L’un des plus grands défenseurs de l’oeuvre de Gustave Courbet, Jean-Jacques Fernier, est décédé à son domicile parisien le 25 mars. Vice-président de l’Institut Courbet et ancien conservateur du musée Courbet, il avait 89 ans.
Loin de la tourmente épidémique et proche des siens, Jean-Jacques Fernier s’est éteint chez lui, dans un univers imprégné par l’oeuvre de Gustave Courbet. Cet ancien architecte, Grand prix international d’architecture et d’urbanisme en 1969*, était « lié à Courbet par un double attachement familial et filial ». Lors d’une interview accordée à Chantal Humbert pour la Gazette de l’hôtel Drouot en 2011, Jean-Jacques Fernier détaillait l’histoire de cet attachement.
« Ma famille comtoise paternelle est parente avec le peintre. Jules-César Fernier, mon arrière grand-père, tenait l’auberge de la Vrine, proche de Goux-les-Usiers sur la route de Pontarlier. En juin 1873, il accueillit Courbet, ruiné et condamné à l’exil après le déboulonnage de la colonne Vendôme et facilita l’évasion du proscrit hors de France. Quant à mon père, le peintre Robert Fernier, fondateur du salon des Annonciades et initiateur du musée de Pontarlier,il voua toute sa vie un culte à Courbet. Il était d’ailleurs tellement présent dans notre vie familiale que nous l’appelions simplement «Tatave ». »
L’histoire de la famille Fernier est irrémédiablement liée à celle de l’Institut Courbet. Cette association vient de fêter ses 80 ans, l’année du bicentenaire de la naissance du maître d’Ornans. Robert Fernier a été l’un des instigateurs du musée Courbet. Initialement, ce musée surnommé « le plus petit musée de France » était dirigé bénévolement par Robert Fernier puis par son fils Jean-Jacques. Dans ce reportage, tourné en juillet dernier, vous pouvez voir une archive de l’INA où Jean-Jacques Fernier se confie sur sa nouvelle mission de conservateur du musée Courbet d’Ornans qu’il décide de prendre au décès de son père Robert :
« J’ai vécu toute ma jeunesse et toute mon enfance bercé dans les souvenirs de la peinture et dans les souvenirs de Courbet. J’ai moi-même une carrière d’architecte et donc toute une prédisposition aux choses de l’art. Alors, prendre une suite comme cela, c’est possible. La rendre aussi efficace, cela vous le jugerez plus tard ».
Pendant près de 40 ans, rappelle l’Institut Courbet sur son site internet, Jean-Jacques Fernier a été le conservateur bénévole du musée Courbet. « Il a organisé près de 40 expositions autour du thème du peintre, tant au Musée Courbet à Ornans que partout dans le monde et plus particulièrement au Japon » précise l’Institut.
Et c’est ainsi que chaque été à Ornans, les visiteurs de ce musée installé dans la maison ayant appartenu à la famille de Gustave Courbet, pouvait admirer des oeuvres de Balthus, Rebeyrolle, Bernard Buffet, Jean Messagier, André Masson.
Toujours à Ornans, au sous-sol de ce petit musée artisanal, L’origine du Monde est présenté en 1991et pour la première fois au public européen, avec son cache dessiné par André Masson. C’était avant sa dation au Musée d’Orsay par les héritiers de Sylvia Bataille et Jacques Lacan.
En 2008, Grand virage dans la vie de Jean-Jacques Fernier. Une bataille épique, financière et juridique s’engage avec le conseil général du Doubs. Jean-Jacques Fernier démissionne de son poste de conservateur bénévole et déclare ne pas approuver « les travaux de transformation du musée, dont la scénographie banalement contemporaine détruit l’esprit originel ».
Sous la houlette du département, le nouveau musée Courbet devient une locomotive culturelle pour la ville Ornans. L’Institut, lui, s’installe juste à côté, dans une petite maison où son conserver ses précieuses archives. L’association se recentre sur « le rayonnement international de l’oeuvre de Courbet » en publiant régulièrement un bulletin et en organisant des expositions dans le monde entier et en particulier au Japon.
En 2013, Jean-Jacques Fernier s’emballe et certifie que L’origine du Monde a une « tête » envers et contre tous les autres experts du peintre. Le « scoop mondial » de Paris-Match sera l’une des dernières prises de position publique de l’expert qui prend progressivement sa retraite.
Et c’est aujourd’hui son fils Sébastien qui a pris la relève, en devenant secrétaire de l’Institut Courbet dont le président d’honneur est Jeff Koons et son président l’ancien ministre Hervé Novelli. Entre les Fernier et Gustave Courbet, l’histoire se poursuit. Dès l’annonce du décès de Jean-Jacques Fernier, l’association Pays d’Ornans Patrimoine a tenu à réagir :
Nous devrons nous souvenir que c’est à lui et à sa famille que nous devons le Musée Courbet à Ornans. C’est à l’Institut Courbet, ou plutôt à l’époque l’association des « Amis de Gustave Courbet et du musée », que nous devons la réhabilitation de Gustave Courbet dans sa cité. Même si, lors du bicentenaire, nous avons pu mesurer le chemin restant à parcourir ! … Nous exprimons notre gratitude pour l’œuvre accomplie. Ornans lui doit beaucoup ».
A noter que cette nouvelle association, présidé par Claude Hügel, est le fruit de la fusion des « Amis d’Ornans » et de « Ornanais n’habitant pas Ornans ». Certains de ses membres sont proches de l’Institut Courbet.
Un récit qui s’écrit, comme celle de Courbet, entre Paris et le pays d’Ornans. Compte-tenu des circonstances, une cérémonie dans la plus stricte intimité est prévue à Paris mercredi 1er avril. Un hommage sera rendu cet été, à Goux-les-Usiers.
Isabelle Brunnarius
isabelle.brunnarius(a)francetv.fr
* « A Paris, comme dans la Nièvre et dans toute la France, Jean Jacques Fernier a conçu pendant près de 50 ans : Parmi ses réalisations, l’hôtel particulier de la rue de la Chaise, le théâtre du Rond-Point, l’Hôtel Drouot, un immeuble design en fonte aluminium moulé, mais aussi la Cathédrale de Tahiti, le Club nautique des Settons, ou encore avenue Matignon un immeuble intégrant les œuvres d’artistes plasticiens comme Dominique Babinet ou Pierre Célice » précise l’Institut Courbet.