23 Fév

Jean Verneaux et les rivières comtoises : l’histoire n’est pas finie

Jean Verneaux en 1973

Jean Verneaux en 1973

Intense pédagogue, homme de terrain, précurseur, créatif et anti-conventionnel… Les éloges sont unanimes : Jean Verneaux était un grand scientifique. Cet hydrobiologiste franc-comtois vient de décéder à l’âge de 80 ans et son héritage est bel et bien vivant. Aujourd’hui, les spécialistes des milieux aquatiques utilisent un outil de mesure de la qualité des eaux mis au point par Jean Verneaux et les étudiants du Master Sciences de l’Eau-QuEST peuvent mettre en avant un diplôme réputé en France.

Des centaines d’hydrobiologistes français et étrangers, cadres du secteur privé, gestionnaires publics et autres acteurs de l’écologie aquatique sont issus de cette école bisontine. La plupart d’entre eux utilisent toujours les outils qu’il a forgés. (François Degiorgi, université de Franche-Comté et bureau d’études Teleos-Suisse)

 

IBGN… ces quatre lettres sont le b-a-ba des hydrobiologistes et ils le doivent à Jean Verneaux. A la fin des années 60, il fait partie de ceux qui ont mis au point une méthode pratique de détermination de la qualité des eaux courantes.  C’est ce qu’a souligné Anne Vignot dans son communiqué en tant que présidente du groupe municipal des élus écologistes de Besançon :

Cette approche a permis d’avoir un référentiel sur toutes les rivières de France et d’établir leur état dès les années 70. Il a soulevé la question de santé publique de par la présence des nitrates et phosphates dans nos rivières, et ce durant des périodes où ces questions étaient difficiles à mettre sur la table politique, professionnelle ou en réunion publique.

En 1973, le scientifique soutient sa thèse et déjà son travail est remarqué. Elle porte sur le réseau hydrographique du Doubs. Marie Meziere-Fortin, blogeuse-hydrobiologiste vient de publier dans son hommage la préface de cette thèse :

Il s’agit en fait d’une longue histoire commencée avec mon père il y a quelque vingt-cinq ans sur les berges du Doubs, qui s’achèvera sans doute dans quelques années avec la mort de la rivière (…) L’écologie c’est d’abord et surtout le terrain ; les chercheurs ne le fréquentent jamais assez et la cause première de ce travail est, je crois, constituée par les cours d’eau eux-mêmes, par ce qu’il en reste dois-je actuellement écrire .
Un discours déjà alarmiste. Des confrères l’avaient rencontré lors d’un tournage sur les pollutions dont était victime le Doubs.

Dans ce film, nous voyons combien Jean Verneaux attachait de l’importance au travail de terrain. Une observation et une collecte réalisé avec les garde pêches. Il y a des images de la camionnette laboratoire évoquée par Jean-Paul Vergon lors l’hommage rendu à son professeur. L’hydrobiologiste raconte comment avec Guy Boucheron, du Conseil Supérieur de la Pêche, « un procès-verbal avait été dressé à une entreprise fabricant des poudres pour l’armée et dont le rejet polluait gravement le Doubs »

Là est né le lien organique comtois entre formes polluantes et méthodes biologiques globales de détermination de la qualité des eaux.

Jean Verneaux « fut un des premiers limnologues (spécialistes de la vie des eaux douces) à prendre en compte les variations d’abondance des espèces aquatiques, et non seulement leur présence / absence, pour modéliser leur répartition et leur dynamique »  explique François Degiorgi. Un travail réalisé grâce à une collaboration transdisciplinaire avec des chimistes, hydrodynamiciens, statisticiens et biologistes. « En ce sens, c’est un vrai écologiste des eaux douce, puisque l’écologie est avant tout la science des relations et des interfaces » précise François Degiorgi.  Même reconnaissance chez Pierre-Marie Badot, chercheur du laboratoire Chrono-environnement de l’universite BFC. Lui aussi a été formé par Jean Verneaux : 

Il fut l’un des tout premiers à reconnaître l’importance des variations d’abondance des organismes aquatiques et à les utiliser pour développer des outils d’évaluation de la qualité biologique des cours d’eaux et des lacs : les divers indices (IBG, IBGN, IBL…) qu’il a contribué à créer sont à la base de nombreuses méthodes employées aujourd’hui dans le cadre de la surveillance réglementaire des milieux aquatiques.

Tous ces hommes et femmes qui lui rendent aujourd’hui hommage ont été formés à l’école de Besançon. C’est l’autre grand héritage laissé par Jean Verneaux. Pierre-Marie Badot poursuit :

Jean Verneaux a surtout marqué ses élèves et ses collaborateurs par son attitude sans concession vis à vis des pollutions et des pollueurs, ainsi que par sa pédagogie ancrée dans la pratique et le réel.
Incontestablement, l’actuel Master des Sciences de l’Eau délivré par l’Université de Franche-Comté doit beaucoup à l’impulsion initiale donnée dès 1969 par Jean Verneaux lors de la création du DESS Eaux continentales, Pollution et Aménagements : des centaines d’hydrobiologistes français et étrangers, cadres du secteur privé, gestionnaires publics et autres acteurs de l’écologie aquatique sont issus de cette école bisontine et ont bénéficié des savoirs mis au jour et professés par Jean Verneaux et ses collègues.
C’est aussi le cas de Marie Meziere-Fortin. Elle fait partie des diplômées du DESS de Besançon. La jeune femme a eu Jean Verneaux comme professeur :
Pour moi, Jean Verneaux restera bien sûr associé au DESS d’hydrobiologie de Besançon, « mon » DESS. Promotion 2002/2003, j’ai eu la chance de suivre les cours de cet homme, charismatique, le visage marqué, sa cigarette à la main… Parfois les cours tenaient plus de la leçon d’écologie qu’à l’enseignement théorique, martelant que nous devrions protéger en priorité ce qui est encore sauvable parmi les milieux aquatiques et la faune qui leurs sont inféodés.  
Protéger ce qui est encore « sauvable »… Jean  Verneaux a arpenté sans relâche les rives du Doubs, de la Loue et de leurs affluents. Au fil des ans, il a pu constater la dégradation des milieux aquatiques, mis à part sans doute le Doubs dont la santé s’est améliorée grâce à une plus grande efficacité des systèmes d’assainissement urbain. Mais, le degré d’exigence, voire d’intransigeance du professeur franc-comtois n’a pas été suivi par les décideurs. L’indice IBGN qu’il avait mis au point, a été adapté pour définir la qualité des eaux douces françaises dans le cadre la Directive Européenne DCE. Une note de 14/20 de cet indice modifié définit désormais un état de très bonne qualité écologique selon la DCE, alors qu’en Franche-Comté une telle note peut être atteinte même si les espèces animales sensibles à la pollution ont disparu en grande partie. Cette moindre exigence explique en partie le paradoxe de la Loue. La rivière est classée sur la majorité de son linéaire en « bon état écologique » alors que ce cours d’eau se meurt.
Dans son communiqué, Europe Ecologie Les Verts rappelle que Jean Verneaux était
un homme d’un très fort caractère qui allait au devant des agriculteurs, des industriels, des collectivités. Il ne ciblait pas des corporations, il cherchait les sources de pollution concrètement et proposait des solutions. Il représentait en son temps le rapport essentiel entre science et société qui aujourd’hui peut apparaître si naturel alors que cela prenait parfois l’apparence d’une bataille dans ces années de grande croissance.
Pour sauver la Loue et les rivières comtoises, les solutions existent bel et bien. Jean Verneaux avait tiré la sonnette d’alarme bien avant la pollution de 2010. Et, aujourd’hui, ses héritiers spirituels ont encore bien du mal à imposer son point de vue forgé depuis son enfance passée  au bord des rivières.
Isabelle Brunnarius
isabelle.brunnarius(a)francetv.fr