22 Nov

Pénurie d’ophtalmos : pas d’amélioration en vue…

Mary du web a besoin de nouvelles lunettes.

Vous l’avez forcément relevé, nous avons réalisé un reportage édifiant sur les délais d’attente pour avoir un rendez-vous chez un ophtalmologiste en Limousin. Simplement pour obtenir le renouvellement d’une prescription de correction optique, le délai atteint en moyenne 192 jours, contre 117 jours au plan national. Tous ceux qui portent des lunettes, ou qui atteignent la quarantaine, le savent par expérience : sans aller jusqu’à compter les jours ou les mois, l’attente est longue, et le problème n’est pas nouveau. Surtout, la situation ne va pas s’arranger rapidement.

 

Déjà en 2003…

 

L’Académie nationale de médecine décrit parfaitement la situation dans un rapport visionnaire publié en 2003 : « La démographie décroissante des ophtalmologistes va provoquer un changement à court terme du mode d’exercice de la profession. Les besoins de soins — glaucome, diabète, dégénérescence maculaire liée à l’âge — ne sont déjà pas suffisamment assurés, pas plus que le dépistage des troubles visuels de l’enfant et cette déficience va s’aggraver dans l’avenir du fait de l’allongement de la durée de la vie. »

 

L’académie propose même déjà une solution : « Pour pallier ces difficultés, une partie des actes techniques doit être transférée aux orthoptistes, collaborateurs naturels des ophtalmologistes, sous la responsabilité de ceux-ci. L’Académie nationale de médecine recommande (…) l’augmentation du nombre d’ophtalmologistes en formation ».

 

Des délais d’attente, mais pas que

 

Que s’est-il passé depuis 2003 ? Eh bien… pas grand-chose. Le nombre d’ophtalmologistes a continué de chuter, et la collaboration avec les orthoptistes tarde à se mettre en place.

 

Mais, si le temps d’attente pour faire renouveler ses lunettes s’allonge, ce n’est pas le plus grave : tranquillement, les problèmes de santé publiques prévus se développent.

Ils sont décrits en 2012 par la même Académie nationale de médecine :

« Chez l’enfant, la découverte d’une anomalie visuelle avant trois ans est essentielle pour ne pas faire courir le risque d’une amblyopie définitive. L’INSERM constate que 40 % des troubles visuels du jeune enfant ne sont pas détectés faute de moyens suffisants. Chez l’adulte c’est à l’âge de la presbytie que débutent et se manifestent des affections ophtalmologiques très fréquentes :

  • La dégénérescence maculaire liée à l’âge, qui touche 12% de la population de plus de 65 ans et qui peut bénéficier de nouveaux moyens thérapeutiques, d’autant plus efficaces qu’appliqués tôt.
  • Le glaucome chronique très fréquent, insidieux, du fait de l’absence de douleur, et parce que débutant par une atteinte intéressant au début le seul champ visuel périphérique et donc non ressentie ; le risque est majeur d’une reconnaissance trop tardive, quand le champ visuel central sera touché et que l’atrophie du nerf optique sera définitive. »

 

Plus d’ophtalmos formés ?

 

Les choses commencent enfin à bouger en 2014, et le syndicat national des ophtalmologistes est même pris d’une bouffée d’optimisme : selon lui, dans 10 ans, le problème sera résolu ! Comment ? Grâce à l’augmentation des postes d’internes en ophtalmologies (150 à la rentrée 2014, contre 106 en 2010) et au développement du travail aidé (25 à 30% des ophtalmologistes travaillent en coopération avec un orthoptiste).

 

Mais le même syndicat déchante en juillet dernier : dans un communiqué de presse, il dénonce une nouvelle baisse de l’attribution des postes d’internes en ophtalmologie avec seulement 141 postes attribués en 2017 (-10 par rapport à 2016 et -18 depuis deux ans), contre les 200 demandés. Une baisse notamment due à l’apparition de nouvelles spécialités, comme la médecine d’urgence ou la gériatrie. Selon le syndicat, le volume de postes en ophtalmologie aurait dû être sanctuarisé.

 

Les orthoptistes expérimentaux

 

Pour réduire les délais d’attente, et prendre en charge les pathologies graves à temps, reste la collaboration avec les orthoptistes.

 

Petit rappel : il s’agit d’une profession paramédicale qui entre en action quand le médecin a rédigé une prescription. Alors que le nombre d’ophtalmo est en baisse, le nombre d’orthoptistes est en constante augmentation.

 

Au départ, certains médecins ne les voyaient pas prendre de l’importance d’un très bon œil (pardon pour ce jeu de mot bien involontaire). En 2015, un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales évoque « l’attachement des ophtalmologistes à leur statut de praticien de première intention, bénéficiant de l’accès direct spécifique, et leur ferme opposition à toute mesure susceptible d’entraîner sa remise en cause ».

 

Pour autant, ce même rapport préconise un fort développement du rôle des orthoptistes. Même son de cloche aujourd’hui chez la plupart des acteurs du dossier.

Illustration dès l’année prochaine : une expérimentation doit être lancée dans des maisons de santé en collaboration avec l’assurance maladie. Les orthoptistes pourront être chargés de la surveillance de pathologies stabilisées, réaliser des actions de dépistage, ou renouveler des lunettes (mais l’ordonnance des verres correcteurs sera nécessairement signée par le médecin). Des pistes concrètes, enfin, mais on ne parle encore que d’une expérimentation.

 

En attendant Godot

 

Toujours dans son rapport de 2015, l’Inspection générale des affaires sociale n’a pas une conclusion très enthousiasmante :

« Quelle que soit la stratégie retenue pour l’avenir (…), il faudra expliquer qu’elle ne peut constituer une réponse aux difficultés immédiates. »

A vos agendas…

25 Oct

Plan de lutte contre les déserts médicaux : toujours un mirage ?

© CC0 / Aenigmatis-3D

© CC0 / Aenigmatis-3D

Le premier ministre Edouard Philippe, accompagné d’une ministre de la santé particulièrement discrète, est venu en Haute-Vienne le 13 octobre dernier pour annoncer un nouveau plan visant à « renforcer l’accès territorial aux soins ».

 

Certes, sa blague sur Richard Cœur de Lion, blessé lors du siège du château de Châlus et mort plusieurs jours plus tard peut-être déjà à cause d’un « problème d’accès aux soins », était rigolote.

Mais au-delà de ce préambule, les annonces ont du mal à faire sourire, à part peut-être certains syndicats de médecins.

 

Du neuf avec du vieux 

 

Il n’y a pas grand-chose de vraiment nouveau. Petit condensé des mesures : 400 millions d’euros seront investis pour doubler le nombre de maisons de santé, l’accès à la télémédecine sera formalisé, les stages en cabinet de ville seront développés, de nouvelles mesures incitatives à l’installation sont prévues, de nouvelles missions seront proposées notamment aux infirmières. Globalement, les initiatives locales seront encouragées dans les « territoires ».

Dans son communiqué de presse, le premier ministre se montre ambitieux :

Depuis combien d’années ces sujets sont-ils expérimentés, discutés, évalués ? Il ne faut pas craindre les innovations qui font évoluer les schémas du passé, lorsqu’il est démontré qu’elles améliorent la réponse aux besoins.

 

Problème : si le ton vis à vis des médecins semble plus doux qu’auparavant, ce nouveau plan s’inscrit largement dans les fameux « schémas du passé ».

En 2012, Marisol Touraine avait lancé un plan de lutte contre les déserts médicaux avec son pacte territoire santé. C’était pas très loin de Châlus, à Scorbé-Clairvaux, dans la Vienne.

Parmi ses engagements : « développer les stages des futurs médecins en cabinet de ville, faciliter l’installation des jeunes médecins dans les territoires fragiles, favoriser le travail en équipe, notamment dans les territoires ruraux et périurbains »

Avant elle, Roselyne Bachelot parle déjà de télé-médecine et d’incitations pour les médecins qui s’installent dans les zones sensibles. Encore plus tôt, Xavier Bertrand avait tout misé sur des mesures incitatives pour augmenter les revenus des médecins.

 

Des mesures efficaces ? Continuer la lecture