02 Sep

Infiltré dans les camps Rohingyas de Birmanie

Depuis les émeutes de juin 2012, plus de 140 000 personnes appartenant à la minorité musulmane des Rohingyas sont confinées dans des camps de déplacés dans l’État de l’Arakan. Sittwe, Birmanie (Myanmar), août 2013. © Bruno Amsellem / Signatures

Depuis les émeutes de juin 2012, plus de 140 000 personnes appartenant à la minorité musulmane des Rohingyas sont confinées dans des camps de déplacés dans l’État de l’Arakan. Sittwe, Birmanie (Myanmar), août 2013. © Bruno Amsellem / Signatures

L’été dernier, le photographe Bruno Amsellem s’est rendu en Birmanie dans les camps des Rohingyas, une minorité musulmane persécutée par les bouddhistes extrémistes du pays. Il expose ses clichés cette année à Perpignan et raconte son parcours pour infiltrer ces camps très fermés.

Bruno Amsellem est un habitué de Visa pour l’image. Déjà présent en 2006 et 2012, le photographe lyonnais revient cette année avec un reportage sur les Rohingyas du sud-ouest de la Birmanie. Pendant plusieurs mois, lui et la journaliste Anne-Lise Fantino se sont immergés pour le magazine Femmes en résistance dans le quotidien de cette société musulmane persécutée par les bouddhistes qui leur refusent la nationalité birmane.

Descendants des colons arabes, ils sont installés dans l’État d’Arakan, annexé à la Birmanie en 1948. Fidèles aux Britanniques pendant la Seconde Guerre Mondiale, ils sont persécutés en représailles par les Birmans. En juin 2012, des violences éclatent entre bouddhistes et Rohingyas. À l’origine : une rumeur selon laquelle une femme bouddhiste aurait été violée par un Rohindya. Pour l’ONU, il s’agirait de l’ethnie la plus persécutée au monde. On en dénombre aujourd’hui 800 000, tous déplacés et internés dans des camps gardés par l’armée. « Ils ne peuvent pas sortir, ce sont de véritables prisons à ciel ouvert. On est très proche de ce qui s’est passé pendant la Seconde Guerre mondiale », avance le photographe. En janvier dernier, l’un des épisodes les plus meurtriers des violences exercées à l’encontre des Rohingyas a fait 40 morts.

Les ONG les dissuadent de partir 

Lorsque les journalistes contactent les ONG présentes sur place pour leur exposer leur projet, la plupart les dissuadent de s’engager sur ce terrain, jugeant le conflit trop polémique et dangereux. « Au final, seule l’organisation américaine Human Rights Watch a accepté de nous aider, ainsi que des journalistes locaux », précise Bruno Amsellem.

Pour entrer en Birmanie, le photographe et la journaliste demandent un visa touristique. « Il n’était pas question de se présenter comme journalistes, c’était trop risqué. »  Mais le plus dur reste à venir : pénétrer à l’intérieur des camps. Trois mois avant de partir, Anne-Lise Fantino et Bruno Amsellem contactent un « fixeur », dont le rôle est de leur trouver les contacts sur place et d’organiser leur venue. « Notre plus grande crainte, c’était de préparer ce reportage et de ne pas parvenir au dernier moment à rentrer dans les camps. » Un de leurs confrères, journaliste pour un site d’information, s’était d’ailleurs vu refuser l’accès quelques semaines plus tôt.

Une fausse identité

Une fois arrivés dans l’État d’Arakan, où ont été envoyés les Rohingyas, les deux reporters passent tous les jours au bureau du ministre local. Objectif : obtenir la précieuse autorisation qui leur permettra de réaliser leur reportage. « Nous nous sommes présentés comme étant graphiste et enseignante. Le président birman Thein Sein venait de se rendre en France, déclarant que son pays était ouvert au tourisme. Nous lui avons raconté cela et notre envie de découvrir son pays. » S’engage alors une sorte de « jeu », dont la patience est la clé. Ils parviennent à leurs fins et prennent la direction des camps.

Musulmans réfugiés dans le camp de Yin Daw aux environs de Meiktila dans le centre du pays, suite aux affrontements de mars 2013. Ce camp, non répertorié par les autorités, bénéficie de dons privés. Meiktila, Birmanie (Myanmar), août 2013. © Bruno Amsellem / Signatures

Musulmans réfugiés dans le camp de Yin Daw aux environs de Meiktila dans le centre du pays, suite aux affrontements de mars 2013. Ce camp, non répertorié par les autorités, bénéficie de dons privés. Meiktila, Birmanie (Myanmar), août 2013. © Bruno Amsellem / Signatures

Un reportage impossible aujourd’hui

Une fois sur place, les reporters visitent plusieurs camps dont ceux de Sittwe, dans l’Etat d’Arakan, et de Yin Daw, au centre du pays. « À aucun moment nous ne nous sommes sentis en danger », raconte Bruno Amsellem. Un cliché montre même les militaires basés à l’entrée de l’un des camps. L’un deux sourit. « J’ai pris cette photo à la fin du reportage. Je ne voulais pas voler le cliché, au risque de me faire arrêter, alors j’ai demandé l’autorisation aux gardes. Ils étaient ravis. » Un an après avoir effectué ce reportage, Bruno Amsellem est convaincu qu’il ne serait plus possible de le faire aujourd’hui. « Le gouvernement a verrouillé un peu plus toutes les informations sur la situation des Rohingyas. La plupart des camps sont fermés aux ONG. D’où l’urgence de parler de ce conflit. » À Visa pour l’image, Anne-Lise Fantino et lui comptent bien en témoigner.

Maud COILLARD