L’année du Bicentenaire de la naissance de Courbet prend son envol avec l’inauguration de l’exposition « Courbet dessinateur » au musée Courbet d’Ornans. Jusqu’au 29 avril, c’est l’occasion de découvrir un talent encore méconnu du maître d’Ornans : celui de dessinateur.
Emprunter les chemins de Gustave Courbet, c’est toujours une aventure. Le peintre nous réserve des surprises. On peut être décu face à une toile peu visionnaire ou complètement interloqué devant une oeuvre complexe. Les passionnés de Courbet aiment chevaucher ces montagnes russes des émotions. Cette fois-ci, le maître nous entraîne sur une piste ardue et périlleuse, celle d’un univers discret par essence : le dessin.
Longtemps, les spécialistes de Gustave Courbet ont laissé en friche ce territoire. Frédérique Thomas-Maurin, la conservatrice en chef du musée Courbet d’Ornans a justement voulu explorer ce terrain miné par des contreverses. Pour ouvrir le débat, la conservatrice s’est adressée à Niklaus Manuel Gübel. Cet historien d’art suisse est le commissaire scientifique de l’exposition « Courbet dessinateur » . Avec Anne-Sophie Poirot et Philippe Clerc, ils ont mené un travail de titan.
Combattre les idées reçues n’est pas aisé. Petit retour en arrière. Entre 1984 et 1986, une polémique entre spécialistes fait rage. Le spécialiste allemand de Courbet, Klaus Herding, publie un catalogue d’exposition présentant 208 dessins attribué à Gustave Courbet. Les dessins sont exposés à Baden-Baden et à Zurich. Deux autres éminents spécialistes, l’Américaine Petra Chu et le Français Jean-Jacques Fernier contestent l’authenticité de la plupart de ces dessins.
Dans l’ouvrage que vient de publier Niklaus Manuel Gübel, avec Anne-Sophie Poirot et Philippe Clerc, tout est détaillé :
Le lot incriminé, dispersé dès 1956 par Paul Reverdy, petit-fils de l’artiste-peintre Jean Baptiste Eugène César Reverdy (1822-1881) et de Zoé Courbet (soeur de Gustave), était resté dans la famille Reverdy et passait pour un fonds d’atelier présumé de Gustave Courbet. En collaboration avec la Galerie Garibaldi à Marseille, Paul Reverdy a disséminé le lot qui se trouve aujourd’hui dispersé entre plusieurs collections privées et publiques, dont trois feuilles au Dallas Art Museum165 et cinq au Städel Museum de Francfort166 où elles sont aussi entrées par dation.
Aucun de ces dessins n’est exposé à Ornans, Dans notre reportage réalisé avec Laurent Brocard, Remy Bolard et Stéphanie Chevallier, Niklaus Manuel Gübel parle de « rétropédalage ». L’histoire de l’art, comme toutes les sciences, est en perpétuelle évolution. D’après ces spécialistes, il faut se rendre à l’évidence que des dessins faussement attribués à Courbet sont dans des collections privées et publiques.
L’équipe d’historiens d’art a poursuivi sa quête en examinant un autre fonds de dessins. Celui réunit par le collectionneur suisse Emile Chambon (1905-1993). Comment ne pas revivre une « affaire Reverdy » ? La crainte semble avoir été rapidement écartée. Si une série de 39 croquis animaliers semble bien ne pas être de la main de Gustave Courbet, il restait 48 dessins « indépendants et particulièrement aboutis ». Il s’agit souvent de paysage de la vallée de la Loue ou de personnages. Emile Chambon, lui aussi artiste, est « l’un des premiers à s’être interessé à l’oeuvre dessiné de Courbet et en avoir défendu les qualités » précise le texte de l’exposition.
Ces dessins présentent suffisamment d’éléments convaincants pour qu’une attribution à Gustave Courbet puisse sérieusement être envisagée. À défaut de pouvoir, en l’absence de documentation complémentaire, se prononcer de manière définitive, nous devons à l’étude de cet ensemble d’avoir eu l’occasion d’ouvrir à nouveau le dossier des dessins de Courbet et de proposer au lecteur amateur comme à l’exégète une mise au point sur l’oeuvre dessiné du maître, sur la place qu’il occupe dans son travail de peintre et sur les discussions qui animent les spécialistes.
conclut Niklaus Manuel Güdel. Certains d’entre eux sont exposés à Ornans. La plupart appartiennent désormais à un collectionneur privé.
Une fois ces mises au point faites, une autre traque commence. Celle aux inédits ou aux oubliés. Pour des conservateurs et des historiens d’art, présenter au public des oeuvres méconnues voir inconnues, est un plaisir équivalent à celui des chercheurs d’or face à une pépite ! C’est le cas de La Lecture, fusain et estompe de 1853 conservé au musée de Tournai en Belgique.
Si les dessins les plus célèbres de Courbet, (La Guitariste, Un peintre à son chevalet ) n’ont pas pu sortir des collections publiques américaines ( musée Fogg de l’université d’Harvard) en raison de leur fragilité, d’autres musées ont prêté leurs trésors.
Une belle occasion pour comprendre que le dessin était pour Courbet un champ d’expérimentation. Il faut prendre le temps de regarder de très près cette « source de la Loue » pour chercher les gestes de l’artiste. De la même manière lorsque l’on cherche la trace du couteau sur une peinture de paysage. Même si le titre est un peu déroutant, ce dessin est captivant.
Avec une image aussi singulière et, reconnaissons-le, résistante à l’analyse, Courbet nous rappelle combien son art n’est pas réductible à un réalisme étroit et l’on pense aux premiers dessins du jeune Odilon Redon, à ses paysages rocheux, ses nuages pétrifiés et ses gouffres inquiétants des années 1865-1866. Là aussi, la « vision » supplante l’observation et la nature se fait métaphysique.
écrit Jean-David Jumeau-Lafond dans l’imposant catalogue de l’exposition d’Ornans et, prochainement, du musée Jenish à Vevey en Suisse.
Si vous prenez le chemin du musée Courbet d’Ornans d’ici la fin du mois d’avril, n’oubliez pas de soulevez un cache noir pour découvrir le seul dessin protégé ainsi de la lumière. Il appartient au musée des Beaux-arts de Lyon. En 1855, Courbet dessine ces deux femmes endormies sous la torpeur de l’été.
En novembre 1877, un mois avant sa mort, Gustave Courbet se débat pour payer des frais de justice. Exilé en Suisse, il confie dans une lettre à son ami Jules Castagnary ses soucis. Il regrette que ces oeuvres, laissées dans son atelier parisien, soient vendues à « vil prix ». Et il se souvient de « deux dessins » qu’il ne pourra « jamais refaire » : L’un des deux est justement ces Femmes dans les blés. Vint-deux ans après les avoir dessinées, ils ne les avaient pas oubliées.
Isabelle Brunnarius
Isabelle.brunnarius(a)francetv.fr