabulaire.

J’ai le copain ex-rugbyman avec qui j’ai foulé toutes les pelouses et qui croit avoir un laisser-aller  permanent. Le vieux couple qui vient tous les mois, à la même heure, le même jour. Souvent, par exemple, le lundi c’est le jour des coiffeurs et des banquiers car c’est leur jour de repos  (j’ai même un couple banquier-coiffeuse adorable qui profite de ce lundi de repos pour me consulter ou même me faire un petit bonjour).

Il y a aussi le casse pied ponctuel qui veut passer à l’heure précise et ne supporte pas que je puisse prendre une urgence:  un enfant à recoudre, un malaise cardiaque… Il arrive avec un cartable, rempli de documents, son dernier bilan sanguin mais aussi celui de 1997 qu’il veut que je compare. Il imprime souvent des documents internet car il pense avoir trouvé le diagnostic sur Doctissimo.

Il pose sa montre sur la table et me répète qu’il a vu qu’une consultation doit durer au moins 15 minutes et qu’il veut « en avoir pour son argent ! »

Argent d’ailleurs qu’il ne débourse pas car il est soit ancien pensionné de guerre, soit en ALD pour un petit diabète et ne comprend pas qu’on lui réclame de payer pour une verrue . Souvent dans ce cas là, je suis exaspéré et j’essaye de me détendre, de ne pas lui montrer.

J’ai une petite astuce pour me faire rire  et surtout pour oublier les manies de ce vieux grincheux.  Je me motive pour citer, sans qu’il se rende compte,  des textes de chansons populaires.

Ca fait comme ça :

 » Vous avez mal en permanence?

– Non, par intermittence.

– En fait, ça s’en va et ça revient?

– Oui.

– C’est fait de tout petits riens ?

– Oui.

– C’est peut être un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup…

Le vieux maniaque ne se rend pas compte que je le taquine pas méchamment et je me calme .

Et j’en rajoute…

 » ça veut dire que vous êtes libre, heureux d’être là malgré tout …

Tout n’est pas Claude François ou France Gall… Parfois, la vie de médecin est dangereuse.

Trois heures du matin!  J’aime faire quelques visites de nuit, c’est souvent du vrai travail d’urgence et j’aime ça!

Laurence, jeune femme magnifique, ancienne miss Aquitaine, mannequin m’appelle pour de fortes douleurs abdominales. Pas très bien réveillé, je fonce à son domicile. Elle est dans sa chambre, en petite tenue en cette nuit chaude de juillet. Je l’examine dans son lit et mon diagnostic est sûr: colique néphrétique ! Je dois lui faire une injection de Spasfon et d’anti-inflammatoire.

Allongée sur le ventre je lui pique la fesse …

Le lendemain, 18h30, je reçois un coup de téléphone affolé de Laurence : « Fais gaffe, il arrive…il  arrive chez toi, il est armé, il a bu, il est complètement bourré! »

Je ne comprends rien, je demande qu’elle m’explique …

 » Mon compagnon t’a aperçu quand tu me faisais la piqure cette nuit. Il rentrait de son boulot, (il est directeur de boîte de nuit) il m’a vu les fesses à l’air et toi à coté. Il est persuadé que tu es mon amant et, depuis cette nuit, il ne fait que boire et là, il veut te tuer. Il a un revolver, j’ai peur, Antoine! »

Si notre Laurence a peur, moi,  je me fais dessus! merci Pampers !!

Je n’ai pas le temps de raccrocher que notre cow-boy pénètre dans mon bureau. Titubant,  écarlate, il hurle:

 » Alors docteur, on baise ma femme… hic.. » J’avoue  que je n’ai pas cité des textes de chansons! Je suis pétrifié!

Il me sort son colt et me le pose sur le ventre. Alors là, mes chers lecteurs, le doc Superman, Tarzan, docteur Schweitzer,  il est mort de trouille, il tremble comme une feuille. L’instinct de survie me donne un courage qui m’étonne encore.

Je me lève de mon bureau, repoussant le pistolet et calmement, en le regardant bien droit dans les yeux, je lui dis : « Voilà mon vieux, deux choses à te dire: ta femme a eu une énorme colique néphrétique et je lui ai fait une piqure et deuxièmement,  si tu veux me tuer, ça me rendrait service, je suis très déprimé et je n’ai pas le courage de me supprimer. »  Je ne sais pas pourquoi je lui sors cet argument bidon, mais il permet alors un revirement inattendu de ce psychodrame type « plus belle la vie ». Il pose le pistolet sur mon bureau et commence à me parler, parler pour essayer de me consoler en faisant de longues phrases interrompues par des petits hics, rots, ou autres remontées gastriques alcoolisées. J’ai fini cette consultation en partageant un Ricard avec notre nouveau psy au revolver facile. Ouf!

 

28 Août

Honoré et Pascaline

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Je suis rentré très fatigué ce soir. Je rentre comme un robot, le morceau de fromage de brebis et le bon Chasse Spleen 2003 me tentent bien pour recharger les batteries.

« Allez Antoine, juste un peu, ça va te faire du bien. Oui, c’est sûr mais tes abdos naguère plaques de chocolat ont bien fondu, ton airbag ne fait qu’augmenter, alors non, attends un peu pour te mettre table. »

Et puis, merde, j’ai eu une journée affreuse: un décès, dix déprimés, trente gastro, et la pauvre Micheline (ma voisine qui a perdu son yorshire) ne cesse de pleurer et crie par  la fenêtre à qui le lui rendra. Et c’est moi le docteur, alias le Père Lustrucru pour  la circonstance, qui l’a retrouvé dans l’impasse sous une voiture. Bref, j’en ai plein les bottes et donc au diable les bourrelets et vive mon apéritif associant les délices d’Itxassou à ceux de Bacchus!

J’ai la tête qui n’imprime plus, j’entends mais je n’écoute pas, je regarde mais je ne vois pas, je suis ici et pourtant ailleurs. En fait, je suis épuisé. Je ne suis pas de très bonne compagnie pour mes enfants. J’ai besoin d’un sas de décompression quand je rentre. Avant je serais aller faire  un footing, mais ça c’était avant! Aujourd’hui, je me délecte d’un Moulis et je nourris mes adipocytes.

Un autre plaisir m’attend: un certain Toulouse-Stade Français. Je me sens bien, j’ai bien travaillé, j’ai donné toute mon énergie à mes malades et là, je profite de la vie, en famille: que c’est bon !

Pour une fois, pas de troisième mi-temps, je monte m’écrouler en remerciant le ciel pour l’homme qui, un jour, a inventé le lit.

2h10, mon téléphone résonne! Tout tremble de la table de nuit à mon corps tout entier. Je dors d’un sommeil profond et cet insupportable portable me fait sortir de mon coma.

« Allo, le doc, c’est Honoré de la Petite Suez (la Petite Suez, c’est un bar de nuit sur les quais.Un genre de bar à hôtesses au décor de velours rouge et où l’odeur de coquinerie enveloppe les murs et les vieux fauteuils de cuir).

Complètement endormi, je lui demande d’une voix très chamalow:

« Qu’est-ce qui ne va pas, Honoré ? »

-Tu peux venir j’ai un problème, un gros ? Viens vite. »

Je n’ai pas le temps de répondre qu’il a déjà raccroché.

Je vais, une fois par mois, visiter Honoré dans son bar le matin de bonne heure. Lui n’est pas encore couché, je  vérifie sa tension, prend un petit café avec Carmen son épouse. Je m’assois dans ses canapés encore chauds des frivolités de la nuit. J’aime pénétrer dans ces lieux que mon éducation judéo-chrétienne m’a toujours interdit, mais qui ont souvent garni mes fantasmes d’adolescent (je dis « adolescent », si jamais un jour mes fils me lisent…).

2h 27 – j’arrive devant la Petite Suez, Honoré m’attend devant la porte. C’est un gaillard énorme aux pommettes rougies par tant de verres partagés. Il ressemble au boulanger de Pagnol où seul l’accent de Marseille est remplacé par celui de Baccalan.

« Monte petit, dans la chambre à gauche, j’ai une fille qui s’est pris un coup de lame. »  Je ne réfléchis pas, je traverse le bar, je regarde discrètement ce lieu de perdition où se mélange des femmes en tenue très …attirante et des quinquagénaires aux costumes défaits et aux cravates parfois nouées autour de la tête. C’est Luis Mariano qui est le roi de la soirée à travers les hauts parleurs et je monte donc au rythme du « petit rossignol ».

La description de la chambre  est celle d’un bon San Antonio: le lit aux draps roses, les rideaux presque ton sur ton et au milieu une statue d’ébène qui gémit.

« Comment tu t’appelles ? »

-Pascaline.

-D’où tu viens ?

-De Ouga au Burkina. »

Je vois à travers son déshabillé, à la couleur identique au reste de la pièce, une grosse marque de sang. Elle souffre et parle d’une langue que je ne connais pas.

En soulevant sa chemise, je vois une plaie à l’abdomen. Le sang rouge qui dégouline sur cette peau satinée explique les cris de Pascaline.

Il faut l’amener à l’hôpital et vite. Honoré, planté devant la porte, se met à vociférer :

« Pas question ! Tu la recouds ici, elle n’est pas en règle, et moi j’ai fait dix ans de placard et c’est pas à 74 ans que je vais y repartir. »

26 points de sutures ! Entre cris burkinabais, Luis Mariano, fumée, alcool et petites pépées !

En fait, je suis heureux, je soulage une pauvre fille qui pensait trouver l’argent et le bonheur et qui a rencontré un opinel. Je rentre dans un lieu fantasmatique, moi, l’élève des jésuites, j’évite la prison à Honoré et j’écoute Luis, mon cher Luis. Oui, ce soir l’amour est un bouquet de violettes.

 

 

27 Août

Entre nous…

« Je m’appelle Antoine, je suis médecin » c’est en général comme ça que je me présente. C’est qui je suis, je suis médecin, comme je suis « Antoine », c’est mon ADN.

J’aime la vie, j’aime profondément et intensément la vie ! A vrai dire, j’aime tout de la vie – j’aime mes enfants, mon métier, mes potes, le rugby, les cigares, les bonnes choses de la vie, la bonne chère, les après-midi de Top 14, les couchers de soleil sur le bassin d’Arcachon, dans cet ordre ou dans un autre.
J’aime les gens et j’aime la vie alors devenir médecin a toujours été une évidence. J’aime partir tous les lundis matin en me disant que je vais peut-être sauver une vie, en prolonger une autre, aider à en faire venir une au monde ou simplement soulager une souffrance. J’aime aimer et plus encore j’aime qu’on m’aime.

J’aime la vie comme on aime la plus belle femme du monde, elle est belle, tout le monde vous l’envie, elle vous rend fou. On connaît ses travers, on sait qu’elle ne vous fait pas que des cadeaux et pourtant, à son bras, on se sent beau, bon et sur-puissant.

Ces histoires que je partage ici sont toutes vraies, tirées de mon quotidien. Elles sont parfois drôles, parfois tristes, toujours pleines d’espoir chargées de mon émotion. Elles sont comme la vie. Ces histoires, c’est vous et moi, c’est notre humanité.

Who’s bad !

 

michael

Il fait froid, en ce soir de Décembre, c’est ma dernière consultation. Je soigne Madame Lafon qui est arrivée de sa Lozère natale depuis dix ans. Ce soir, elle m’amène sa fille unique de 18 ans.

La maman, c’est la brave femme, vêtue toujours de façon identique: un peu « Deschiens », un peu campagne, toujours son tablier en acrylique sous son manteau. Elle recouvre ses lèvres très fines par un rouge à lèvres vermillon. Elle parle un français très proche de « l’amour est dans le pré » et conclue ses phrases par des « ben voyons, oh le docteur n’était ti pas rigolo ce pti gars. »

Jocelyne, c’est sa fille. Déja « Jocelyne » il faut pouvoir le porter quand on a dix huit ans. Devant mon interrogation sur le choix de ce prénom, Mam’ Lafon m’explique: « ben docteur, c’est le nom de feu ma mère » (avec un peu de culot j’ose lui dire Noël ?) « mais non pas Noël! Jocelyne, votre patiente qui s’est étouffée par son haricot vert ».

En effet, Jocelyne grand mère, un jour, en mangeant ce légume (que je déteste), au détour d’un éclat de rire, a fait une fausse route et  en est partie au ciel.

Reprenant mon sérieux, je lui demande: « mais qu’est-ce qui lui arrive à Jocelyne? »

« Ben voila, docteur, ça fait trois mois que ma fille ne se voit plus ».

Honnêtement, je ne savais pas le sens figuré de ce diagnostic. Je lui pose quelques questions bateau, du style:

« C’est arrivé brutalement ? »

-Elle fait comment ? »

Les réponses sont adaptées à la bêtise du questionnement.

« Ben docteur, c’est arrivé parce que c’est  jamais venu ! »

« Ben docteur, elle fait pas comment, elle fait avec ! »

Bon, moi, je ne suis pas plus avancé. Aussi je passe directement à l’examen clinique. Je suggère à « Jos » (je l’appelle ainsi afin de moderniser un peu cette relation médico rurale) de se dévêtir un peu. Elle a un manteau type maxi des années 70 et la couleur noire est partout, des bottes au rouge à lèvres.

« Donc tu ne te vois plus depuis trois mois… » tout en passant mon index devant ses yeux.

-Ben oui »

Pensant à une forme d’hystérie que mon grand copain Sigmund n’aurait pas sûrement démentie, je veux être sûr qu’il n’y a pas de problème et je propose très sur de moi:

« On va donc aller voir l’ophtalmo.. »

« Ben, doc » reprend aussitôt la maman « n’est-il pas plus urgent de voir le gynéco ? »

Alors, mon Antoine, là!  tu as l’air d’un pauvre paumé !

« Et pourquoi donc ? »

« Ben, la Jocelyne n’a plus ses menstrues depuis trois mois ! »

Voilà, je viens d’apprendre qu’à la campagne « ne plus se voir » c’est synonyme d’arrêt des règles ! Comme un petit chat je retombe sur mes pattes et je lui sors :

« Mais bien sûr ! je voulais dire gynéco pas ophtalmo, en me forçant d’un rire aussi peu naturel que …con

Mais il est dit que cette consultation surréaliste devait le rester quand Jos me dit à voix basse : « je veux vous parler seule. »

Il me faut alors beaucoup de diplomatie pour annoncer à mam Lafon que je vais discuter avec sa petite Jocelyne.

« Voila, je ne sais pas comment dire, j’ai la dépression. Chuis amoureuse d’un homme et il ne répond jamais à mes lettres et, pourtant, je sais qu’il m’aime, une voyante me l’a dit.

D’un ton très papa, je lui demande « Qui est ce garçon? Que fait-il ? Est-il dans la même ville? »

« Ben voila (reprenant ce « ben » de la maman) c’est qu’il est très connu et je ne peux pas en parler à maman.

-C’est qui ? je connais ?

-Oh, ça me gêne !

-C’est qui ? si tu veux que je t’aide il faut me dire. (la curiosité est un vilain défaut, je sais !)

-MICHAEL.

-Michaël qui ?

-Ben Michaël Jackson ! »

Je vous jure qu’à ce moment-là, alors que tout est triste, qu’il fait froid, que je suis fatigué, j’ai eu une envie de rire, d’éclater de rire. Seul mon regard attendri sur cette pauvre Jocelyne me permet de garder mon sérieux.

Je lui parle pendant un long moment, je la rassure, je lui prends mon exemple débile sur l’amour que j’ai porté naguère à Barbara et que j’ai réussi à gérer en allant consulter un psy.

Voyant qu’enfin quelqu’un pouvait la comprendre, je vois Jocelyne reprendre son sourire. Essuyant ses larmes, elle me demande alors vraiment de l’aider.

Je trouve alors les mots, tout bêtes, tout simples pour expliquer que c’est normal d’être amoureuse à 18 ans, que je comprends ce fanatisme pour une idole mais qu’elle a besoin d’un petit soutien pour se rendre compte qu’elle peut avoir un amour aussi fort mais plus simple pour un jeune de son entourage.

La fin de cette histoire est à la hauteur du reste. Jocelyne est allée voir un psy, qui m’écrit mot pour mot ceci:

« Mon cher confrère,

Votre patiente, Mademoiselle Lafon, présente un transfert fanatique sur une célébrité, bien connu dans les troubles névrotiques des adolescents. Je lui ai conseillé de continuer d’écrire à Monsieur Jackson et, en attendant une réponse de sa part, je la consulterai deux fois par mois. Merci de votre confiance ».

En conclusion très personnelle et pour le redressement de la sécurité sociale, heureusement que notre pauvre Michaël ne soit plus de ce monde!

 

 

26 Août

Le bon Docteur Cerey

médecine

 

Mes journées de jeune « toubib » comme ils disent, sont de plus en plus remplies et me rendent tous les jours de plus en plus heureux. Je vis un rêve éveillé. Quand Madame Boniface rentre dans mon bureau cette après-midi du mois juin, je n’imagine pas ce qui m’attend. C’est le genre de petite boule ronde, avec des petits mollets très musclés, qui fait des petits pas, et rentre dans mon bureau en terrain conquis. « Il n’est pas là le docteur Cerey? »

« Non, je suis son successeur ». Le bon Dr Cerey est le vieux médecin, aux yeux rieurs très bleus et aux moustaches bien remplies, qui faisait de la médecine à l’ancienne. Il faisait tout et …entre autre de la gynéco.

 » Voilà docteur, j’ai une  MVRCIP.

– Une quoi?

– Une mvrcip, toubib, il va falloir reprendre vos cours.

– Veuillez m’excuser, je dois aller chercher un papier dans ma voiture. »

Je me précipite dans la salle de derrière et je parcours mon petit guide. Impossible de trouver ce mot barbare! Je me rappelle ce que disent tous nos vieux patrons de l’hôpital (« Sachez, mes jeunes confrères, que vous en savez toujours plus que vos malades. Ne montrez jamais votre ignorance! ») et donc…

« Alors cette MVRCIP ? ça vous fait mal ?

– Surtout ça me gratte et c’est pas facile de se gratter là, devant mes petits enfants. » Et elle montre fort disgracieusement un gratouillis de son entre jambes.

Yes!! j’ai trouvé les deux premières lettres MV : « mycose vaginale » ! En fait, par déduction, le reste des lettres veut dire « récidivant chronique idiopathique permanente », abréviation qui ne veut rien dire du tout mais que mamie Boniface arbore telle une légion d’honneur.

 » Bon je vais vous examiner » -Quel stress! J’ai réussi à éviter dans tous mes stages de médecine ceux de gynéco préférant les travaux pratiques très individualisés …et rien que la pose du spéculum me pose un problème: dans quel sens? Sois logique, Antoine, tu t’y connais un peu quand même! Même si l’anatomie de Madame Boniface après six grossesses était légèrement différente de celle de mes conquêtes récentes, je réussis du premier coup à pénétrer dans cet abime que seul Roger, son mari, connait si bien.

Je me trouve devant un champ de ruine,  écarlate au rouge vermillon d’où perle une trace blanchâtre prouvant ainsi la perspicacité de mon diagnostic. Mycose !!

« Le docteur Cerey, il me met cette lotion » (me montrant du doigt un petit flacon datant à mon sens d’après-guerre).

Je m’exécute de suite et sur le bout d’une compresse je badigeonne, je badigeonne, et là, la pauvre mamie se met à hurler! J’arrête de suite mon badigeonnage intempestif et je constate les traits grimaçants de cette pauvre Madame Boniface et je me sens désemparé, mais je continue mon badigeonnage.

Deux mois plus tard, c’est avec un grand sourire et la démarche toujours aussi rapide que la mamie pénètre dans mon cabinet avec un grand sourire. « Docteur, vous êtes magique, je venais tous les mois pour ma mvrcip, et là je suis guérie! »

J’espère que tous les patients qui liront ces lignes n’auront pas peur à retardement, quand ils apprendront que je me suis trompé. La lotion de badigeon n’était pas la bonne, ayant pris une alcoolique à 90 ° au lieu d’une aqueuse !!

L’ange aux yeux bleus

 

petite fille

Tout n’est pas toujours rose  dans la vie du médecin. Il y a des moments où la souffrance des patients s’imbibe sur moi.

La petite Agathe, âgée de 11 ans se bat depuis 2 ans contre un ostéo sarcome avec des métastases au cerveau. Je la vois tous les matins. Un petit rituel: le café debriefing avec la maman, seule, divorcée. Elle me raconte sa nuit et je rentre dans la chambre où des peluches recouvrent le lit. Le crâne rasé, Agathe n’est qu’un regard. Ses grands yeux bleus scrutent mon visage, mes expressions. Je sais, la maman sait qu’il n’y a plus d’espoir, mais elle attend de moi que je lui dise qu’un miracle peut arriver.

Ce soir, c’est le diner de gala de la maison de retraite dont je suis le médecin référent. La péniche est belle en cette nuit de pleine lune. Nous sommes tous sur le pont, habillés en costumes cravates, et là mon téléphone portable sonne : c’est Flo, « Agathe te réclame, elle respire mal ».

Je ne sais pas trop comment annoncer au directeur que je dois aller voir une patiente, mais pour une fois, j’ose dire la vérité et je m’éclipse rapidement. Je rentre dans la chambre d’Agathe, sa maman me laisse seul et Agathe, ne pouvant pas parler, prend son ardoise magique que je lui avais donnée quelques jours auparavant et, de sa main tremblante, écrit ce petit mot que je n’oublierai jamais: « Antoine si tu m’aimes, et si tu aimes maman, fais-moi partir au ciel. »

Je ne peux vous exprimer ce que l’on ressent dans ces moments-là. Je lui fais un piqure de Tranxene, certes non mortelle mais qui pouvait d’abord apaiser « Tag » (son surnom) et qui pouvait accélérer son départ. Je suis resté toute la nuit dans le lit. Tag, entre sa maman et moi, dormait dans un coma léger d’un ange aux yeux si bleus! Nous avons parlé avec Flo, nous avons ri, nous avons pleuré, nous avons parfois plongé dans un sommeil furtif et, à six heures, Tag respirait toujours et ne donnait pas de nouveaux signes de gravité.

« Je vais rentrer chez moi prendre une douche pour aller travailler.  Je repasse tout à l’heure ».

Je n’avais pas fait 500 mètres que mon téléphone sonne : « C’est fini, Antoine , c’est fini, Tag est partie. »

Ce petit ange a attendu d’être seule avec sa maman pour lui dire au revoir. C’est pour ça que je crois en Dieu, en un mythe créateur, c’est pour ça que j’aime la vie.

Djobi, djoba

 

roulotte

Paul, mon fils, vient de finir un tournoi de rugby poussin. Nous sommes dans la forêt d’Andernos, il fait noir car nous sommes restés au barbecue local. Je m’égare dans un petit chemin et me retrouve nez à nez avec une camionnette. J’ose klaxonner. La porte s’ouvre et descendent trois gros gaillards dont le faciès typique m’indique leur origine : des gens du voyage, des gitans. Ils ont des barres de fer! Je verrouille la voiture. Polo a peur et moi, je suis terrorisé!

« On va mourir Papa, on va mourir ! »

Le plus gros, le plus agé se présente contre ma vitre, me regarde droit dans les yeux, et soudain pointe son index dans ma direction.

« Antoine, Antoine , c’est Jean Ba ! » j’ai tellement peur que je ne sais plus si je cauchemarde, si je le connais, si je peux lui foncer dessus.

« Jean Ba, ton pilier gauche en cadet! » Là , je me rappelle un petit frisé tout maigre au regard très bleu qui jouait pilier et qui n’avait peur de rien. Trente ans plus tard, le pilier est comme un cube au visage basané, mais aux pépites toujours aussi expressives.

Nos retrouvailles dans cette forêt sombre ont quelque chose de surréaliste. Lui, fou heureux de joie, son petit ailier qu’il protégeait naguère pendant les bagarres générales, encore plus heureux de savoir qu’il venait de trouver son médecin généraliste, et moi, heureux d’être sain et sauf après avoir pensé être dépouillé par une bande de gitans!

Il n’a pas fallu longtemps pour que Jean Ba m’ utilise comme son docteur.

Il est 4 heures du matin : « Antoine c’est Jean Ba, tu peux venir? Ma petite ne va pas bien du tout, elle a 2 mois, elle s »étouffe ! »

Je pars, heureux de la confiance qu’il m’accorde. Je suis excité d’être impliqué dans un milieu marginal et qui bouleverse mes habitudes de petit médecin d’une bourgeoisie bordelaise.

Arrivé a l’adresse  indiquée, je ne vois qu’un terrain vague sur lequel se trouve quatre caravanes. J’ose m’avancer… avec une petite tachycardie bien naturelle vu le décor, et je vois un vieux monsieur qui s’approche de moi avec un fusil à la main. J’ai peur,  je demande si c’est bien là qu’habite Jean Ba.

 » Non, on connait pas , partez, partez, on a rien à se reprocher!

– Mais je viens pour sa petite fille, je suis docteur.

– Ah bon, je croyais que t’étais un flic. »

Jean Ba sort de sa caravane somptueuse: « Rentre vite, Antoine, elle va mal ».

Le décor est cinématographique. La grand mère est là, toute vêtue de noir. La maman,la femme de Jean Ba, pleure. Elle a une chemise de nuit rose fuchsia et doit avoir 25 ans pas plus. Le feu crépite devant la porte et permet d’entrevoir le petit couffin dans lequel la petite Shirley (toujours des prénoms originaux chez les gitans ) respire très mal. C’est une crise de bronchiolite, c’est sûr! Shirley est une belle petite boule chevelue. Elle les même yeux bleus que son papa.

L’examen confirme mes premières impressions, elle a un fort tirage pulmonaire, son état est critique.

 » Elle va mourir?  » me demande Jean Ba.

– Non, mais il serait plus prudent de l’amener à  l’hos…,  et il m’interrompt brutalement : « Jamais,  tu m’entends, Antoine? Jamais bébé ira a l’hosto, tu vas la soigner là, en famille. »

– Mais …

– Je vais aller chercher dans ma voiture  ma trousse d’urgence.

– Ouais, vas-y mon Toine. »

L’injection de cortisone dans ces petites fesses, les bouffées de ventoline avec le baby inhaler ont eu raison de la bronchiolite.  Je suis resté jusqu’à 8h du matin, j’ai bu du café devant le feu, j’ai mangé une soupe garbure. La peur que j’avais ressentie en arrivant devant le vieux et son fusil s’est transformée en une incroyable scène de cinema au décor de Geoffroy Larcher .

Le lendemain, en arrivant devant la porte arrière de mon bureau où je rentre pour m’installer tranquillement, je vois un super vélo rouge neuf, avec un mot écrit au feutre vert sur une page de cahier scolaire : « MERSSI MON TOINE D’AVOIR SOVE MA PETITE SHIRLEY. JEAN BA

Je téléphone immédiatement: « Mais il ne fallait pas, Jean ba, c’est très gentil, mais … »

– T’inquiètes pas, mon toine, il n’est pas volé, je l’ai juste emprunté à Carrefour. » Je deviens ce jour-là médecin et recelleur!

Ames sensibles…

cuivre

On nous apprend à la faculté à ne pas être écoeuré par ce que nous voyons. Je ne suis pas une âme sensible mais parfois il y a des limites à tout!

« Allo docteur, c’est madame Dauga, pouvez-vous avoir l’extrême gentillesse de venir me consulter à mon domicile? j’ai  eu un embarras toute la nuit. »

Le vocabulaire est choisi, l’élocution est belle, la voix est posée mais il semble que la patiente parle les mâchoires serrées donnant un air snob à sa demande.

L’arrivée devant la grille d’une belle chartreuse du 18 ième, la femme de ménage qui se précipite, « Madame vous attend dans sa chambre ».

En rentrant dans la chambre mon diagnostic est olfactif. L’odeur que je peux qualifier d’immonde me donne l’impression que la gasrtro-enterite bordelaise a encore frappée. « Cher toubib, j’ai passé une nuit atroce,  j’ai eu une dysenterie monstrueuse, et pour vous aider dans votre diagnostic j’ai conservé…

– Conservé quoi?

– Mes selles et, je m’en excuse, cela n’est pas très agréable mais l’aspect m’inquiète. »

C’est à ce moment-là que l’employée de maison apporte une batterie de casseroles de couleur rouge bordeaux se déclinant de la plus grande à la plus petite et dont chacune est remplie des excrétions nauséabondes de la nuit. Il est 7 heures, mon café est déjà bien loin. La nausée que je ressens me fait oublier que je pratique le plus beau métier du monde, mais tel Bayard sans peur et sans reproche, j’examine notre patiente avec moi aussi les mâchoires très serrées mais pas par snobisme.

Le comble de tout dans cette histoire c’est qu’au moment du départ, madame Dauga demande à Pierrette de m’apporter un petit présent. Elle m’apporte dans la plus grande des casseroles un foie gras qu’elle venait de faire cuire. Mon humour carabin revient au galop et pour démystifier cette scène hallucinante, je réponds:  » Ah celle là, elle me paraît bien moulée, ça va mieux madame Dauga ! »