C’est un véritable feuilleton que nous suivons depuis plusieurs années. Un centre expert dédié à l’autisme s’est installé dans les murs du CHU de Limoges en 2014. Son efficacité fait l’unanimité, mais son fonctionnement est depuis plusieurs mois remis en cause.
Des parents d’enfants autistes et des soignants s’opposent ainsi à l’Agence Régionale de Santé. Un dossier complexe, où les chiffres et les considérations administratives se heurtent à l’énergie et à la douleur de familles, avec au centre l’avenir de jeunes enfants.
Voici une tentative de décryptage.
De quoi parle-t-on ?
Il était porté par un médecin, Geneviève Macé, elle-même mère d’un enfant autiste, et par l’ancien directeur de l’Agence Régionale de Santé (ARS) du Limousin, Philippe Calmette, un haut fonctionnaire très sensible au monde du handicap. Il a notamment dirigé le Syndicat national des associations de parents d’enfants inadaptés.
L’objectif du CEA : détecter au plus tôt les enfants autistes, pour les prendre en charge de façon intensive le plus rapidement possible.
Bons résultats
Le diagnostic et l’intervention précoce sont au cœur de l’activité du centre. Il s’agit d’exploiter la plasticité cérébrale des jeunes enfants, pour leur donner de meilleures chances de s’adapter au monde qui les entoure. Toute la chaîne est pilotée par le centre expert.
En France, en matière d’autisme, les débats sont toujours vifs, et nombreux.
Ils ont longtemps porté sur les causes de l’autisme, certains médecins évoquant une origine traumatique et un mauvais comportement des parents, qui entraînerait des troubles qu’il faut traiter avec une prise en charge psychanalytique. Une vision aujourd’hui dépassée notamment grâce à l’imagerie cérébrale, mais qui a causé un véritable retard dans le pays. Le centre expert apporte désormais un diagnostic moderne et une prise en charge efficace.
L’activité du CEA débute en fanfare : les professionnels de la petite enfance sont sensibilisés dans toute la Haute-Vienne, les interventions intensives se mettent en place avec des équipes spécialisées. Après deux ans, le bilan est positif : 100% des enfants autistes du département sont diagnostiqués, leur taux de scolarisation augmente largement. Élément supplémentaire de satisfaction : une activité de recherche se base sur cette cohorte de jeunes patients unique en son genre, pour mieux comprendre les causes de l’autisme, le diagnostiquer dès les premiers mois de vie, et optimiser encore la prise en charge.
Nouvelle région, nouvelle donne
Les choses se gâtent en 2017.
L’ARS, qui est maintenant pilotée depuis Bordeaux, se penche sur le financement du CEA. Selon un collectif de parents, son action est toujours qualifiée en haut lieu de « travail de haute-couture ». Mais, toujours selon ce collectif, le centre expert est aussi considéré comme un facteur d’inégalité territoriale : son modèle, à la base expérimental, ne pourrait pas être généralisé et perdurer en l’état. L’ARS veut donc le remanier.
Pour les parents, la crainte est clairement de voir le budget du CEA amputé, et son action limitée.
En fait, la décision de l’ARS n’est pas d’en finir avec le centre expert, mais plutôt de faire évoluer sa mission et son fonctionnement. Concrètement, le centre expert s’occupera toujours du diagnostic, mais la prise en charge des enfants se fera dans un autre cadre, avec des structures médico-sociales dédiées.
Désaccord
Pour le collectif de parents, cette nouvelle organisation comporte plusieurs risques majeurs.
C’est Geneviève Macé, passée dans le camp des défenseurs du centre expert, qui les détaille :
« Quand un enfant reçoit un diagnostic, on fait un portrait de ses forces et de ses faiblesses ; à partir de là, on construit un programme, une prise en charge personnalisée. Si on sépare le diagnostic et l’intervention précoce, ce ne sera pas la même équipe qui fera le travail, et on peut avoir une méthodologie différente. En plus, après le diagnostic, les parents devront déposer un dossier à la maison départementale des personnes handicapée pour avoir une orientation vers un établissement médico-social. En principe, ça prend 4 ou 5 mois. C’est une rupture temporelle, sans prise en charge. »
Le travail de recherche engagé pourrait aussi être pénalisé. Pour le docteur Eric Lemonnier, qui dirige les travaux, il est indispensable de suivre les enfants depuis le diagnostic jusqu’à la prise en charge :
« Avec le service gynécologique du CHU de Limoges, nous sommes en train de mettre en évidence des particularités dans les grossesses de mères d’enfants autistes. Cela nous permettra à terme de repérer ces enfants encore plus tôt, de croiser ces informations avec les données de la prise en charge, et d’arriver à sous catégoriser ces troubles (…). C’est en suivant les enfants qu’on arrivera à mieux comprendre comment ils se développent, et quelles sont les aides qu’on pourra leur apporter ».
Question de chiffres
La bataille avec l’ARS se joue d’abord autour du coût du centre expert.
L’ARS a ses chiffres, les parents ont les leurs, et ils accusent l’Etat de surévaluer le coût du diagnostic et de la prise en charge.
Le débat va même avoir lieu à l’Assemblée Nationale, quand la député de Haute-Vienne Sophie Baudouin-Hubière interpelle la ministre de la Santé Agnès Buzyn à propos du CEA :
« Si l’idée consistant à en faire profiter plus de patients est louable, les moyens pour (…) assurer un service de qualité ne semblent pas garantis et personne n’en sortira gagnant. (…) Quelle assurance le Gouvernement peut-il donner concernant le respect des engagements pris en 2014 vis-à-vis d’un centre qui constitue un pôle d’excellence, dont les résultats pourraient servir de modèle dans le cadre du quatrième plan autisme ? »
La ministre répond alors avec des arguments qui font bondir les membres du collectif de parents : ils sont basés sur des chiffres qu’ils contestent, fournis par les services de l’Etat, donc l’ARS de Nouvelle Aquitaine :
« La qualité des prestations ne doit pas nous détourner de la nécessité de garantir l’efficience accrue de ce qui est financé sur fonds publics. Manifestement, ce centre peut et doit faire mieux compte tenu des moyens qui lui sont attribués ».
De fait, les parents ont raison, et c’est l’ARS qui le reconnait implicitement. Exemple : dans un premier rapport, le coût du diagnostic par enfant était estimé à un peu plus de 8 000 euros. Les parents dénonçaient ce chiffre, qui incluait selon eux les salaires de personnes dont la mission n’était pas de faire du diagnostic. Dans un nouveau rapport de l’ARS, postérieur à l’intervention de la ministre, sans plus de commentaires, le coût du diagnostic par enfant est retombé à 5 000 euros.
Question de sécurité
La décision de l’ARS va-t-elle alors changer ? Pas vraiment.
L’argument financier n’est plus avancé, mais on parle aujourd’hui plutôt d’un argument administratif.
C’est François Négrier, le délégué de l’ARS pour la Haute-Vienne, qui nous livre l’explication :
« Il faut coller aux orientations du 4ème plan autisme : un diagnostic fait par un centre de ressource autisme, ici le centre expert, ce n’est pas du tout remis en cause ; et puis après, un accompagnement intensif réalisé par une structure médicosociale »
Est-ce que cela permettra de pérenniser le financement du diagnostic et de la prise en charge ?
« Bien sûr, c’est l’objectif de l’ARS, de pérenniser et sécuriser les financements. On rentre dans des financement de droit commun avec des structures autorisées pour 15 ans ».
Et l’ARS annonce également un effort financier conséquent : le budget va passer de 2 à 3 millions d’euros pour étendre le dispositif à la Creuse et à la Corrèze.
Irréconciliables ?
On voit ici apparaître deux modèles, difficiles à rapprocher.
D’un côté, une structure expérimentale, qui a montré son efficacité pour la détection des enfants autistes, leur prise en charge, et même la recherche.
D’un autre côté, une organisation administrative qui a besoin de règles précises pour apporter ses fonds. Il ne s’agit pas pour l’ARS de détériorer la détection et le suivi des enfants autistes, mais bien de pérenniser un financement, indispensable à la continuité du système.
Ce sont ces deux positions qui semblent aujourd’hui difficilement conciliables.
L’avenir tranchera sans doute, avec des éléments objectifs : on l’a dit, il existe aujourd’hui des données solides qui démontrent les apports du CEA en Haute-Vienne, tant sur la détection que sur la scolarisation des enfants autistes. Il reste évidemment une marge de progression, avec une détection encore plus précoce, une intégration encore plus efficace. En revanche, si ces indicateurs se dégradent en Haute-Vienne, l’Etat en portera la responsabilité.
C’est toujours le futur d’enfants qui est en jeu. En France, 1 sur 100 est concerné.