28 Nov

Manifestations: faut-il couvrir les affrontements?

3A5C9013

INTROSPECTION MÉDIATIQUE – Dans la nuit du 25 au 26 octobre 2014, sur le chantier du barrage de Sivens (Tarn), le militant écologiste Rémi Fraisse décède à l’âge de 21 ans suite à l’explosion d’une grenade offensive lancée par un gendarme. Depuis cette date, plusieurs manifestations à travers le pays ont été organisées spontanément et certaines d’entre-elles ont été perturbées –notamment à Toulouse– par des casseurs. Que retenir du traitement médiatique de ces incidents ? Et faut-il continuer à couvrir ces manifestations ?

Samedi 22 novembre, deux manifestations ont été organisées à Toulouse. La première, en fin de matinée, à l’initiative d’associations, syndicats et partis politiques «contre le barrage de Sivens et les violences policières». La seconde, dans l’après-midi, n’avait pas fait l’objet d’une déclaration en préfecture. Si le tract de cette dernière manifestation ne mentionnait pas d’organisateur, il appelait à se mobiliser uniquement «contre les violences policières». 16 personnes ont été interpellées suite aux affrontements de cet après-midi là.

 

Effet collatéral d’un fait de société

Les précédentes manifestations du 1er et du 8 novembre avaient aussi dégénéré. Du mobilier urbain et des agences bancaires avaient été saccagés. Le rassemblement du 1er novembre n’avait pas été déclaré et la manifestation suivante interdite par le préfet.

L’image du casseur, des poubelles qui brûlent, des interpellations musclées sont des éléments que les médias diffuseront et que l’opinion publique retiendra. Pourquoi ?

Cette vague de manifestations s’impose comme un effet collatéral à ce fait marquant qu’est la mort de Rémi Fraisse sur le chantier du controversé barrage de Sivens. En un mois, les rebondissements tant sur la mort de ce jeune homme que sur le barrage ont été nombreux. D’un épineux projet de barrage dans le fin fond du Tarn, il suscite désormais l’ouverture d’une procédure d’infraction contre la France par la Commission européenne. C’est avec la mort de Rémi Fraisse que l’emballement médiatique a retenti au niveau national. Son nom associé au barrage est dès à présent ancré dans les mémoires collectives, comme il y a trente ans avec Malik Oussekine.

 

Garde du corps pour les reporters TV

Si le phénomène des «casseurs» en manifestation n’est pas nouveau, il cristallise toujours autant l’attention des organisateurs, des autorités et des journalistes. Pour les organisateurs il peut brouiller voire desservir le message d’une cause revendiquée. Concernant les autorités, il s’agit de garantir le droit de manifester tout en assurant le maintien de l’ordre public. Pour la presse, il faut relayer des faits produits, comme par exemple, le nombre de personnes interpelées et les dégradations commises ; ce qui n’est pas sans provoquer de la part de certains manifestants une haine verbale, parfois physique, envers les journalistes. Ici à Toulouse, des équipes tv ont été contraintes de retirer les bonnettes micros identifiant le média. Pire, des gardes du corps ont été embauché pour veiller à la sécurité de ces mêmes reporters TV.

Depuis la manifestation du 8 novembre, plusieurs journalistes se protègent avec un casque pour éviter d’être atteint par un projectile. J’ai personnellement adopté l’attitude de porter un casque et des protections contre les gaz lacrymogènes pour travailler dans des conditions sereines. Cela semble surréaliste tant l’imaginaire collectif voit davantage des reporters se protéger dans des pays en guerre qu’en France en 2014.

 

Tolérance à géométrie variable ?

Les «casseurs» laissent derrière eux des traces de leurs dégradations, mais est-ce que l’apparition seule de « casseurs » peut suffire à enclencher une telle frénésie médiatique? Quelques jours après la première manifestation toulousaine du 1er novembre, les agriculteurs qui se sont prononcé «pro-barrage» ont commis des actes gratuits de dégradations sur des lieux publics et privés en y déversant fumier, purin et lisier. Aucune interpellation n’a été recensée. Est-ce l’aveu que la tolérance est à géométrie variable?

Des images d’un climat insurrectionnel commis par quelques individus semblent être plus fortes aux yeux de l’opinion publique qu’une masse compacte de manifestants déterminés.

Faut-il alors continuer à couvrir les manifestations «contre le barrage de Sivens et les violences policières» ? Oui. En juillet dernier, j’évoquai déjà sur ce site la nécessité de couvrir systématiquement une énième manifestation sur un fait marquant de société. Même si les slogans sont les mêmes, plusieurs facteurs peuvent différer et donc doivent être pris en compte. Le dernier rassemblement du 22 novembre avait réuni plus de 1.200 manifestants, un record depuis le début de la mobilisation. Autre fait, cette manifestation a été repoussée par les forces de l’ordre de l’hyper-centre de Toulouse contrairement aux précédentes.

Si le travail journalistique s’arrête lorsqu’il n’y plus aucune information nouvelle à apporter sur ce que l’on sait déjà, relater dans un reportage ou montrer à travers des photos de presse des faits de violence –quelle que soit sa nature– est une nécessité.