02 Sep

Avec « Dysturb », le photojournalisme s’affiche en grand dans les rues de Perpignan

Le collectif Dysturb colle des affiches dans la rue de l'Académie (Perpignan). © Alexandre Ollivieri

Le collectif Dysturb colle des affiches dans la rue de l’Académie (Perpignan). © Alexandre Ollivieri

Photojournalistes et colleurs d’affiches sont les deux casquettes des reporters du collectif « Dysturb » pendant Visa 2014. Dans les rues de Perpignan, leur initiative, une première, plaît au public.

Posté devant la caserne Mangin, les yeux en l’air, Godelin semble captivé par la photo du reporter Benoît Gysembergh. Perpignanais depuis toujours, il connaît bien Visa pour l’image. L’initiative du collectif « Dysturb » de coller l’actualité aux murs de la ville le surprend agréablement : « Je suis à la fois étonné par la taille de cette photo et touché par ce qu’elle représente. »  Sur le cliché, deux enfants de dos, à qui il manque chacun une jambe, se déplacent en béquilles. La scène a été captée en 1995, le long de la rivière Una, en Bosnie-Herzégovine.

Déjà sur les murs de Paris, Lyon et Sarajevo

Ce côté troublant, c’est la raison d’être du collectif. En anglais, « disturb » signifie « déranger ». L’idée est venue du photojournaliste Pierre Terdjman et rassemble une trentaine de professionnels. Ils ont déjà collé à Paris, Lyon, Sarajevo et envisagent de s’exporter à Londres, à Bruxelles, en Espagne…

Benjamin Girette est l’un des reporters/colleurs les plus actifs du collectif : « Nous souhaitons faire connaître le plus largement possible le travail de nos collègues qui vont en Irak, en Syrie, au Liban ou ailleurs. La rue est le lieu idéal pour cela car il est infini. C’est en quelque sorte la fin de la chaîne. Nous prenons les photos, nous les vendons aux journaux pour, enfin, les faire connaître au grand public. »

Ces photos ont été soigneusement choisies et se divisent en trois catégories. Les photos d’actualité comme celle de Laurent Van der Stockt, prises en juillet en Irak et placardée rue de l’Académie ; les photos historiques comme celle de René Vital, sur la guerre d’Indochine et vieille de 60 ans, et cinq photos de l’Unicef. « Dysturb permet à des photographes qui ne sont pas exposés à Visa d’avoir une visibilité pendant le festival », précise Benjamin Girette.

Le collectif Dysturb en plein collage rue de l'Académie.

Le collectif « Dysturb » en plein collage, rue de l’Académie à Perpignan. © Alexandre Ollivieri.

Plus loin, rue de l’Académie, la magie opère aussi. Eric, un touriste parisien, s’arrête net devant la photo d’Alvaro Canovas, prise au Liban : « L’idée est géniale car le cadre est moins strict que dans les expositions classiques. On peut tomber sur des photos au détour d’une rue et les admirer aisément, sans cohue. » Le grand format des clichés et les lieux d’affichage facilitent cette contemplation. Sur la photo de Benoît Gysembergh, affichée dans l’escalier de la place Molière, le passant aperçoit un soldat israélien harassé de fatigue, dormant debout contre un mur. « Avec ces affiches, on est dans l’émotion, la beauté pure », s’émerveillent Véronique et Georges, un couple de Montpelliérains.

Des photos arrachées

Le concept « Dysturb » provoque aussi des réactions négatives. Dans les rues de Perpignan, quelques photos ont été arrachées. Le portrait d’un manifestant égyptien au Caire, photographié par Benjamin Girette, est largement déchiré. « Certains nous disent que l’on n’a pas le droit de coller des affiches aux murs. Nous leur expliquons que ce sont des images faciles à enlever, qui ne laissent aucune trace. » Au début du projet, la mairie de Perpignan avait aussi quelques réticences. « Mais ils ont fini par comprendre que l’on ne faisait pas n’importe quoi », souligne Benjamin Girette. Justifier leur démarche, répondre aux questions, les photojournalistes de « Dysturb » le font sans problème. Mais parfois, ce n’est pas suffisant. « Une minorité ne veut pas d’Egyptiens, d’Ukrainiens ou de Syriens sur son mur, pour des raisons politiques. Alors nous n’insistons pas. Mais je pense que 98 % des gens de la ville sont ravis de ce que l’on fait. »

 

Texte et photos : Alexandre OLLIVIERI
Carte : Hendrik DELAIRE