08 Fév

Des photos et des histoires

Toulouse hors-champ a cinq ans d’existence. Retour en images, dont certaines jamais publiées, sur ce qui a fait l’actualité dans la Ville rose et sa région.

14.446 photos. Depuis 2o14, je m’efforce de montrer, ici, le hors-champ de l’actualité. Dans un exercice rédactionnel et photographique, il s’agit de contextualiser un événement en étant le plus exhaustif possible et d’apporter une plus-value à l’information brute. Les sujets politiques, sociaux et de société sont les thèmes les plus récurrents sur Toulouse hors-champ. Pourquoi? Car l’emprise de la communication est parfois si forte qu’elle brouille les véritables enjeux de l’information. C’est au journaliste de repérer —entre autres— les effets de manche de la communication pour proposer exclusivement aux lecteurs/téléspectateurs/auditeurs un contenu correctement recoupé et vérifié.

En cinq ans d’existence, je le concède, certains sujets auraient pu être (mieux) traités. De nouvelles rubriques pourraient étoffer cet espace de décryptage.

D’ailleurs, certains reportages d’actualités n’ont jamais vu le jour sur Toulouse hors-champ et restent dans les brouillons de mon ordinateur par manque d’image et/ou d’histoire à relater. Une bonne photo de presse doit lier deux idéaux parfois difficiles à rejoindre: apporter une information et être forte esthétiquement. Dans certaines situations de reportage, il faut anticiper les mouvements des sujets que l’on photographie car nous n’avons que quelques secondes pour réfléchir à la composition de l’image (ce que l’on va inclure/exclure du cliché) et au cadrage de la photo.

Le photojournaliste est responsable de ce qu’il prend en photo, pas de l’interprétation qui en est faite. Il est donc essentiel de toujours légender une image d’actualité. Cette dernière peut-être délibérément tronquée, modifiée voire décontextualisée (date, lieu) par des individus aux mauvaises intentions dans le but de nuire à une cause ou à des personnes. C’est ce que j’appelle la malinformation. Elle représente un danger pour l’internaute qui relaie un contenu sans l’avoir vérifié et renforce, par inclination, une croyance erronée sans se douter qu’en réalité il s’agit d’une fausse information.

 

/// Pour aller plus loin : Incendies en Australie : comment vérifier les images qui circulent sur internet? (Par AFP)

 

Avec cette rétrospective, je me replonge dans une partie de mes archives professionnelles. Certaines photographies ne laissent pas indifférentes. Pour la préparation de cette publication, j’ai passé quelques heures à revoir des images et des visages dans des situations qui peuvent faire sourire mais aussi rappeler des événements remplit de tristesse. Mon travail est de documenter, certes à l’échelle locale, les actualités qui méritent notre attention. La photo de presse est un puissant vecteur d’émotion et peut agir comme un électrochoc des consciences. Le cliché réalisé par Nilüfer Demir en 2o15 du petit Aylan Kurdi, cet enfant syrien mort noyé sur une plage de Bodrum (Turquie), en est la parfaite illustration. Pour autant, cette émotion ne doit pas se substituer à l’information au risque de tomber dans le versant de la communication.

Aujourd’hui, n’importe qui peut réaliser des photos avec son smartphone. Moi-même, j’utilise mon téléphone portable comme Monsieur-et-Madame-Tout-Le-Monde pour me fondre dans la masse mais aussi par souci de légèreté car je transporte un sac de reportage d’environ 1o kg. Certaines de ces images atterrissent sur mon compte Instagram. Néanmoins et de la même manière que savoir écrire ne fera pas de vous un Arthur Rimbaud, prendre des photos ne fera pas de vous un Jean Dieuzaide. La photographie répond à des règles précises où l’on peut s’affranchir qu’une fois la technique parfaitement maîtrisée.

 

Les «Gilets jaunes», un mouvement inédit et indélébile

 

Si on me demandait de sélectionner les photos les plus fortes de ces dernières années, celles prises pendant les manifestations des «Gilets jaunes» arriveraient en tête. Il en ressort de ces images celles d’un pays profondément polyfracturé empreint d’un sentiment partagé entre la colère et la lassitude. Un pays qui n’arrive plus à dialoguer et encore moins à se comprendre. La rue est le théâtre d’un dialogue de sourds qui se mue parfois en violences verbales, physiques et dégradations ciblées. Le degré de casse ainsi que la réponse répressive ont atteint un niveau sans précédent. Pour la première fois à Toulouse, on a vu les blindés de la gendarmerie (VBRG) en temps de manifestations. D’abord déployés sur la place du Capitole (photo ci-dessus), ces véhicules blindés peuvent également se trouver près de la place Saint-Étienne pour protéger la préfecture. En huit années de journalisme, cette mobilisation à la démarche et aux compositions sociologiques inédites laissera une trace indélébile dans ce mandat présidentiel. Le climat n’était pas, comme j’ai pu le lire ou l’entendre, comparable à une «guerre civile» mais plutôt insurrectionnel.

Parmi les souvenirs les plus marquants des événements «Gilets jaunes», c’est celui du samedi o8 décembre 2o18. Malgré sa cagoule et son casque de moto, j’ai été le seul journaliste à avoir formellement reconnu le maire (LR) de Toulouse Jean-Luc Moudenc à l’arrière d’un scooter piloté par Frédéric Brasilès, conseiller municipal démissionnaire, dans le quartier Saint-Cyprien. À distance, les deux élus observaient les très importantes détériorations commises par les casseurs. Une situation tellement improbable au point d’être dans un état de sidération et d’oublier de réaliser LA photo qui aurait permis d’illustrer le récit des événements. Depuis cette date, certaines manifestations font l’objet d’un running gag qui consiste à demander si le maire de la Ville rose est présent dans le cortège.

 

 

En même temps que les «Gilets jaunes», des lycéens se sont mobilisés. Cette catégorie de manifestants est la hantise des autorités. Elles redoutent qu’un drame survienne au cours d’interpellations ou d’affrontements entre lycéens et forces de l’ordre. Ces protestataires n’ont pas forcément les mêmes réflexes que les organisations syndicales comme penser à déclarer au préalable une manifestation, à établir avec les autorités compétentes un parcours et enfin de disposer d’un «service d’ordre» pour éviter l’écueil des casseurs. Si des vitrines d’Abribus ont été détruites et que des conteneurs de poubelle ont été placés sur le milieu de la chaussée, la casse est graduellement bien moins importante que pendant certains samedis de mobilisation des «Gilets jaunes». 

L’action des forces de l’ordre dans la dispersion des manifestants peut aussi provoquer des dommages collatéraux. L’un d’entre eux concerne une femme accompagnée d’enfants qui sort du métro de la ligne B à la station Jeanne-d’Arc, en décembre 2o18. En larme et en détresse respiratoire à cause du gaz lacrymogène, la situation illustre une information: les affrontements touchent également des passants —de tous les âges— qui n’ont rien à voir avec la manifestation. Après avoir réalisé cette image (ci-dessous) et avec l’aide du jeune homme présent sur le cliché, j’ai mis à l’abri la femme et les enfants dans un restaurant. Être journaliste ne vous interdit pas d’avoir de l’empathie. Dans une publication sur Twitter datant de décembre 2o19 et dont on ignore l’auteur de la vidéo, une situation quasi-similaire s’est produite dans la station Jean-Jaurès. Dans cette interconnexion —très fréquentée— entre la ligne A & B, on observe un épais nuage de gaz lacrymogène et des usagers du métro se couvrir les voies respiratoires, tousser ou encore courir.

 

 

Une nouvelle forme de manifestation …

La France, pays des manifestations permanentes? En parallèle des traditionnels défilés organisés par les syndicats, la mobilisation contre la réforme des retraites amène certains grévistes à déployer de nouvelles formes d’actions. Dans la capitale, l’Opéra de Paris a proposé des concerts symphoniques avec un chœur et des ballets. Pendant les vœux de la direction du Mobilier national, plusieurs artisans ont déposé au pied de leur directeur des outils de travail. Une action symbolique reproduite avec les cartographes de l’Institut national de l’information géographique et forestière (ex-Institut géographique national) en grève. Dans de nombreuses villes, les avocats ont jeté leur robe au sol tout comme des médecins avec leur blouse blanche.

À Toulouse, des professeurs de lycée ont lancé vers les grilles du rectorat de vieux manuels scolaires et parfois des cartables pour protester contre la réforme du baccalauréat. Toujours dans la Ville rose, deux marches aux flambeaux ont été organisées. Quant aux pompiers, les soldats du feu ont réalisé des die-in. Néanmoins, cette volonté de diversifier les modes d’action n’est pas nouvelle. En 2o18, dans un de ces rares moments d’union entre avocats et magistrats, le monde judiciaire exprimait sa désapprobation sur plusieurs mesures de la réforme de la justice. En fin de cortège, face à la préfecture, les avocats lançaient déjà au sol leur outil de travail: les codes Dalloz.

 

 

S’il y a bien une profession dans laquelle on ne s’attendait pas à voir battre le pavé, c’est celle des notaires. En 2o14, la «loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques» ou «loi Macron» a fait sortir —pour la première fois— ces officiers publics dans la rue. Malgré leur statut de néo-manifestants, les organisateurs avaient vu les choses en grand: camion-benne de trois tonnes cinq équipé d’enceintes, sifflets, pancartes en feuille cartonnée au format A3, packs d’eau pour lutter contre la chaleur, bâches géantes installées sur la place Saint-Étienne et t-shirts sérigraphiés distribués à tour de bras. Sur le textile, côté recto, plusieurs lignes horizontales de couleur bleu façon marinière et au niveau de la poitrine, une inscription: «Pour un notaire ‘made in France’». Deux références explicites à la Une du Parisien magazine avec Arnaud Montebourg ministre du Redressement productif et une réponse à son souhait de modifier les statuts de cette profession réglementée.

Les moyens de communication sont bien plus importants que celles des organisations syndicales. Leur force de persuasion est parfaitement coordonnée, calibrée et policée. De cette ambiance qui détonne, les codes de la  traditionnelle manifestation syndicale sont ici réappropriés. La sono balance tantôt de la pop music, avec en tête du Pharell Williams et son titre Happy, tantôt de la variété française. Au micro, les responsables du rassemblement invitaient même les manifestants à «faire le Madison devant le camion». Parmi les grévistes, une femme entonnait avec rire Bella Ciao, un chant associé aux partisans de gauche voire à la mouvance anarchiste. Et «pour donner une bonne image de la profession, explique un homme au micro il faudra ramasser les tracts à terre».

 

 

… et une tolérance à géométrie variable?

Tous les samedis ou journées de manifestations, les agences bancaires, d’assurances, immobilières ou de travail temporaire sont recouvertes de panneaux en contreplaqués. L’objectif? Éviter les dégradations ciblées, la destruction du mobilier urbain, les bris de vitrines ou encore le tags. Si certaines réparations sont prises en charge par les assurances, d’autres sont supportées par le contribuable.

En novembre 2o14, les agriculteurs ont épandu du lisier, du purin ou encore déversé du fumier sur plusieurs entrées de la cité administrative et celle du parti politique EE-LV. Ces dégradations sont des actes qui constituent une atteinte volontaire de biens publics ou privés. Selon la gravité des faits, le vandalisme est puni d’une contravention et/ou d’une peine de travail d’intérêt général voire d’emprisonnement. Or, aucune interpellation n’est recensée et le nettoyage est réalisé par le service de propreté de la ville de Toulouse. Ces actions musclées «semblent bénéficier de la part des pouvoirs publics d’une ‘bienveillance’ en cas de manifestation qui peut donner le sentiment qu’ils bénéficient d’une certaine impunité», relevait à l’époque France 3 Occitanie.

 

 

«À gauche ou à droite?», questionne Emmanuel Macron

Les femmes et les hommes politiques sont des professionnels de la communication. Ils savent que le moindre geste ou déclaration qui peut paraître au premier abord anodin pour l’opinion publique porte en réalité un message politique. Sur la photo (ci-dessous), Emmanuel Macron est en déplacement à Toulouse pour participer à une tribune libre au festival Futurapolis et rendre visite à des jeunes pousses. Trois mois après sa démission du ministère de l’Économie, il n’est pas officiellement candidat à l’élection présidentielle mais son attitude, ses propos —comme celui d’être un homme politique «ni de droite, ni de gauche»— ainsi que de la création de son parti politique En Marche au mois d’avril 2o16 sont autant d’indices qui ne laissent aucune place au doute.

À l’issue de son intervention au Quai des savoirs, l’homme politique poursuit sa visite dans la Ville rose. Là, en face de lui, au moins une dizaine de journalistes avec caméra et appareil photo forme une ligne. Arrivé à hauteur des reporters, Emmanuel Macron questionne ses collaborateurs sur le chemin à prendre pour regagner la voiture. «À gauche ou à droite?», s’interroge-t-il. Ce dernier réalise, en même temps, des mouvements de va-et-vient avec ses deux bras pendant au moins cinq secondes. Un temps suffisant pour que les caméras de télévision enregistrent la scène et que les appareils photo figent cet instant. Finalement, la voiture était garée à droite.

 

 

Ce n’est pas un politique mais il a la rhétorique. De passage à Toulouse en 2o14, Eric Zemmour est en pleine promotion de son ouvrage Le Suicide français. Invité par l’association Face à face présidée par Marie Coquelin, par ailleurs ancienne coorganisatrice toulousaine de La Manif pour tous, l’accueil réservé par les partisans de Zemmour est digne d’un meeting politique. En conférence de presse, les journalistes locaux repèrent la présence d’Olivier Arsac, adjoint (ex-DLF) au maire en charge de la prévention et de la sécurité. Il fait la bise à l’écrivain et échange quelques mots en se tutoyant. Dans la salle Barcelone, Marie-Pierre Chaumette, adjointe (MPF) au maire en charge des espaces verts est installée aux premiers rangs.

Réalisée depuis la tribune, cette photo fige une séquence qui n’aura duré que quelques secondes. Elle résume à elle seule l’événement. Comme une rock-star, Eric Zemmour reçoit les chaleureux applaudissements d’une foule compacte venue écouter le polémiste. En retour, il salue d’un geste de la main un auditoire déjà conquis par ses idées.

 

 

Vertige émotionnel

Parfois, les actualités peuvent être plus tristes que d’autres. Après les attentats du 13 novembre 2o15 à Paris, les Toulousains se sont retrouvés sur la place du Capitole pour rendre hommage aux 13o victimes assassinées par des terroristes de l’organisation «État islamique». Pour la deuxième fois dans l’année, nous, journalistes, retrouvons cette vision de l’emblématique place du Capitole noire de monde. Plusieurs milliers ou peut-être dix mille personnes ont les yeux tournés vers la façade de la mairie. Habituellement associée aux moments de fêtes et de rencontres populaires sportives, la place est à nouveau un lieu fait de silences. Un recueillement ponctué par de longs et puissants applaudissements. Certains brandissent à bout de bras leur smartphone et allument la petite lumière comme pour signifier leur soutien aux morts. Là, un jeune homme tient dans ses mains le drapeau tricolore. Spontanément, la masse populaire entonne La Marseillaise. L’instant est tellement puissant qu’il procure des frissons.

 

 

Se retrouver, comme un instinct de survie. À l’instar des Parisiens, les Toulousains ont massivement participé à la «marche républicaine» après les attentats de janvier 2o15. 15o.ooo personnes ont défilé dans les artères de la ville. «Du jamais vu!», expliquait à l’époque une source préfectorale. «La plus grande mobilisation depuis la Libération», tweetait pour sa part le maire Jean-Luc Moudenc. Ce sursaut et cette ferveur populaire avait provoqué un immense espoir après une folle semaine meurtrière. De cette journée historique, il me reste des images plein la tête et des émotions plein le cœur.

 

 

Polyvalence

Dans la photo de presse, il faut être à l’aise avec tous les sujets. Et cette nécessité de polyvalence peut vous amener au salon de l’érotisme. En octobre 2o16, le salon Kamasou (qui a depuis changé de nom) fait escale le temps d’un week-end dans la Ville rose. Disons-le clairement, réaliser un reportage photo dans ce type d’événement sans passer pour un gros pervers n’est pas facile. Pas question de montrer sur le site Internet de France 3 Occitanie un sexe en érection ou en gros plan l’appareil génital féminin. Alors, il faut rivaliser d’imagination et faire preuve de suggestion tout en évitant de produire des images sexistes. C’est un vrai défi.

Dans un des espaces réservés, le spectacle interdit aux moins de 18 ans était l’une des expériences journalistiques qui m’a fait le plus rire. Un show commenté en direct par un réalisateur de films X et sur un ton clinique. Si l’idée d’aller au salon de l’érotisme vous enchante ou vous répugne, car la sexualité est une question intime voire tabou, ce type de lieu est de mon point de vue une bonne approche pour démythifier le sexe … et peut-être vaincre sa timidité?

 

Suivez-moi sur Twitter: @Keu20Figuier