Pour raconter une situation, la décrire ou la décrypter, les journalistes se basent la plupart du temps sur des témoignages et des observations. Aujourd’hui, l’exercice sera un peu particulier. Je vous emmène dans un service d’urgences, mais avec un point de vue inhabituel : côté civière.
Après avoir passé 10 ans à suivre l’actualité de la santé en Limousin, j’ai testé pour vous, sans faire exprès, un passage aux urgences de l’hôpital de Saint-Junien. Soyons clair, je ne vais pas me plaindre, je me suis juste cassé le bras ; il y a tellement plus grave. Ce qui m’intéresse ici, c’est la prise en charge. Et si j’ai vu beaucoup de bienveillance, j’ai aussi enduré le manque de moyens des hôpitaux.
La chute
Je suis donc tombé de vélo. C’était un mercredi d’été. Une sortie après le boulot, à la fraîche, entre copains, on roulait vite et bien sur une petite route départementale, contents. Au kilomètre 27 (c’est là que le compteur s’est arrêté), nous parlions du verre que nous allions boire après, et j’ai raté un virage. Rien de spectaculaire, je suis juste arrivé trop vite dans une courbe trop serrée. J’ai bien vu que la surface de bitume ne me suffirait pas pour tourner. Et puis l’herbe de la bordure non plus. J’ai fini dans le talus. Avec une grosse douleur au bras droit. Une très grosse douleur.
Les amis appellent les pompiers. Tous les automobilistes qui passent par là s’arrêtent pour voir s’ils peuvent aider. On peut critiquer la société moderne, mais le réflexe, c’est encore la solidarité.
Ici, je remercie Ludivine et Fred, pompiers volontaires à Saint-Junien, qui m’ont rassuré, soulevé et transporté avec des sourires réconfortants jusqu’à l’hôpital. Avec mon vélo en prime. Désolé Ludivine, la photo que tu as prise avec mon téléphone dans l’ambulance n’est pas top (et dessus, j’ai l’air mort). Dérangés dans vos activités par une alerte sur vos téléphones à cause d’un inconnu qui tombe en vélo, votre dévouement était impressionnant.
Chacun son tour…
Evidemment ça tombe mal, façon de parler, mais ce soir-là aux urgences de Saint-Junien il y a beaucoup de monde. On m’emmène dans cet hôpital car c’est le service d’urgences le plus proche, et il me faut rapidement un « protocole anti-douleur ». Il est environ 19h30. Ficelé au « plan dur » des pompiers (une planche en plastique), une grosse minerve autour du cou pour préserver mes cervicales au cas où, on me pose dans une salle un peu à l’écart d’un tumulte dont je ne percevrai que les sons. On me passe en intraveineuse ce fameux protocole anti-douleur : en fait, c’est simplement du paracétamol. J’aurais peut-être dû faire plus de grimaces. Car j’ai toujours vraiment très mal.
Des soignants viennent me voir, gentils mais pressés, et un peu mal à l’aise. Personne ne se présente et je dois leur demander tour à tour si ce sont des aides-soignants, des infirmiers, ou des médecins. Un étrange sentiment de désorientation s’installe.
On m’explique qu’il me faut une radio. Mais la personne qui s’occupe seule de la radio et du scanner est actuellement mobilisée sur le scanner, et les deux appareils ne sont pas au même endroit dans l’hôpital. C’est ballot. Alors cette personne, qui prend soudain tant d’importance dans ma vie, va faire passer tous ses scanners. Ensuite elle me fera passer ma radio. Ok, je serre fort les dents.
Un monsieur de 84 ans est emmené par sa voisine après une chute dans un escalier. Il mérite autant un scanner en urgence qu’un cycliste maladroit. Pareil pour cette petite fille qui crie, je ne sais pas pourquoi, mais fort. Je me souviens de ces deux-là car ils étaient bruyants, mais avec mon harnachement de cosmonaute autour du cou, je ne vois que le plafond. J’écoute et j’imagine que ça circule beaucoup à côté.
« Vous devez avoir mal ! »
J’ai attendu comme ça environ 4 heures, toujours allongé sur une planche rigide, avec une douleur insupportable à l’épaule et puis finalement un peu partout. Je n’ai rien à reprocher aux soignants qui m’ont supporté, et, sincèrement, pardon à ceux sur qui j’ai pu crier. Mais… j’ai alors le profond sentiment que l’endroit où je devais être soigné a, au contraire, largement contribué à faire empirer mon état.
A ce stade, j’espère encore souffrir d’une simple élongation : la douleur n’est pas toujours proportionnelle à la gravité. On me monte finalement à la radio, et, en passant, la manipulatrice s’étonne que j’ai attendu aussi longtemps, vu ma tête un brin livide. Sa tête à elle devient rapidement aussi baroque que le cliché qu’elle a sous les yeux : humérus fendu, tête de l’humérus enfoncée dedans et cassée en plusieurs morceaux. Elle me dit : « Vous devez avoir mal ! ».
On me met enfin sous morphine. Ensuite, je me souviens juste de l’interne qui me dit plus tard dans la nuit avec une mine d’enterrement « le pronostic n’est pas bon… ». Il faudra un jour que je lui montre mon reportage sur les méthodes d’annonce de mauvaises nouvelles en milieu hospitalier.
Après une bonne chirurgie et quelques semaines d’arrêt maladie, je suis capable de reprendre le travail, même si je suis encore loin de pouvoir changer l’ampoule du lustre à deux mains.
Blog
Ce blog a pour but de vous faire suivre l’actualité de la santé en Nouvelle Aquitaine, en restant proche de vos préoccupations, avec des reportages et des articles qui vous concernent. Je vais contribuer à l’alimenter, convaincu que le système de santé en France est formidable, mais qu’il mérite toute notre attention pour ne pas perdre en qualité, autant pour les bras cassés que pour ceux qui les réparent…