La binationalité peut s’avérer un sujet délicat. Quelle attitude en cas de conflit d’intérêts entre ses deux identités ? La question peut s’entendre, certaines réponses plus difficilement…notamment quand on brigue les suffrages des Français de l’étranger. Le débat s’était donc assourdi. Mais l’élection probable de députés français binationaux relance le débat périodiquement. Attention terrain glissant.
Arithmétique contre calculs
On croyait le couvercle définitivement refermé depuis la mi 2011. Depuis que le gouvernement avait mis le holà aux débats sans nuances qui faisaient rage à la droite de la droite. Dans la foulée des débats sur l’identité nationale, Marine Lepen et la Droite Populaire s’étaient en effet lancés dans une véritable surenchère sur ce terrain, rivalisant pour savoir qui, le premier, obtiendrait la suppression de la possibilité même d’être binational. Il avait fallu l’intervention de deux ministres particulièrement attentifs pour circonscrire l’incendie .
Extrait d'un article d’Éric Nunès publié dans Le Monde du 5 juillet 2011
« ils sont près des ¾ dans cette situation au Proche et Moyen-Orient. En Europe un expatrié sur trois détient plusieurs nationalités, un chiffre qui s’élève à un sur deux en Amérique du Nord ». Au total, selon les données issues des registres consulaires de 2011, ce sont plus de 40 % du million et demi de Français établis hors de France (42,5% précisément ) qui possèdent, au minimum, une deuxième nationalité. Si la proportion est équivalente sur les listes électorales (un million d’inscrits), les comptes sont vite faits. Plus question donc de jouer aux apprentis sorciers avec le statut et la sensibilité de plusieurs dizaines voire centaines de milliers d’électeurs potentiels…Quitte à faire des calculs politiques, autant faire des additions…
7 mois plus tard
Mais la passion idéologique a parfois ses raisons que la raison ignore. Coup sur coup, deux éclats sont venus ébrécher ce rempart statistique.
Le premier est signé Philippe Meunier, le second, Edward Amiach. Le premier est député UMP, membre de la Droite Populaire. Le second était, il y a quelques jours encore candidat indépendant de droite, dans la 8è circonscription de l’étranger. Chacun à sa façon, antagoniste, les deux hommes ont fait ressurgir les démons de l’identité nationale.
Le premier, Philippe Meunier en exprimant publiquement des doutes sur la loyauté d’un éventuel député franco russe. Le second, Edward Amiach, en lançant un appel aux candidats juifs de la 8è pour ne pas manquer cette occasion unique d’envoyer… un lobbyiste israélien à l’assemblée nationale.
Le premier a été très vite recadré par Thierry Mariani. Il est vrai que Philippe Meunier avait réussi l’exploit de contrarier en une seule sentence, et le fondateur de son courant (La Droite Populaire ), et le candidat en Asie, et l’heureux époux d’une binationale…franco russe !
cité par par Sophie Huet, Le Figaro, 21 février
Député Français…ou lobbyiste israélien ?
Le second n’en était pas à son coup d’essai. Dès sa déclaration de candidature, Edward Amiach, membre de l’Union des Patrons Juifs n’avait pas fait mystère de son objectif principal. Au delà de la défense des thématiques propres aux expatriés, obtenir la possibilité de mieux faire comprendre, en France, les réalités d’Israël.
"être le lobbyiste d'Israël à l'assemblée", hamodia.fr, 16 novembre 2011
Considérant qu’avec la moitié du corps électoral de la circonscription résidant en Israël, il ne fallait pas laisser les électeurs grecs et italiens choisir le député de la 8è (Chypre, Grèce, Italie, Israël, Malte, Saint-Marin, Saint-Siège et Turquie), Edward Amiach avait proposé à ses concurrents franco israéliens d’organiser une primaire pour optimiser l’opportunité d’avoir un élu « bien pensant ». N’ayant pas obtenu de réponse, il vient de décider de se retirer de la compétition, pour donner l’exemple… Sinon, prédit-il « Tout le monde va perdre.. ». Tout le monde ?
En attendant la réponse des électeurs à cette vision « qui n’est pas dans la tradition française », Edward Amiach, sans parti, ne courait pas le risque d’être recadré par un dirigeant. Pour trouver un point de vue contradictoire, il fallait découvrir le blogueur Berjac, sur la plateforme du monde.fr. Dans un billet du 10 décembre, l’auteur dénonçait les tenants de cette manière de penser consistant « à utiliser la fonction élective qu’ils briguent, comme levier pour contrôler la politique française. »
Pour autant, le débat n’a pas prospéré. Le thème de la binationalité a donc à nouveau disparu du radar électoral. Jusqu’au 16 janvier. Et ce jour là, on aurait été prêt à parier qu’il ne reviendrait plus.
Binationalité et carte de séjour
Qui parle ? Nicolas Sarkozy, le 16 janvier dernier à Madrid. Ce jour là, le Président de la République présente ses vœux aux Français de l’étranger et le propos est clair, net et précis.
Il le sera un peu moins, 4 semaines plus tard, quand, dans le cours de l’interview accordée au Figaro magazine, Nicolas Sarkozy aborde la question des couples mixtes sous l’angle de l’immigration et du mariage :
Extrait de "mes valeurs pour le France", Le Figaro Magazine du 10 février
Le propos du président ce jour là résonne étrangement, comme en écho aux débats de 2011. La binationalité réduite aux acquêts d’une carte de séjour, c’était en effet un des thèmes privilégiés des débats du printemps dernier. Du FN à la Droite Populaire, c’est bien de cette « binationalité » là qu’il était avant tout question. Une binationalité « subie » en quelque sorte et donc suspecte a priori d’insincérité.
Une binationalité à géométrie variable qui ferait des couples mixtes, des couples franco-étrangers en deçà des frontières et des couples binationaux au delà. Une différence de vocabulaire et de perception qui pourrait expliquer le risque pris par le candidat vis à vis des Français de l’étranger, par ailleurs choyés par le président.
Un principe, une pratique…
Une proposition troublante que ne relèvera pas le très pragmatique Alain Marsaud, auteur un peu plus tard d’un plaidoyer ardent en faveur du respect de la binationalité, « une chance et un atout pour notre pays « .
A l’appui de sa démonstration, le candidat UMP, qui a choisi une suppléante binationale pour la 10ème circonscription ajoute un argument pour faire taire les doutes de son propre camp. Au principe, dit-il en substance, il faut ajouter la pratique :
(Éric Besson, Thierry Mariani et Jean François Copé. NDR).
Aux dernières nouvelles, la binationalité est donc redevenue une valeur positive. Si elle le reste jusqu’à l’élection, la participation inédite des Français de l’étranger aura eu ce premier mérite de pacifier la campagne, au moins sur ce thème.
MAJ. Marine Lepen est revenue sur sa conception de la binationalité au cours de la première émission de campagne de TV5 ce mercredi soir : « réserver la binationalité aux européens de l’UE », « la double nationalité avec les pays du Maghreb pose plus de problèmes d’assimilation ». Vous pouvez relire ces déclarations sur le site du petitjournal.com partenaire de cette série d’émissions (à partir de 16′)
A écouter également, cette ITW de François Kahn, candidat centriste pour la 10è circonscription qui dénonce l’obstination de la Droite populaire à remettre en question la binationalité