L’exposition « Ceux du Nord » permet de vivre la guerre du Vietnam, telle qu’elle a été couverte par quatre soldats-reporters du camp pro-soviétique. On découvre une guerre du petit peuple, un regard nouveau sur un pan d’histoire déjà largement médiatisé.
Torses nus, des dizaines d’hommes traversent une rivière en courant. Une foule de soldats se précipite vers eux. Il y a des sourires, des accolades. Nous sommes le 9 mars 1973, au bord du Thach Han River. Le plus important échange de prisonniers de la guerre du Vietnam vient d’avoir lieu. « C’est une scène que je ne pourrai jamais oublier », affirme Chi Chu, auteur du cliché, exposé à Visa pour l’image.
C’est cette geste que racontent les 72 clichés de l’exposition « Ceux du Nord ». Celle du Vietnam, vue par Doan Công Tinh, Chu Chi Thành, Maï Nam et Hua Kiem, quatre soldats-reporters communistes qui vivaient avec la troupe, fusil en bandoulière et appareil photo à la main. « Les Occidentaux montraient l’horreur de la guerre, et voulaient la stopper. Eux voulaient prouver qu’ils pouvaient mettre les Américains en échec », explique Patrick Chauvel, à l’origine de cette redécouverte.
On connaît les clichés des Huet, McCullin, Burnett ou Burrows. Ils racontaient la jungle, la peur, l’héroïsme méconnu des GI’s. Au même moment, côté nord Vietnam, se construit la légende d’un peuple. Farouche, fervent. Ce peuple, on le voit pour la première fois en Occident.
On regarde les paysans tirer une pièce d’artillerie à travers la gadoue. On s’étonne du rôle primordial joué par les femmes : elles apportent le thé, rebouchent les cratères d’obus. Les miliciennes s’entraînent dans les rivières, combattent épaule contre épaule avec leurs camarades hommes. Plus troublant encore, cette énergie devient parfois de la joie. « A voir ces images, on n’imagine pas comment les Américains ont pu espérer gagner », s’étonne Thibault, 28 ans, venu voir « Ceux du Nord », avec une pensée émue pour son grand-père, combattant de la guerre d’Indochine. Car avant le Vietnam, il y eut l’Indochine. Et encore avant, la résistance face à l’occupation japonaise. Soit plus de trente ans de guerre continue. Trente ans de ténacité. Près de lui, Yvette s’émeut. Elle avait 18 ans en 1968. Elle avait l’âge des protagonistes des photos. « On voulait changer la société, c’était utopiste, pacifiste ; eux défendaient leur terre les armes à la main. On n’a pas vécu le même monde. »
Une claque qui en appelle d’autres
« Une claque ». C’est le mot qui vient à Edouard Elias, jeune reporter, ancien otage en Syrie. « Il y a du style, le cadrage est parfait. Quand on pense aux conditions dans lesquelles ils bossaient, ça laisse rêveur. C’est vraiment une exposition phare de Visa pour l’image 2014 ». Soldats-reporters, ils travaillaient dans la boue, mettaient jusqu’à un mois et demi pour ramener leurs « bobines » jusqu’à Hanoï.
« Nous avons fait notre devoir de citoyen, nous avons chassé l’envahisseur », affirme sobrement Doan Công Tinh. Le droit des peuples à disposer d’eux-même à un prix.
Les quatre reporters d’hier, un peu voûtés, mais l’œil toujours brillant, sont venus de Hanoï regarder leur expo. « On ne nous commandait pas de photos, explique Doan Công Tinh, c’était notre mission de faire savoir ce qu’on vivait ». En autodidactes pour certains, en semi-professionnels partisans pour d’autres.
D’où un engagement assumé, une empathie totale. On sent la douleur lorsqu’un lourd nuage noir de napalm flotte sur Quàng Tri. En 1975, alors que les troupes du Nord plantent enfin leur drapeau sur le palais présidentiel de Saigon, Hua Kiem jubile. De ce moment, il ne lui reste qu’un « sentiment de bonheur ».
Phénomène rare dans l’Histoire, ce sont les vaincus qui ont raconté ce conflit. Peu à peu, le récit des vainqueurs retrouve sa place. Le dernier numéro de « 6mois » publie les photos de Thomas Billhardt, photographe est-allemand qui partageait l‘ordinaire des « hommes du Nord ». C’est une vision nouvelle qui émerge. Dans ce contexte, « Ceux du Nord » est une exposition pionnière.
Ryad Benaidji