30 Avr

Prévention au travail : une mine inexploitée ?

Si vous lisez régulièrement les billets de ce blog, vous avez sans doute compris que je suis assez branché prévention. C’est une conviction, mais surtout un constat : on vit mieux et plus longtemps si on ne fume pas, si on prend soins de son environnement, si on pratique une activité physique, si on ne fait pas le fou au volant.

Au bénéfice pour la santé, on peut ajouter une dimension bassement économique.

Depuis longtemps, le système de santé français s’est développé autour du soin, de la prise en charge des maladies. Dans ce domaine, nous sommes bons, avec d’excellents médecins et de non moins excellents chercheurs. Nous sommes aussi très solidaires : même les pathologies les plus lourdes et les plus onéreuses sont prises en charge collectivement. Mais cela coûte cher, et la collectivité ferait de sérieuses économies s’il y avait moins de malades.

 

Le temps de la prévention ?

 

Une évolution est donc en train de voir le jour : plutôt que de soigner les malades, il semble pertinent d’éviter que la maladie arrive.

Un bon exemple de cette nouvelle préoccupation est le plan national présenté en mars par la ministre de la Santé Agnès Buzyn. On y parle de l’activité physique pour prévenir l’obésité, des vaccins obligatoires, de la consommation de sel, du dépistage de certains cancers…

Une autre piste n’est pourtant que peu explorée : la santé au travail.

On apprenait en février que les arrêts maladie se multiplient en France.

En un an, entre février 2017 et janvier 2018, les indemnités journalières en cas d’arrêt de travail auraient augmenté de 5,2% selon la caisse nationale d’assurance maladie. Un coût total de 10,3 milliards d’euros. C’est énorme.

 

Recette « miracle »

 

A l’occasion de la journée mondiale de la santé au travail, nous sommes allés la semaine dernière tourner un reportage dans une entreprise Corrézienne originale, la ciergerie Brousse, à Saint-Viance.

Originale, déjà à cause de son activité : elle fabrique des cierges, pour les églises. Alors on se promène entre les cartons de paraffine et les figures bibliques, c’est étonnant…

Mais surtout, l’entreprise a travaillé pendant deux ans sur la santé des salariés. C’est une simple rencontre avec un médecin de travail qui a poussé la directrice du personnel à réfléchir à de nouvelles organisations.

Le circuit de production a été revu pour éviter le port de charges lourdes, de nouveaux équipements ont mis fin aux mouvements douloureux…

La directrice du personnel est maintenant plus sereine pour l’avenir : l’âge moyen de ses salariés augmente, et ils sont de plus en plus fragiles face au risque d’accident. Cette évolution naturelle a été anticipée.

Mais cet exemple est encore rare selon l’ergonome qui a suivi le projet. Pour Huguette Ploumeau, de l’AIST de Corrèze :

« Souvent, on est plus dans le curatif que dans le préventif. On est dans la correction, alors qu’on peut prévoir les situations à risque. On pourrait faire davantage pour la prévention primaire. »

 

Sensibilisation pour les patrons

 

Une organisation patronale bien connue fait le même constat : le Medef organise pour les patrons des journées consacrées aux TMS, les troubles musculo-squelettiques. C’est Alice Blondeau, chargée de mission « santé » en Haute-Vienne, qui nous explique pourquoi, de façon très pragmatique :

« Des personnes ont des TMS dus à leur travail. Parfois, ces personnes sont après en inaptitude, et on peut être dans l’impossibilité de les reclasser. Financièrement, ça coûte cher. »

 

Pour une fois, l’enjeu de santé publique a aussi un intérêt clairement économique. Et la prévention ne concerne pas que l’industrie : n’importe quel bureau peut-être adapté pour préserver la santé de celui ou celle qui l’occupe, avec un clavier qui évite les mouvements répétitifs des épaules ou un écran mieux positionné pour soulager les cervicales.

Avis aux entreprises : avec du bon sens et un investissement modique, on peut éviter des problèmes handicapants d’abord pour les hommes et les femmes qui travaillent, mais aussi pour la société en général.

En plus, chez la ciergerie Brousse, le projet a mobilisé un personnel très intéressé par le sujet, avec à la clef une vraie source de motivation.

Pourquoi attendre ?

16 Avr

«CHU Leaks» : fausse affaire, vrai gâchis

Le 2 avril dernier, le média d’investigation de Toulouse Médiacités publiait un scoop nommé : « CHU Leaks : ces documents confidentiels qui accablent l’hôpital toulousain ».

Le sous-titre est flatteur pour les journalistes, et pas vraiment pour l’hôpital : « Mediacités a eu accès à plus de 26 000 fiches d’incident enregistrées par le personnel du CHU de Toulouse. Graves dysfonctionnements techniques, manque d’effectif, mise en danger des patients : cette fuite inédite de documents confirme la situation plus qu’inquiétante de l’hôpital toulousain. »

 

Des documents mal compris ?

 

Que se passe-t-il au CHU de Toulouse ? Il ne s’agit pas ici de juger la gestion de l’hôpital ou les conditions de travail du personnel. Mais les auteurs des « CHU Leaks » ont-ils bien compris les documents qu’ils avaient sous les yeux ?

Il est vrai que certaines fiches sont inquiétantes : «Lors de l’intervention chirurgicale, la pièce à main du moteur… a craché un liquide noir dans la bouche du patient… et a brûlé la lèvre et la joue gauche.» Un cardiologue rapporte la défaillance technique d’un défibrillateur qui «ne reconnaît plus le signal au moment de choquer le patient».

Et pourtant, même si c’est surprenant, la déclaration de ces incidents, dont le sérieux n’est pas remis en cause, devrait plutôt rassurer.

 

Déclaration d’incident = sécurité

 

En effet, plus un hôpital déclare d’incidents, plus il mise sur la sécurité.

Le constat peut paraître paradoxal. Mais l’objectif de ces déclarations est bel et bien d’améliorer la qualité des soins. Ce type d’incidents est fréquent dans les hôpitaux. Si on ne les déclare pas, ils risquent de se reproduire. En les déclarant, on réduit ce risque.

La Haute Autorité de Santé l’expliquait clairement en 2015 : « Alors que le retour d’expérience est une démarche incontournable dans les secteurs à risque tels que l’aviation ou le nucléaire, le secteur de la santé s’appuie encore beaucoup sur un retour d’expérience tacite, limité à un cercle spécialisé et moins sur des retours d’expériences structurés et pluri professionnels. Ce retard porte atteinte à la sécurité du patient : les erreurs non recueillies et non analysées ne sont pas corrigées de façon adéquate et risquent de se reproduire régulièrement. »

 

Grand mélange

 

Dans ce domaine, le CHU de Toulouse semble plutôt bon élève. Or, les journalistes de Médiacités, et ceux qui reprennent leurs informations, le font au contraire passer pour un site dangereux, mélangeant les difficultés sociales et économiques que traversent les hôpitaux à ces fiches d’incidents qui n’ont rien à voir.

La Fédération Hospitalière de France, qui n’est pas la dernière pour critiquer le manque de moyens des hôpitaux, vient de dénoncer cet article :

« Il faut rappeler que le rôle des fiches d’évènements indésirables est fondamental, que ce soit pour améliorer :

  • la qualité des soins directement dispensés aux patients ;
  • les procédures d’utilisation du matériel autour du patient ;
  • la maintenance des infrastructures et des matériels ;
  • l’organisation des services de soins, techniques et administratifs »

 

La santé est un sujet sérieux qui demande du temps pour être compris ; dans un contexte déjà compliqué pour les hôpitaux, les « CHU Leaks » ne font qu’apporter un trouble inutile aux soignants, et surtout aux patients.

 

Mise à jour le 17 avril 2018 : Mediacités répond ici aux critiques.

02 Avr

Au cœur de la réanimation du CHU de Limoges

Le service réanimation du CHU de Limoges nous a ouvert ses portes pendant toute une journée.

Il fait souvent plutôt peur, à cause des cas très graves qui sont pris en charge. Pourtant, derrière les machines et les médicaments, c’est aussi un service particulièrement humain.

 

Deux défaillances d’organes

 

L’entrée est plutôt discrète, juste à côté des urgences du CHU de Limoges.

Les patients arrivent toujours ici dans un état critique, après une infection grave, un accident, ou une importante chirurgie.

Philippe Vignon, chef du service, explique :

 

« Le patient entre en réanimation parce qu’il a deux défaillances d’organes : le cœur et la circulation, le poumon, le rein, le foie… Plus le nombre d’organes touchés est important, plus le pronostic vital est engagé. »

 

Cocon

 

Ce qui frappe, au-delà des machines et des techniques pour suppléer les organes, c’est un véritable cocon autour des patients.

On leur parle, même s’ils sont inconscients. Et on soigne aussi leur entourage.

Marie-Agnès Vignaud, infirmière, témoigne :

 

« On sait quelle est la souffrance des gens, quels mots utiliser ; pas forcément pour réconforter ce qui n’est pas consolable. On est proche d’eux. »

 

« Je me suis sentie humaine »

 

Nous avons rencontré Alice, une ancienne patiente.

Il y a deux ans, elle a été victime d’une méningite. Entre la vie et la mort, elle a été hospitalisée dans le service de réanimation du CHU de Limoges pendant plusieurs semaines.

L’expérience fut marquante. Elle se souvient de ses hallucinations à cause des médicaments, de son réveil avec un tuyau dans la bouche pour respirer :

 

« Ne pas pouvoir communiquer ni poser de questions, c’est très difficile. Après, on a mis en place une petite ardoise pour communiquer. C’était plus facile, même si mes propos étaient un peu confus… Je ne me suis pas sentie « objet », et simple patiente. Je me suis sentie humaine. On m’a considérée tout au long de mon hospitalisation. »

 

Son père aussi a apprécié le soutien des équipes du service dans un moment particulièrement difficile :

 

« Pour un papa, avoir son enfant dans un service de réanimation, c’est une douleur incroyable. Ne pas pouvoir être actif pour son gosse, c’est insupportable. »

 

Recherche

 

Comme de nombreux patients, Alice a participé à un essai thérapeutique.

Des équipes de recherche opèrent au cœur du service. Les situations critiques prises en charge représentent un terrain idéal pour étudier de nouveaux médicaments.

Séverine Laleu travaille pour le centre d’investigation clinique :

 

« Depuis quelques années, nous faisons face à des bactéries résistantes aux antibiotiques. C’est important de trouver de nouvelles molécules pour proposer des antibiotiques plus adaptés aux patients. »

 

A l’heure des visites

 

A 16h, le service ouvre ses portes aux visiteurs.
Les proches des patients doivent s’habituer au lieu, et aussi à porter une blouse blanche… Souvent, ils trouvent du réconfort auprès des autres familles qui traversent la même épreuve.

La fille d’un patient nous raconte le départ d’un homme hospitalisé dans une chambre voisine :

 

« On s’est dit « ah, ça arrive que quelqu’un sorte un jour »… Dans la salle d’attente, on était tous contents, on disait bravo… C’est important qu’on se parle dehors. On voit toujours les mêmes visages, alors on finit forcément par se parler. »

 

Si certains patients restent plusieurs semaines en réanimation, la durée moyenne d’hospitalisation dans le service est de 7 jours ; les malades peuvent sortir quand ils sont capables de vivre de façon autonome.

Ils partent alors vers des soins moins lourds. Souvent avec reconnaissance ; c’est le moteur le plus important pour les équipes de réanimation…