25 Oct

Plan de lutte contre les déserts médicaux : toujours un mirage ?

© CC0 / Aenigmatis-3D

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Le premier ministre Edouard Philippe, accompagné d’une ministre de la santé particulièrement discrète, est venu en Haute-Vienne le 13 octobre dernier pour annoncer un nouveau plan visant à « renforcer l’accès territorial aux soins ».

 

Certes, sa blague sur Richard Cœur de Lion, blessé lors du siège du château de Châlus et mort plusieurs jours plus tard peut-être déjà à cause d’un « problème d’accès aux soins », était rigolote.

Mais au-delà de ce préambule, les annonces ont du mal à faire sourire, à part peut-être certains syndicats de médecins.

 

Du neuf avec du vieux 

 

Il n’y a pas grand-chose de vraiment nouveau. Petit condensé des mesures : 400 millions d’euros seront investis pour doubler le nombre de maisons de santé, l’accès à la télémédecine sera formalisé, les stages en cabinet de ville seront développés, de nouvelles mesures incitatives à l’installation sont prévues, de nouvelles missions seront proposées notamment aux infirmières. Globalement, les initiatives locales seront encouragées dans les « territoires ».

Dans son communiqué de presse, le premier ministre se montre ambitieux :

Depuis combien d’années ces sujets sont-ils expérimentés, discutés, évalués ? Il ne faut pas craindre les innovations qui font évoluer les schémas du passé, lorsqu’il est démontré qu’elles améliorent la réponse aux besoins.

 

Problème : si le ton vis à vis des médecins semble plus doux qu’auparavant, ce nouveau plan s’inscrit largement dans les fameux « schémas du passé ».

En 2012, Marisol Touraine avait lancé un plan de lutte contre les déserts médicaux avec son pacte territoire santé. C’était pas très loin de Châlus, à Scorbé-Clairvaux, dans la Vienne.

Parmi ses engagements : « développer les stages des futurs médecins en cabinet de ville, faciliter l’installation des jeunes médecins dans les territoires fragiles, favoriser le travail en équipe, notamment dans les territoires ruraux et périurbains »

Avant elle, Roselyne Bachelot parle déjà de télé-médecine et d’incitations pour les médecins qui s’installent dans les zones sensibles. Encore plus tôt, Xavier Bertrand avait tout misé sur des mesures incitatives pour augmenter les revenus des médecins.

 

Des mesures efficaces ?

 

L’incitation ? Ça n’a pas fonctionné. C’est notamment la Cour des comptes qui le dit dans un rapport de 2011 : elle « déplore que les solutions retenues jusqu’ici pour les médecins libéraux consistent « exclusivement » en des aides incitatives dépourvues de « portée réelle » ». Depuis le temps qu’elles sont en place, on ne peut pas dire que les mesures incitatives aient mis fin au problème de répartition des médecins en France.

Les maisons de santé ? Là où il fonctionne, ce nouveau type d’organisation est performant, et même attractif pour les jeunes médecins. Nous l’avons déjà constaté en Limousin. Mais la création d’une maison de santé ne se décrète pas. Si des médecins volontaires et motivés ne se retroussent pas les manches à la base du projet, les murs construits par les municipalités restent la plupart du temps bien vides.

La télémédecine ? C’est aujourd’hui une évidence technologique. La ministre souhaite mieux l’organiser et mettre en place sa tarification. Mais il s’agit d’un grand chantier : le gouvernement avait la même volonté… en 2009.

 

La régulation de l’installation, un gros mot ?

 

Une révolution aurait été de revenir sur la liberté d’installation chère aux médecins libéraux, décrétée en 1927, et jamais remise en cause depuis. Tous les gouvernements qui ont essayé ont reculé face à la mobilisation de la profession. Aujourd’hui, la ministre évacue le problème : de toute façon, « ça ne marche pas ». Sauf que ça, pour le coup, on n’a jamais essayé. Une régulation ne serait sans doute pas la solution miracle, mais elle contribuerait peut-être à faire évoluer les esprits si elle était mise en œuvre par et pour les médecins, comme au Québec.


Interview d’Agnès Buzyn, ministre de la Santé.

Une réforme de la formation pourrait aussi être envisagée. Aujourd’hui les étudiants qui réussissent une première année de médecine terriblement sélective ont un profil pas forcément conforme aux besoins de la profession : un jeune capable de passer deux ans à apprendre le bottin téléphonique par cœur est-il le mieux placé pour s’installer à la campagne et soigner des personnes âgées ? Ne doit-on pas plutôt miser sur l’empathie, et recruter des profils nouveaux ? Par ailleurs, la conférence des doyens des facultés de médecine avait proposé en début d’année de « sortir du numerus clausus, qui a montré ses limites en termes de gestion de la démographie médicale et des déserts médicaux ».  Eux qui avaient détecté l’émergence les déserts médicaux bien avant les autres acteurs de la santé ne sont toujours pas entendus.

 

Un autre élément peut encore faire réfléchir le gouvernement : s’il n’y a pas la moindre école, pas le moindre service public, il est difficile pour une commune d’être attractive, et ce n’est pas une question d’argent.

 

Gros chantier

 

Tout le monde est d’accord pour dire que la solution au problème de la répartition des médecins en France n’est pas unique. Il est aussi évident qu’il n’y aura plus dans l’avenir un médecin dans chaque village. Mais en 2017, si Richard Cœur de Lion aurait sans doute survécu à un tir d’arbalète, certains sujets de société sont toujours des forteresses imprenables.