Répétition et variation (1/3)
La répétition est un rituel. A l’image du nageur qui répète inlassablement les mêmes gestes afin de toujours mieux les préciser, afin de ne plus avoir à y penser, afin d’inscrire une mémoire dans son corps, l’acteur répète. Il répète un texte car en général l’acteur parle. Et le travail de la mémoire du texte n’est pas le moins difficile : les acteurs n’ont pas de facilité particulière à apprendre, contrairement aux idées reçues. Le cauchemar sans doute commun à tous ceux qui montent sur un plateau est le noir total, l’absence de son sortant de la bouche, le cerveau vide. Ingmar Bergman en avait même fait le point de départ de son film Persona, Liv Ullman s’interrompant au milieu d’Electre pour ne plus jamais parler.
Répéter son texte donc pour ne plus avoir à y penser, pour avoir le plaisir étrange de le découvrir au fur et à mesure que les mots se forment sur les lèvres. La répétition a ceci de paradoxal qu’elle offre davantage de liberté que la chimère de l’improvisation, de l’invention sur le moment. Tentez un jour d’improviser du Shakespeare, du Beckett ou du Koltès, vous vous y reconnaîtrez piètre écrivain et on vous y verra mauvais acteur. Cela arrive, parfois.
La répétition n’est donc pas un terme galvaudé, il faut répéter inlassablement la même chose, repasser mille fois par le même chemin pour en connaître tous les contours, même dans l’obscurité des projecteurs. Avez-vous déjà vu le skieur au sommet de la pente tracer avec sa main les contours de la piste ? Certains acteurs tapis au fond de leurs loges en font de même et il n’est pas rare d’observer alors comme une espèce de prière secrète, une gestuelle muette et kabbalistique, un condensé de toutes les semaines de répétitions où l’acteur a lentement construit son parcours, sa descente à tombeaux ouverts.
La répétition porte en elle beaucoup de lenteur. Un spectateur égaré qui ouvre la porte d’une répétition en ressort souvent déçu, quoique impressionné aussi par le travail de méticulosité qu’il y voit. Chaque répétition est différente, nous dira-t-on, chaque metteur en scène et chaque acteur a sa façon de travailler. Oui. Mais en même temps, la répétition ne peut être qu’une recherche, celle du geste juste, du ton juste, de l’émotion juste. Sans parler de l’intensité ni de la couleur de la lumière, de la coupe du costume et de son adéquation à la scénographie, du mécanisme défaillant d’un élément du décor, d’un maquillage abîmé par la sueur, de toute une foule de petits détails qui pour s’agencer dans l’harmonie de la représentation se font remarquer l’un après l’autre dans le travail de la répétition.
Du rituel de la répétition à la répétition du rituel meurtrier si cher à Richard, il existe une correspondance toute shakespearienne qui donne une saveur particulière à ce que signifie répéter Richard III.