Le tropisme droitier, le penchant « conservateur» des Français de l’étranger n’est plus ce qu’il était. On l’avait déjà constaté lors de la présidentielle de 2007, quand le vote « expatrié » s’était « aligné » sur les résultats de métropole. On en a eu récemment la confirmation avec le score très serré (51/49) enregistré par le seul sondage disponible (TV5 /lepetitjournal.com ). Mais de là à envisager une majorité de Français de l’étranger votant à gauche…Pourtant l’hypothèse n’est plus impensable. Parce que la sociologie de l’expatriation a changé. Parce que les échos d’une France vindicative en deçà et au delà de ses frontières dérange manifestement de plus en plus ceux qui ont fait le choix de l’ouverture au monde.
C’est aussi la petite musique qui se fait entendre dans les colonnes de nos confères étrangers qui sont allés à la rencontre des Français établis sur leur territoire.
Deux reportages parmi d’autres. Celui de l’Hebdo, magazine suisse romand et celui du Guardian. Deux reportages remarqués ces derniers jours parce qu’ ils se distinguent des habituels points de vue d’éditorialistes (voir la sélection de « Courrier international »). Et parce qu’ils auscultent deux des plus importantes « communautés » françaises expatriées.
La « vexation » suisse
En s’attachant aux pas des représentants du PS et de l’UMP en campagne dans leur pays, nos confrères de l’Hebdo ont pu sonder l’état d’esprit de quelques uns des 106 835 français inscrits sur les listes électorales dans la 6è circonscription (Suisse, Liechtenstein). Ici comme ailleurs, la communauté française s’est profondément renouvelée : « près de 40 % des inscrits ne l’étaient pas en 2007″, souligne Claudine Schmid, candidate UMP aux législatives..avec une pointe d’anxiété « On ne les connaît pas électoralement parlant. Il est donc difficile de prédire pour qui ils vont voter ». On pourrait s’étonner de cet accès de prudence, chez la représentante d’un candidat qui l’avait largement emporté ici en 2007 (57% au second tour). Mais les attaques récurrentes de Nicolas Sarkozy, le président comme le candidat, contre la fiscalité de la Confédération et les « exilés » français ont semble-t-il profondément changé la donne : « «L’électorat est particulier en Suisse, explique Nicolas de Ziegler, de l’UMP. Plus de 50% des inscrits sont des binationaux. Lorsque le pays est attaqué, ils réagissent comme des Suisses. Ils ont mal vécu la manière dont l’État a été traité durant le quinquennat. D’autant, il faut l’avouer, que sur la forme le discours n’a pas toujours été adaptée.» Comment ce désamour va-t-il se traduire électoralement, le reportage ne le dit pas précisément. Certains évoquent un vote François Bayrou, d’autres l’abstention. Une autre François Hollande. Mais l’on sent bien que le résultat de 2007 (57,2% pour Nicolas Sarkozy) n’est plus envisageable en 2012.
« anyone but Sarkozy » ?
Les reporters du Guardian le précisent d’emblée, il est loin le temps où pour trouver un Français en Angleterre, il suffisait de se rendre dans la « Frog Alley » dans le quartier de South Kensington à Londres. Aujourd’hui, les quelques 300 à 400 000 Français installés de l’autre côté du « Channel » sont dispersés dans toute la grande Bretagne. Selon, Philippe Marlière, professeur de politique française et européenne à l’université, ce sont les années Blair qui ont changé l’image de la capitale anglaise redevenue « a dynamic, flexible, sexy place ». « You’ve got now a younger, less wealthy population », des jeunes moins aisés qui auraient redessiné la donne politique « re-designed the electoral map ».
Certes, ils ne sont « que » 80 000 à s’être inscrits sur les listes consulaires pour la présidentielle. Parce que beaucoup sont partis sans se retourner (« no intention of going home for « at least 10 years », comme le dit Coraline). Parce qu’à l’inverse, il peut être facile de s’en retourner ne serait-ce qu’un weekend (ils sont 10 000 de moins inscrits sur les listes pour les législatives). Ou encore, parce que rien n’est venu les faire douter de leur « exil », comme le suggère Rosine « I don’t know if everyone will vote because everyone is so disillusioned. »
Pour certains la désillusion est teintée de rancœur contre les blocages de la société française. On le sait, beaucoup de jeunes issus de l’immigration ont tenté leur chance dans une société où le cosmopolitisme est une donnée culturelle. « Here people live with each other in the same area; they learn each other’s cultures » explique Coraline qui dit sa tristesse de ressentir les tensions et le racisme ambiant quand elle est de passage en France « there’s more racism around, there’s more things that make me sad« . D’où l’idée sous-jacente , exprimée par Vincent, de sanctionner dans les urnes les discours de stigmatisation, de remettre un peu d’humanité dans la vie politique française « putting a bit more humanity back to French politics ». Un sentiment que Philippe, le professeur de politique qui penche à gauche, se plait à traduire en un pronostic impensable, il y a encore 5 ans , « it’s winnable ! » dit-il, convaincu que sa colère personnelle est partagée par beaucoup de jeunes expatriés « people are so disillusioned and angry … that it’s just ‘anyone but Sarkozy' ».
Reporters et pas éditorialistes, nos confères britanniques et suisses se gardent bien de reprendre à leur compte cette conclusion définitive. Mais si leur ressenti venait à se confirmer, le vote des Français de l’étranger pourrait prendre une tournure « historique » d’ici le 6 mai.
Liens complémentaires :
« La Présidentielle et les expatriés en Suisse, Espagne, Egypte et Australie » sur le blog « A l’encre de ma plume »
« le vote des Français de l’étranger indécis » sur le blog Chroniques d’expatriation » Un bilet qui ajoute, à la revue de presse anglaise, Le Daily Telegraph et le London Progressive Journal,aux avis aussi tranchés que contradictoires.
« Les expatriés votent de moins en moins à droite » , article publié par Sud Ouest qui constate la tendance au recentrage du vote expatrié sans se prononcer sur la suite