04 Sep

Pas de visa pour la Syrie

Bombardement d'un baril de TNT sur des habitations civiles. De nombreux blessés et morts sont à déplorer en ce 10 juillet 2014. Les corps sont en lambeau. Cet homme a perdu sa femme déchiquetée à ses pieds. Il crie sa tristesse.

Bombardement d’un baril de TNT sur des habitations civiles. De nombreux blessés et morts sont à déplorer en ce 10 juillet 2014. Les corps sont en lambeau. Cet homme a perdu sa femme déchiquetée à ses pieds. Il crie sa tristesse. ©Laurence Geai/SIPA

L’édition 2013 de Visa pour l’image avait largement mis en avant la crise syrienne. Cette année, elle a disparu des salles d’expositions de Perpignan. 

Jérôme Sessini, Sebastiano Tomada, Goran Tomasevic, trois photographes et autant d’expositions consacrées à la Syrie lors de l’édition 2013 de Visa pour l’image. Le visa d’or avait été attribué à Laurent Van Der Stockt pour son reportage dans la banlieue de Damas au moment des attaques chimiques. Sans compter la venue d’Edith Bouvier pour son livre Chambre avec vue sur la guerre. Cette année, du couvent des Minimes à l’église des Dominicains en passant par la chapelle du Tiers-ordre, Alep est invisible. Que reste-t-il du conflit syrien qui a tant mobilisé ?

« On ne peut pas traiter tous les sujets, tous les ans. Des conflits, il y en a partout et ce n’est pas parce que Visa ne les traite pas que l’on n’y pense pas, se défend Jean-François Leroy, directeur du festival. Je fais des choix quand je sélectionne les photos. Faut-il encore qu’il y ait de bonnes photos, de la matière à exposer ». L’organisation a trouvé de rares images. Elles seront projetées samedi soir au Campo Santo. « Il y a peu de clichés de la Syrie car les médias n’envoient plus personne depuis l’enlèvement des quatre journalistes français. La situation s’est tendue encore davantage avec les récentes exécutions. Les seuls qui y vont sont des journalistes freelance », assure Caroline Donati, journaliste à Mediapart.

Les kidnappings rendent la Syrie dangereuse. Laurence Geai, photoreporter de l’agence Sipa, est allée à Alep pendant une semaine au mois de juillet. Son travail fait partie de la sélection pour les projections de samedi. « Pendant un an et demi, on n’a pas pu y aller car l’Etat islamique était à Alep. Ses membres enlèvent des journalistes. De même que certains groupuscules mafieux qui se servent de la presse comme d’une monnaie d’échange ».

« Il est quasiment impossible de travailler en Syrie »

Au risque de kidnapping, s’ajoute celui des bombardements. « En plus des bombes traditionnelles, le régime lance quotidiennement des barils de TNT contre les quartiers rebelles d’Alep », confirme Laurence Geai.

Kamikaze de rentrer dans le pays en ce moment ? « Pas du tout. Si je n’avais pas été certaine à 90 % que la route qui mène à Alep était sécurisée, je ne serais pas rentrée en Syrie. » La jeune femme se tenait informée via ses contacts sur le terrain en temps réel. Sur place, « il est quasiment impossible de travailler en Syrie. Rien à voir avec la Centrafrique ou Gaza où je suis aussi allée. »

Les Syriens sont finalement les mieux placés pour publier des images. Salih Mahmoud Leila, Ahmed Mohammed Ali et Moustafa Sutlan de l’agence turque Anadolu Agency vivent en Syrie. Leur travail sera également présenté samedi soir à Visa. « Seul Salih était professionnel avant le début de la révolution », explique Ahmet Sel, éditeur en chef de l’agence. Ahmed et Moustafa sont plutôt des journalistes citoyens, devenus passeurs d’images par la force des choses. « Cela nous permet d’avoir des photos très récentes et de suivre les combats au quotidien ».

Des caméras restent sur le terrain, les journalistes repartent

Devant le danger du terrain, Caroline Donati a trouvé une solution pour que la Syrie ne disparaisse pas de l’actualité. Co-auteure du projet avec Carine Lefebre-Quenell, elle a armé de caméras trois révolutionnaires. Oussama, Amer et Majid se confient depuis octobre 2012 dans un webdocumentaire en ligne sur Arte : Journaux intimes de la Révolution. « Ce sont des témoignages intimes enregistrés au jour le jour. Ils contiennent des émotions universelles », commente Caroline Donati. Elle figurait parmi les finalistes du Visa d’or du webdocumentaire France 24/RFI.

La journaliste connaît bien la Syrie mais ne devrait pas y retourner. « Je pense que l’avenir, c’est cette sorte de témoignage ». Et la patte du journaliste ? « C’est frustrant de ne pas être sur place mais, finalement, si j’étais avec eux au quotidien, je ne pourrais pas travailler dans ces conditions. »

Laurence Geai, elle, va retourner en Syrie dès qu’elle pourra. « J’ai envie d’informer sur le massacre et la déshumanisation du peuple syrien. Cela me semble si injuste que je ne cesserai pas de me battre pour que l’on sache ce qu’il se passe là-bas. Je suis peut-être naïve mais je voudrais que mes photos fassent réagir ».

Laure FUMAS et Ophélie CREMILLIEUX

Et Gaza ?
L’inauguration n’avait pas encore eu lieu que beaucoup s’attendaient à voir, cette année à Visa, une exposition consacrée à la dernière crise israélo-palestinienne. Logique pour une manifestation qui traite de l’actualité de l’année écoulée. Or, les images des représailles sanglantes d’Israël, suite à l’enlèvement et l’assassinat de trois de ses étudiants, n’ont pas été imprimées. Elles seront projetées au Campo Santo samedi soir. La raison ? Le manque de temps. « Les expositions commencent à se préparer dès le mois de janvier, les dernières sont imprimées en juin », détaille Delphine Lelu, adjointe au directeur du festival. Le conflit a débuté au tout début du mois de juillet et s’est intensifié le 17 avec l’offensive terrestre.
Dans un billet sur le site internet de l’événement, Vincent Jolly, membre de l’organisation, estime que les expositions de Visa « n’ont pas vocation à informer au même titre qu’un journal télévisé, qu’une radio ou qu’un quotidien. Elles sont là pour approfondir des faits et souligner ceux qui auraient échappé à la presse généraliste ». Pour Delphine Lelu, « la projection est de toute façon une meilleure solution. Le conflit a été très largement couvert et nous avons le choix entre de nombreuses images. En projection, nous pouvons diffuser 250 images alors qu’une expo permet de présenter au public un maximum de 40 photos ». Le traitement réservé à Gaza serait plus complet ainsi, mais aussi moins exposé… Quant à savoir si le festival présentera les meilleures productions en 2015, Delphine Lelu entretient le mystère : « Nous aimons aussi montrer des reportages qui n’ont pas eu leur place dans les médias. »

A votre avis, pourquoi aucune exposition n’est consacrée à la Syrie cette année à Visa ?