Alors que je sortais le compte exact bien sur de ma poche, il se mit à me parler comme on dirait à la télé « en off »;
– voilà, mon fils fête son anniversaire demain et j’aimerai lui donner un vrai maillot des Girondins et son rêve serait d’avoir celui de Jean-Pierre Papin !
Là, c’était mon petit chat qui me remonte sur mes genoux avec le ronron demandeur des croquettes. Et comme je donne toujours des croquettes à mon chat et bien j’ai donné le maillot de JPP à mon psy !
J’essayais de trouver une explication psychanalytique, du style, il veut me pousser à dire non, il veut voir l’étendue de ma faiblesse ou…de ma générosité.
Et là, ce jour-là je ne voyais aucun approche thérapeutique dans le maillot de Jpp ! Mais un psy sûrement compétent mais manipulateur.
Comment je lisais les différentes techniques de psychanalyse, j’en concluais qu’on devait toujours passer par des phases de répulsion, après celles de transfert.
Je faisais la gueule, tout au moins je me disais que je faisais la gueule car devant lui je ne montrai rien, je me suis juste permis de lui demander de changer le jeudi car je préférais le mercredi et là, surprise, il a accepté.
Ce n’est peut être rien un jour, mais pour moi, compétiteur dans l’âme, c’est une victoire sur mon dominateur. Certes, je pense aujourd’hui que ce changement devait l’arranger car il partait à Paris tout les jeudi en tant que président de l’école de la cause Freudienne, mais j’avais quand même dans mon fort intérieur marqué un point.
Quand il revenait le vendredi, après avoir hurlé son « Venezzzz » il m’accueillait avec une voix de plus en plus radiophonique et je ne comprenais pas ces différences de timbre entre un début et une fin d’un couloir.
Pour moi cela devenait machinal, presque robotisé, je dis « bonjour », j’enlève ma veste, je m’allonge, je regarde devant moi ce masque africain tout frisé comme lui, je regarde ce tableau jaunâtre, et j’attends le top départ: « alors on en était où ? »
J’aime bien son « on », cela veut dire que ce n’est pas mon analyse mais « notre » analyse. Au début je préparais mes séances et je savais par quoi j’allais commencer, maintenant, je ne pense à rien avant et je dis une première phrase et hop, je déroule mon inconscient sur le tapis du docteur Mie.
– voilà j’ai lu Freud ce dimanche et je me suis arrêté sur l’hystérie et les conversions hystériques décrites par Freud.
(je ne le voyais pas mais j’ai senti que je venais de dire une phrase clé, car le sortant de son endormissement habituel, j’entendais son esprit se réveiller, son gros, gros mont-blanc se mettre en route et le petit carnet qui se remplissait de cette phrase que je venais dire sur l’hystérie. Est-ce que cela voulait dire que je venais de trouver mon diagnostic ? Est-ce que cela voulait dire que je l’intéressais,enfin ?
Je ne peux donner la réponse mais ce que je peux dire c’est que cette séance aura été capitale si ce n’est pour lui, en tout cas pour moi et surtout pour l’écriture de ces lignes).
– « oui,continuez
– j’ai repensé à mes malaises, mes pertes complètes de connaissance, je me suis trouvé, ici, une explication, la culpabilité, la mort d’Eric, la présence de Sylvie, sa femme. Aujourd’hui après cette lecture de Freud je pense que ces malaises sont une forme de conversion hystérique si bien décrite dans…….
– continuez, continuez, bon sang !
(pour une fois il était excité, il n’arrêtait pas d’écrire tout ce que je lui disais, tout au moins je l’imaginai car je ne le voyais pas).
– alors après cette lecture de Freud je pense que le mot « hystérie » correspond à ces malaises. Il est vrai que je me pose la question, vu le coté organique de la symptomatologie, vu la bradycardie et vu la perte de connaissance totale. Le dernier malaise que j’ai eu et qui était plus important que d’habitude a inquiété tout mon entourage, même ma femme m’ a cru morte.
(Chers amis lecteurs ce n’est pas une faute de frappe, j’ai bien écrit et j’avais bien dit « morte »).
– Vous venez de dire morte
– oui ,pardon je me suis trompé !
– nous en resterons là cela fait 45 et en liquide, s’il vous plaît »
Cette séance là est le tournant de mon travail, de mon aliénation, de mon cauchemar car c’est à partir de là que tout a commencé…