08 Jan

Un médecin à tout prix ?

Catherine Prioux

On a déjà parlé des déserts médicaux ici à l’occasion de la venue en Limousin du Premier ministre Edouard Philippe et de la ministre de la Santé Agnès Buzyn, pour la présentation d’un nouveau plan d’action du gouvernement.

Mais le sujet préoccupe toujours autant, et la rédaction de France 3 Nouvelle Aquitaine a eu la bonne idée de lui consacrer un numéro de « Enquêtes de région ».

Dans ce cadre, vous pourrez voir, entre autres, un reportage intitulé « un médecin à tout prix ? », que j’ai tourné en partie sur le plateau de Millevaches, une des zones les moins peuplées de la grande région, et souvent à l’abri des radars. Pourtant, sur ce territoire pas facile, il n’y a pas de pénurie de soignants. L’ancienne génération s’est organisée pour se mettre à la page et accueillir des jeunes. Nous l’avons constaté dans le pôle de santé « Millesoins ».

Il y a des infirmières, kinés, dentistes, pharmaciens, et 6 généralistes, qui travaillent dans une sorte de maison de santé dématérialisée. Pas besoin d’être au même endroit : le système informatique est partagé, avec les dossiers médicaux, et les agendas des uns et des autres. Si un médecin n’est pas là, il peut facilement se faire remplacer. De nombreux jeunes sont accueillis en stage, et du coup, certains décident de rester. Tout le monde est gagnant, les patients comme les médecins.

Pourquoi je vous en parle dès à présent (oui, au fait, l’émission sera diffusée le 7 février) ? Parce que j’ai rencontré une femme médecin généraliste sur le plateau, qui fait partie de l’ancienne génération, mais qui a voulu accompagner l’évolution du métier, l’évolution des prises en charge, l’évolution technologique… bref, l’évolution de la médecine de proximité.

Dans un reportage, les interviews durent rarement plus de 20 secondes. Mais si vous lisez ce post, c’est que le thème vous intéresse ; alors je vous invite à écouter en avant-première et en longueur Catherine Prioux, médecin et membre du pôle santé Millesoins. Partage, transmission, remise en cause individuelle… C’est intéressant.

29 Nov

Les pro-cigarette font leur cinéma

Cowboy

Une polémique étonnante a enflammé la presse et les réseaux sociaux la semaine dernière : la ministre de la santé, Agnès Buzyn, aurait voulu bannir la cigarette des films français.

Dans un débat parlementaire, elle a déclaré : « Je veux qu’on ait une action ferme là-dessus. Je ne comprends pas l’importance de la cigarette dans le cinéma français. » Elle ajoute qu’il faut « dénormaliser » l’image du tabac dans la société.

Cette prise de position a tout de suite provoqué une grosse colère des défenseurs de la « liberté de création ». Pourtant, sur ce sujet grave, c’est bien la ministre qui fait preuve de créativité.

 

C’est facile de se moquer

 

La polémique est apparue très rapidement. La position de la ministre est moquée, voir carrément caricaturée.

 

 

 

 

 

Agnès Buzyn est même obligée de préciser sur twitter : « Je n’ai jamais envisagé ni évoqué l’interdiction de la cigarette au cinéma ni dans aucune autre œuvre artistique. La liberté de création doit être garantie. »

 

La ministre a raison d’en parler parce que c’est une question grave et collective

 

Ce qu’a dit Agnès Buzyn est pourtant loin d’être insensé.

D’abord, un constat : le tabac arrive en tête de toutes les causes de cancers. Selon l’INSEE, en France, il cause environ 200 morts par jour. Aujourd’hui, 200 personnes vont mourir parce qu’elles fument. Tic tac.

La déclaration des droits de l’homme dit : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. » Et la liberté de création ? C’est un vrai débat.

Sans vouloir prendre un ton moralisateur, et sûrement contre productif, on peut dire que le fumeur ne met pas seulement sa vie en jeu : il y a aussi dans l’équation ses proches qui l‘aiment et qui vont vivre de sales moments en sa compagnie, ou ses enfants qui vont se retrouver orphelins à un âge où l’on n’est pas censé l’être.

Et puis il y a la collectivité qui va devoir le prendre en charge. On râle souvent contre les laboratoires qui s’enrichissent en vendant des vaccins ; mais ce sont des cacahouètes par rapport au coût des médicaments anticancéreux. Selon l’institut national du cancer, « leur impact budgétaire prévisible est même susceptible d’interroger la capacité des systèmes de protection sociale Français à maintenir un accès à l’innovation et aux meilleurs traitements pour tous les patients. ». Traduction : la sécu ne pourra peut-être bientôt plus payer pour tout le monde. Et ça, ce n’est pas du cinéma. Mais revenons aux films.

 

La créativité contre le conformisme

 

Après avoir parlé d’amour et de gros sous, parlons psychologie et sociologie. Au cinéma, quelqu’un de beau, de drôle, d’intéressant, doit fumer. Marion Cotillard ou Jean Dujardin clope au bec, c’est simplement logique. On ne peut pas dire le contraire, sinon on est contre la liberté de création.

C’est facile de rire dans un tweet, c’est moins facile d’ouvrir des livres. Mais puisque nous avons 5 minutes, allons y : intéressons nous à « l’influence sociale ». Ok, nous allons ici nous contenter de la page Wikipédia (mais ceux qui veulent aller plus loin peuvent lire ceci ou même cela, vous verrez c’est passionnant.) : « L’influence sociale ou la pression sociale est l’influence exercée par un individu ou un groupe sur chacun de ses membres dont le résultat est d’imposer des normes dominantes en matière d’attitude et de comportement. »

En gros, quand certains parlent pour le cinéma de « liberté de création », la sociologie leur répond « conformisme ».

Selon nos twittos offusqués, ce qui est acceptable, c’est la consommation de produits éminemment nocifs, vendus par une industrie sans scrupule. Etre libre et créatif,  c’est participer à ce commerce mortifère sans se poser de question.

 

Prise de conscience

 

Alors, oui, il est urgent de « dénormaliser » l’usage du tabac, d’en finir avec l’image encore solide du ténébreux cowboy américain, de reconnaître l’influence de lobbys qui n’ont rien de glamour, et d’arrêter de caricaturer ceux qui prennent position dans l’intérêt général.

Il ne faut pas interdire la cigarette dans les films, évidement ; mais il faut aussi prendre conscience de notre accoutumance.

Un seul adolescent qui ne commencerait pas à fumer après avoir vu un acteur le faire dans un film, ce serait déjà une victoire. Ce serait déjà une vie sauvée. Il en reste encore 199 aujourd’hui.

 

22 Nov

Pénurie d’ophtalmos : pas d’amélioration en vue…

Mary du web a besoin de nouvelles lunettes.

Vous l’avez forcément relevé, nous avons réalisé un reportage édifiant sur les délais d’attente pour avoir un rendez-vous chez un ophtalmologiste en Limousin. Simplement pour obtenir le renouvellement d’une prescription de correction optique, le délai atteint en moyenne 192 jours, contre 117 jours au plan national. Tous ceux qui portent des lunettes, ou qui atteignent la quarantaine, le savent par expérience : sans aller jusqu’à compter les jours ou les mois, l’attente est longue, et le problème n’est pas nouveau. Surtout, la situation ne va pas s’arranger rapidement.

 

Déjà en 2003…

 

L’Académie nationale de médecine décrit parfaitement la situation dans un rapport visionnaire publié en 2003 : « La démographie décroissante des ophtalmologistes va provoquer un changement à court terme du mode d’exercice de la profession. Les besoins de soins — glaucome, diabète, dégénérescence maculaire liée à l’âge — ne sont déjà pas suffisamment assurés, pas plus que le dépistage des troubles visuels de l’enfant et cette déficience va s’aggraver dans l’avenir du fait de l’allongement de la durée de la vie. »

 

L’académie propose même déjà une solution : « Pour pallier ces difficultés, une partie des actes techniques doit être transférée aux orthoptistes, collaborateurs naturels des ophtalmologistes, sous la responsabilité de ceux-ci. L’Académie nationale de médecine recommande (…) l’augmentation du nombre d’ophtalmologistes en formation ».

 

Des délais d’attente, mais pas que

 

Que s’est-il passé depuis 2003 ? Eh bien… pas grand-chose. Le nombre d’ophtalmologistes a continué de chuter, et la collaboration avec les orthoptistes tarde à se mettre en place.

 

Mais, si le temps d’attente pour faire renouveler ses lunettes s’allonge, ce n’est pas le plus grave : tranquillement, les problèmes de santé publiques prévus se développent.

Ils sont décrits en 2012 par la même Académie nationale de médecine :

« Chez l’enfant, la découverte d’une anomalie visuelle avant trois ans est essentielle pour ne pas faire courir le risque d’une amblyopie définitive. L’INSERM constate que 40 % des troubles visuels du jeune enfant ne sont pas détectés faute de moyens suffisants. Chez l’adulte c’est à l’âge de la presbytie que débutent et se manifestent des affections ophtalmologiques très fréquentes :

  • La dégénérescence maculaire liée à l’âge, qui touche 12% de la population de plus de 65 ans et qui peut bénéficier de nouveaux moyens thérapeutiques, d’autant plus efficaces qu’appliqués tôt.
  • Le glaucome chronique très fréquent, insidieux, du fait de l’absence de douleur, et parce que débutant par une atteinte intéressant au début le seul champ visuel périphérique et donc non ressentie ; le risque est majeur d’une reconnaissance trop tardive, quand le champ visuel central sera touché et que l’atrophie du nerf optique sera définitive. »

 

Plus d’ophtalmos formés ?

 

Les choses commencent enfin à bouger en 2014, et le syndicat national des ophtalmologistes est même pris d’une bouffée d’optimisme : selon lui, dans 10 ans, le problème sera résolu ! Comment ? Grâce à l’augmentation des postes d’internes en ophtalmologies (150 à la rentrée 2014, contre 106 en 2010) et au développement du travail aidé (25 à 30% des ophtalmologistes travaillent en coopération avec un orthoptiste).

 

Mais le même syndicat déchante en juillet dernier : dans un communiqué de presse, il dénonce une nouvelle baisse de l’attribution des postes d’internes en ophtalmologie avec seulement 141 postes attribués en 2017 (-10 par rapport à 2016 et -18 depuis deux ans), contre les 200 demandés. Une baisse notamment due à l’apparition de nouvelles spécialités, comme la médecine d’urgence ou la gériatrie. Selon le syndicat, le volume de postes en ophtalmologie aurait dû être sanctuarisé.

 

Les orthoptistes expérimentaux

 

Pour réduire les délais d’attente, et prendre en charge les pathologies graves à temps, reste la collaboration avec les orthoptistes.

 

Petit rappel : il s’agit d’une profession paramédicale qui entre en action quand le médecin a rédigé une prescription. Alors que le nombre d’ophtalmo est en baisse, le nombre d’orthoptistes est en constante augmentation.

 

Au départ, certains médecins ne les voyaient pas prendre de l’importance d’un très bon œil (pardon pour ce jeu de mot bien involontaire). En 2015, un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales évoque « l’attachement des ophtalmologistes à leur statut de praticien de première intention, bénéficiant de l’accès direct spécifique, et leur ferme opposition à toute mesure susceptible d’entraîner sa remise en cause ».

 

Pour autant, ce même rapport préconise un fort développement du rôle des orthoptistes. Même son de cloche aujourd’hui chez la plupart des acteurs du dossier.

Illustration dès l’année prochaine : une expérimentation doit être lancée dans des maisons de santé en collaboration avec l’assurance maladie. Les orthoptistes pourront être chargés de la surveillance de pathologies stabilisées, réaliser des actions de dépistage, ou renouveler des lunettes (mais l’ordonnance des verres correcteurs sera nécessairement signée par le médecin). Des pistes concrètes, enfin, mais on ne parle encore que d’une expérimentation.

 

En attendant Godot

 

Toujours dans son rapport de 2015, l’Inspection générale des affaires sociale n’a pas une conclusion très enthousiasmante :

« Quelle que soit la stratégie retenue pour l’avenir (…), il faudra expliquer qu’elle ne peut constituer une réponse aux difficultés immédiates. »

A vos agendas…

06 Nov

Vaccin contre la grippe : et les soignants ?

©Philippe Turpin/BENELUXPIX/MAXPPP - Health | Infirmier avec masque,gants et piqure 01/05/2010 (MaxPPP TagID: maxstockfr052654.jpg) [Photo via MaxPPP]

©Philippe Turpin/BENELUXPIX/MAXPPP – Health | Infirmier avec masque,gants et piqure 01/05/2010 (MaxPPP TagID: maxstockfr052654.jpg) [Photo via MaxPPP]

Le débat va immanquablement resurgir à l’approche des épidémies de grippe hivernale : pour ou contre la vaccination ?

En réalité, la prise de position est assez simple. La vaccination a sauvé des millions de vies, et en France certaines maladies ont disparu. Le risque est peut-être moins visible depuis qu’on ne croise plus d’enfants atteints de polio dans les écoles, mais justement, c’est grâce aux vaccins. Si on a encore un peu peur, il faut se rappeler que la vaccination n’est pas seulement un choix personnel : elle bénéficie à toute la collectivité.

 

Un grand débat

 

Il est toujours légitime de se poser des questions, de débattre. Mais lorsqu’on entend s’exprimer dans un reportage tour à tour un défenseur des vaccins puis un opposant, il ne faut pas croire que la discussion se joue à 50-50. La grande majorité des scientifiques défend la vaccination, le fameux rapport bénéfice-risque penche clairement de ce côté. L’aluminium comme adjuvant dans les vaccins est-il dangereux ? Là encore il y a débat. Mais l’aluminium que l’on ingère par exemple en buvant le café préféré de Georges Clooney suscite bizarrement beaucoup moins de polémique. Il faut enfin se méfier des nombreuses fausses informations qui circulent notamment sur les réseaux sociaux, et qui minent cet enjeu de société.

 

Et les soignants ?

 

Revenons à la nouvelle campagne de vaccination contre la grippe.

Alors que l’on demande aux patients de se positionner, les soignants ne sont pas les meilleurs vecteurs de confiance : ils sont tout aussi concernés par ce qu’on appelle l’ « hésitation vaccinale ». Le gouvernement lui-même estime que 25% des médecins seulement se vaccinent contre la grippe. Ce chiffre est basé sur des données déclaratives, et la question n’est même pas réellement étudiée. Pour expliquer leur choix, certains mettent en avant la liberté individuelle, ou la possibilité de subir un risque pour leur propre santé face à une vaccination annuelle dont on ne connaît pas les effets sur le long terme.

 

Jusqu’ici, aucun plan spécifique n’a été mis en place à l’échelle nationale. Le conseil national de l’ordre des médecins se dit pourtant favorable à une obligation vaccinale contre la grippe pour les médecins. En lançant sa campagne de vaccination contre la grippe 2017-2018, la nouvelle ministre de la Santé Agnès Buzyn s’est aussi exprimée dans ce sens : « J’enjoins aux professionnels d’adopter une conduite exemplaire en veillant à ne pas propager involontairement l’infection ». Elle envisagerait même des mesures plus incitatives, voire coercitives. Mais en vrai, on n’en est pas là : si 11 vaccins sont rendus obligatoires pour les enfants, les soignants restent libres face à la grippe.

 

D’abord, ne pas nuire

 

Dans une tribune publiée dans le journal le Monde en juillet 2017, Cyril Goulenok, médecin réanimateur, expliquait : « Il est intéressant de revenir à la source d’un des fondements du soin : primum non nocere. En étant non-vacciné, le risque de nuire est loin d’être négligeable. À l’heure où chacun est en droit d’exiger une médecine de qualité sur l’ensemble du territoire, où l’on lutte contre les inégalités d’accès aux soins, où l’on se bat contre la pollution environnementale, peut-on accepter d’être exposé à un risque infectieux potentiellement grave, par des professionnels censés nous protéger et nous soigner ? »

 

Certes, aucune étude ne démontre qu’une vaccination systématique des soignants ferait baisser le nombre de décès liés à la grippe saisonnière (14 000  l’hiver dernier en France selon Santé Publique France). Mais attendre une telle preuve, c’est aussi perdre du temps. Des vies sont en jeu, dès ces prochaines semaines.

25 Oct

Plan de lutte contre les déserts médicaux : toujours un mirage ?

© CC0 / Aenigmatis-3D

© CC0 / Aenigmatis-3D

Le premier ministre Edouard Philippe, accompagné d’une ministre de la santé particulièrement discrète, est venu en Haute-Vienne le 13 octobre dernier pour annoncer un nouveau plan visant à « renforcer l’accès territorial aux soins ».

 

Certes, sa blague sur Richard Cœur de Lion, blessé lors du siège du château de Châlus et mort plusieurs jours plus tard peut-être déjà à cause d’un « problème d’accès aux soins », était rigolote.

Mais au-delà de ce préambule, les annonces ont du mal à faire sourire, à part peut-être certains syndicats de médecins.

 

Du neuf avec du vieux 

 

Il n’y a pas grand-chose de vraiment nouveau. Petit condensé des mesures : 400 millions d’euros seront investis pour doubler le nombre de maisons de santé, l’accès à la télémédecine sera formalisé, les stages en cabinet de ville seront développés, de nouvelles mesures incitatives à l’installation sont prévues, de nouvelles missions seront proposées notamment aux infirmières. Globalement, les initiatives locales seront encouragées dans les « territoires ».

Dans son communiqué de presse, le premier ministre se montre ambitieux :

Depuis combien d’années ces sujets sont-ils expérimentés, discutés, évalués ? Il ne faut pas craindre les innovations qui font évoluer les schémas du passé, lorsqu’il est démontré qu’elles améliorent la réponse aux besoins.

 

Problème : si le ton vis à vis des médecins semble plus doux qu’auparavant, ce nouveau plan s’inscrit largement dans les fameux « schémas du passé ».

En 2012, Marisol Touraine avait lancé un plan de lutte contre les déserts médicaux avec son pacte territoire santé. C’était pas très loin de Châlus, à Scorbé-Clairvaux, dans la Vienne.

Parmi ses engagements : « développer les stages des futurs médecins en cabinet de ville, faciliter l’installation des jeunes médecins dans les territoires fragiles, favoriser le travail en équipe, notamment dans les territoires ruraux et périurbains »

Avant elle, Roselyne Bachelot parle déjà de télé-médecine et d’incitations pour les médecins qui s’installent dans les zones sensibles. Encore plus tôt, Xavier Bertrand avait tout misé sur des mesures incitatives pour augmenter les revenus des médecins.

 

Des mesures efficaces ? Continuer la lecture

18 Oct

Les urgences, côté civière

Pour raconter une situation, la décrire ou la décrypter, les journalistes se basent la plupart du temps sur des témoignages et des observations. Aujourd’hui, l’exercice sera un peu particulier. Je vous emmène dans un service d’urgences, mais avec un point de vue inhabituel : côté civière.

Après avoir passé 10 ans à suivre l’actualité de la santé en Limousin, j’ai testé pour vous, sans faire exprès, un passage aux urgences de l’hôpital de Saint-Junien. Soyons clair, je ne vais pas me plaindre, je me suis juste cassé le bras ; il y a tellement plus grave. Ce qui m’intéresse ici, c’est la prise en charge. Et si j’ai vu beaucoup de bienveillance, j’ai aussi enduré le manque de moyens des hôpitaux.

 

La chute

 

Je suis donc tombé de vélo. C’était un mercredi d’été. Une sortie après le boulot, à la fraîche, entre copains, on roulait vite et bien sur une petite route départementale, contents. Au kilomètre 27 (c’est là que le compteur s’est arrêté), nous parlions du verre que nous allions boire après, et j’ai raté un virage. Rien de spectaculaire, je suis juste arrivé trop vite dans une courbe trop serrée. J’ai bien vu que la surface de bitume ne me suffirait pas pour tourner. Et puis l’herbe de la bordure non plus. J’ai fini dans le talus. Avec une grosse douleur au bras droit. Une très grosse douleur.

Les amis appellent les pompiers. Tous les automobilistes qui passent par là s’arrêtent pour voir s’ils peuvent aider. On peut critiquer la société moderne, mais le réflexe, c’est encore la solidarité.

Ici, je remercie Ludivine et Fred, pompiers volontaires à Saint-Junien, qui m’ont rassuré, soulevé et transporté avec des sourires réconfortants jusqu’à l’hôpital. Avec mon vélo en prime. Désolé Ludivine, la photo que tu as prise avec mon téléphone dans l’ambulance n’est pas top (et dessus, j’ai l’air mort). Dérangés dans vos activités par une alerte sur vos téléphones à cause d’un inconnu qui tombe en vélo, votre dévouement était impressionnant.

 

Chacun son tour… 

 

Evidemment ça tombe mal, façon de parler, mais ce soir-là aux urgences de Saint-Junien il y a beaucoup de monde. On m’emmène dans cet hôpital car c’est le service d’urgences le plus proche, et il me faut rapidement un « protocole anti-douleur ». Il est environ 19h30. Ficelé au « plan dur » des pompiers (une planche en plastique), une grosse minerve autour du cou pour préserver mes cervicales au cas où, on me pose dans une salle un peu à l’écart d’un tumulte dont je ne percevrai que les sons. On me passe en intraveineuse ce fameux protocole anti-douleur : en fait, c’est simplement du paracétamol. J’aurais peut-être dû faire plus de grimaces. Car j’ai toujours vraiment très mal.

Des soignants viennent me voir, gentils mais pressés, et un peu mal à l’aise. Personne ne se présente et je dois leur demander tour à tour si ce sont des aides-soignants, des infirmiers, ou des médecins. Un étrange sentiment de désorientation s’installe.

On m’explique qu’il me faut une radio. Mais la personne qui s’occupe seule de la radio et du scanner est actuellement mobilisée sur le scanner, et les deux appareils ne sont pas au même endroit dans l’hôpital. C’est ballot. Alors cette personne, qui prend soudain tant d’importance dans ma vie, va faire passer tous ses scanners. Ensuite elle me fera passer ma radio. Ok, je serre fort les dents.

Un monsieur de 84 ans est emmené par sa voisine après une chute dans un escalier. Il mérite autant un scanner en urgence qu’un cycliste maladroit. Pareil pour cette petite fille qui crie, je ne sais pas pourquoi, mais fort. Je me souviens de ces deux-là car ils étaient bruyants, mais avec mon harnachement de cosmonaute autour du cou, je ne vois que le plafond. J’écoute et j’imagine que ça circule beaucoup à côté.

 

« Vous devez avoir mal ! »

 

J’ai attendu comme ça environ 4 heures, toujours allongé sur une planche rigide, avec une douleur insupportable à l’épaule et puis finalement un peu partout. Je n’ai rien à reprocher aux soignants qui m’ont supporté, et, sincèrement, pardon à ceux sur qui j’ai pu crier. Mais… j’ai alors le profond sentiment que l’endroit où je devais être soigné a, au contraire, largement contribué à faire empirer mon état.

A ce stade, j’espère encore souffrir d’une simple élongation : la douleur n’est pas toujours proportionnelle à la gravité. On me monte finalement à la radio, et, en passant, la manipulatrice s’étonne que j’ai attendu aussi longtemps, vu ma tête un brin livide. Sa tête à elle devient rapidement aussi baroque que le cliché qu’elle a sous les yeux : humérus fendu, tête de l’humérus enfoncée dedans et cassée en plusieurs morceaux. Elle me dit : « Vous devez avoir mal ! ».

On me met enfin sous morphine. Ensuite, je me souviens juste de l’interne qui me dit plus tard dans la nuit avec une mine d’enterrement « le pronostic n’est pas bon… ». Il faudra un jour que je lui montre mon reportage sur les méthodes d’annonce de mauvaises nouvelles en milieu hospitalier.

Après une bonne chirurgie et quelques semaines d’arrêt maladie, je suis capable de reprendre le travail, même si je suis encore loin de pouvoir changer l’ampoule du lustre à deux mains.

 

Blog

 

Ce blog a pour but de vous faire suivre l’actualité de la santé en Nouvelle Aquitaine, en restant proche de vos préoccupations, avec des reportages et des articles qui vous concernent. Je vais contribuer à l’alimenter, convaincu que le système de santé en France est formidable, mais qu’il mérite toute notre attention pour ne pas perdre en qualité, autant pour les bras cassés que pour ceux qui les réparent…

Les connaisseurs apprécieront.

Les connaisseurs apprécieront.