Des motards, respectueux du code de la route, qui protestent en bloquant la circulation des voitures ; des élus locaux, jamais clientélistes, qui se rebiffent ; des « kits » de protestation distribués par des partis politiques, qu’on ne peut bien sûr pas soupçonner de vouloir souffler sur les braises… La décision du gouvernement de limiter la vitesse à 80km/h sur les routes secondaires provoque une sérieuse levée de bouclier.
L’objectif est pourtant louable : sauver plusieurs centaines de vies chaque année. Mais des arguments en béton viennent mettre à mal cette vision idyllique : « Stop à l’acharnement ! », « En zone rurale, la voiture est indispensable pour aller travailler ! ».
Visiblement, nous sommes bien d’accord : sur France 3 Limousin, depuis janvier, nous avons parlé 10 fois de ce sujet : reportages, invités en plateau… Bilan : on ne voit que des gens qui râlent, et seulement une interview, dans un des reportages, pour le représentant de la prévention routière (et deux interviews d’opposants dans ce même reportage).
Un peu de science
On ne va pas calculer ici le gain de temps théorique/pratique (au final minime) sur une portion de 100 km, ou réaliser un micro trottoir dans une station-service.
On ne va pas non plus citer les rapports d’experts du Conseil National de la Sécurité Routière, puisqu’ils sont mis en avant par le gouvernement, donc considérés par les opposants comme orientés.
Regardons la situation avec recul, en faisant seulement attention à ce que l’on peut lire.
En première ligne dans le combat anti-limitation, on trouve la « Ligue de défense des conducteurs ». Une organisation d’apparence sérieuse, qui fait même appel à la science pour publier un titre accrocheur : « Relation vitesse et mortalité routière : la fin du mensonge ».
Extrait : « A notre demande, la Société de Calcul Mathématique, cabinet de mathématique indépendant, a réalisé une étude qui met en lumière la totale absence de légitimité des formules utilisées pour lier scientifiquement la vitesse à la mortalité routière. Son analyse porte notamment sur trois études qui s’appuient sur la formule « 1% de vitesse en moins c’est 4% de mort en moins » et encouragent le déploiement renforcé des radars. »
C’est quoi la « Société de Calcul Mathématique » ? Les mêmes qui doutent du réchauffement climatique. No comment.
Penchons-nous maintenant sur une étude plus mesurée, qui ne vient pas du gouvernement français, mais d’universitaires. De vrais chercheurs, pour qui le doute est une préoccupation constante, et qui prennent en compte tous les éléments de réflexion disponibles.
Moins glamour que le titre de la « Ligue de défense des conducteurs », cela s’appelle : « Influence de la vitesse de déplacement sur le risque d’accident corporel : une étude cas-témoins »
Cette fois, le constat est différent. On peut lire dans la conclusion : « Ces résultats suggèrent qu’un faible accroissement de la vitesse de déplacement individuelle conduit à une augmentation marquée et significative du risque d’être impliqué dans un accident corporel, du moins pour les voitures. »
Et si on regarde chez nos voisins ? Difficile de comparer vraiment, les différences sur les routes sont nombreuses (équipements, permis à point, radars automatiques…). On peut tout de même trouver une étude récente menée sur le sujet en Suède, en 2017 : la baisses de 90 km/h à 80 km/h sur les routes de campagne a conduit à une baisse de 14 % par an du nombre de tués.
Nuances
Dans les études, cependant, rien n’est tout blanc ni tout noir.
La fédération des motards en colère a sans doute raison de lister d’autres facteurs de risque : « La baisse des moyens pour les associations et les collectivités régionales, les fermetures de centres de secours et des services d’urgence dans les territoires déjà isolés, la « mise en concurrence » des petites lignes ferroviaires qualifiées de non-rentables qui va entraîner leur disparition (moins de trains de proximité = plus de voitures sur le réseau secondaire), l’ubérisation des écoles de conduite et la baisse liée de la qualité de l’enseignement de la conduite, toujours plus de téléphonie et d’écrans connectés dans les véhicules, les autoroutes hors de prix (le réseau le plus sûr !), sans oublier l’abandon de l’entretien des routes, précisément celles concernées par cette baisse des vitesses décrétée sans concertation. »
Même nos universitaires le reconnaissent : « Des stratégies efficaces de gestion de la vitesse peuvent également s’appuyer sur d’autres démarches, comme le traitement des voiries (…). Dans le domaine de la technologie automobile, l’introduction de systèmes d’adaptation de la vitesse ou de limiteurs de vitesse dans les voitures pourrait avoir des effets positifs sur la sécurité (…). »
Alors oui, d’autres pistes sont envisageables. Mais il est certain que la baisse de la limitation de vitesse aura un impact sur le nombre d’accidents et sur leur gravité. Et à l’arrivée, des vies seront sauvées.
Manque d’arguments
Concrètement, il n’y a objectivement aucun argument solide pour attaquer la limitation de vitesse à 80km/h, à part une défiance envers le monde politique, comparable à celle des antivaccins, et une culture de la vitesse, franchouillarde mais dangereuse.
Pour terminer et revenir dans nos départements néo-aquitains, et pour conclure, la parole à Caude Got, qui n’est pas un illuminé, mais un professeur de médecine expert en accidentologie (extrait de sa tribune parue dans Libération le 10 mars 2018) :
« Le plus paradoxal dans cette situation est le constat d’une opposition au 80 hors agglomération d’un nombre important d’élus des départements qui vont bénéficier de la réduction de la mortalité la plus importante. Il faudrait rappeler à ces élus, majoritairement masculins, que les femmes font maintenant autant de kilomètres que les hommes et que seulement 400 d’entre elles meurent sur les routes quand 2 000 conducteurs sûrs d’eux-mêmes et de la qualité de leur conduite disparaissent. Ils devraient également prendre en considération le fait que 90% des suspensions de permis faute de points concernent les hommes. Ce sont des femmes qui vont dans les parloirs de prisons (96,5% des détenus sont des hommes) et ce sont majoritairement des femmes qui enterrent leurs maris. Un mouvement de société, attendu depuis longtemps, tente de rééquilibrer le respect des valeurs entre les sexes, depuis les rémunérations jusqu’aux comportements genrés. Il est important et urgent que les femmes disent aux élus des «territoires» de se calmer et de respecter aussi la réalité des faits, l’accident de la route demeure la première cause de mortalité des jeunes adultes, ces jeunes adultes sont leurs enfants. »