28 Nov

Hymne à l’amour

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Ils se sont mariés il y a soixante ans. Robert et Roberte ont vécu ce que l’on appelle une petite vie tranquille. Lui était employé des postes et elle, femme de ménage dans un collège. Ils ont eu trois garçons et ont toujours vécu dans la même petite maison à Caudéran. En trois mois, Robert est parti d’un méchant cancer.

Roberte est là, devant l’église, en ce froid de décembre, soutenue par ses enfants derrière ce cercueil fleuri. Comment va-t-elle surmonter son chagrin?

Elle ne tient pas debout, terrassée par le malheur. Ils ne se sont jamais quittés, partageant les joies et les petits tracas de la vie quotidienne.

Le lendemain des obsèques, elle m’appelle :

– Mon petit, comment vais-je pouvoir surmonter ça ?

Cette maison trop grande, ce lit trop grand, cette pipe presque encore fumante posée sur la table de la salle à manger qui prolongent cette tristesse immense qu’elle ressent.

Mes mots sont tellement vides, tellement classiques :

– Il va falloir remonter mamie (je l’appelle toujours mamie car elle me nomme toujours mon petit).

Je lui conseille bien sûr d’aller passer quelques jours chez son fils dans le Médoc, mais elle n’en a pas envie, préférant rester dans cette atmosphère où l’image de son chéri est encore partout. Elle a ressorti les photos d’un vieil album en cuir, leur mariage, leurs premières vacances à la mer, la naissance des enfants, la première 403…

Trois mois se sont écoulés.

Mamie se partage entre ses arrières petits-enfants qu’elle garde le mercredi et une visite dominicale avec les grands. Elle pleure tout le temps, ne mange qu’un bol de soupe le soir et se lève tôt.

Elle me demande de venir la voir souvent; en partageant un petit café, elle me raconte ses souvenirs, ses rires, ses peurs, ses angoisses qu’elle a eus avec son Robert pendant si longtemps.

– Tu sais qu’un jour (il y a 30 ans), il n’est pas rentré de la nuit ? Il a essayé de me faire croire qu’il s’était endormi chez son copain Phiphi. Je ne l’ai jamais cru, il ne me l’a avoué que deux mois avant qu’il ne parte : il avait dormi chez une fiancée mais il m’a juré qu’il n’était jamais rien arrivé. J’ai fait semblant de le croire et pourtant je savais qu’il me prenait pour une naïve. Mais tu sais, petit, ce n’est pas au vieux singe que l’on apprend à faire la grimace.

Les mois s’écoulent et Roberte déprime de plus en plus. J’essaye la parole réconfortante mais je suis obligé de passer à une thérapeutique plus forte : l’antidépresseur ! Le bonbon Prozac qui ne ramène pas le mari mais qui permet de mieux supporter son absence.

Cela fait deux ans que Roberte essaye de survivre. Son inscription au foyer lui donne un but une fois par semaine : scrabble, question pour un champion, des chiffres et des lettres : tout un programme !

Et puis un jour… elle m’appelle. Il est six heures du matin.

– Viens, petit, il faut que je te parle, je ne peux plus tenir, j’ai un secret à te dire…

Mon petit café serré est servi sur le napperon blanc, elle est déjà habillée, rouge à lèvres soulignant ses lèvres fines, bien coiffée, parfumée de ce parfum qui me rappelle ma grand-mère (Heure Bleue de Guerlain) . Elle a un petit sourire coquin.

-« Voilà mon petit, je crois que je suis amoureuse…

– Quoi ?

– Oui, mes enfants m’ont offert un ordinateur pour mes 83 ans. Je n’y comprends rien et j’ai demandé à Kevin (mon petit fils) de me montrer. En rigolant, je lui ai demandé de chercher des noms dans le « facebock » ou « fissebouc », enfin tu sais ce truc où l’on retrouve tout.

– Tu t’es mise sur Facebook, toi ?

– Oui, petit ! Mais ce n’est pas fini, j’ai repensé à mon premier amour quand j’avais 17 ans.

– Et alors ? (émoustillé par ce come back tant d’années après)

– Et alors, je l’ai retrouvé et j’ai appelé…

– J’ai pu lui parler et il m’a de suite reconnue, il était tout gauche, maladroit, il m’a résumé sa vie en deux minutes, puis il a raccroché brutalement. En fait, il est toujours marié et sa femme est très malade. Il m’a rappelé hier, il parlait doucement, il m’a demandé s’il pouvait venir dimanche. Il prétexte qu’il va voir un match de Rugby.

– Roberte, amoureuse pour une liaison coquine ?

– Oui mon petit, coquine !

Depuis six mois, tous les dimanches, Roberte attend son amant (rassurez-vous, c’est en tout bien tout honneur : prostate enlevée, désir coupé !) Il vient de 15h à 17h et, quand les joueurs doivent rentrer aux vestiaires, lui doit rentrer chez lui.

Il lui a acheté un petit piano car elle en jouait quand elle était jeune. Elle a réappris leur chanson préférée : L’Hymne à l’amour d’Edith Piaf…

 

21 Nov

Premiers pas

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Voilà, je viens d’avoir les résultats du concours de médecine ! Je suis reçu ! Je vais pouvoir vivre mon rêve : être médecin !

Ma vie bascule, je sais aujourd’hui que cette première année terminée, je vais rentrer dans le vif du sujet : voir, toucher, soigner des malades…

Je reviens d’un match à Clermont-Ferrand où j’ai joué en première (et où j’ai perdu), je prends un train de nuit pour retrouver ma famille en congés. Je suis dans l’euphorie la plus complète, tout me réussit : rugby, médecine, copains, famille.

Je partage un compartiment du train avec une dame sympathique très bavarde d’un âge plus près de la retraite que du mien.

– Tu fais quoi comme étude ?

– Médecine, Madame.

– En quelle année ?

L’euphorie et les restes de ma troisième mi-temps clermontoise me poussent avec aplomb à lui lâcher :

– Je viens de passer l’internat (me permettant ce mensonge car persuadé que j’ai très peu de chance de retrouver cette inconnue du train)

– Bravo, tu es bien jeune, tu dois être très doué.

– Non, non, pas du tout, travailleur surtout ! (modeste)

Quinze jours plus tard, c’est la rentrée. J’ai le choix de mon premier stage : orthopédie au CHU avec le professeur Sénégas. Le ponte, le Dieu, le Patron, le rugbyman et celui qui a opéré mon genou en juin.

La blouse blanche est repassée, mon premier stéthoscope autour du cou (ils font comme ça à la télé), je vais découvrir mon Eden, je vais « sauver des vies » !

– Oh, Antoine, cela me fait plaisir de te voir, comment va ton genou ?

– (tremblant de peur devant ce monstre sacré que représente le professeur Sénégas), je lui dis un petit : super, j’ai rejoué à Clermont.

– Tu as gagné, j’espère ?

– Non, nous avons pris 35 points !

– Allez, oublie tout ça, je t’amène au bloc, tu vas assister à ta première opération .

C’est fou, cela fait cinq minutes que je suis rentré dans l’hôpital, le Patron me propose de l’accompagner voir une grosse intervention, il m’appelle Antoine et me parle de rugby. Je dois faire un rêve, ce n’est pas possible !

Il m’accompagne, discute de ma note d’anatomie au concours, du match perdu, de tout, de rien et moi je souris béatement. On rentre dans le vestiaire, il me demande de m’habiller en cosmonaute, en chirurgien quoi !

J’essaye de regarder ses gestes, j’admire son corps d’athlète. Je me sens tout petit ; un frisson de bonheur et de trouille m’envahit.

Je rentre dans ce bloc glacial où un traumatisé de la route est déjà allongé sur la table. Le Patron m’initie à mettre ma première paire de gants stériles, comme un instituteur de classe maternelle apprend à un bambin à se rhabiller (pince toi Antoine, tu ne rêves pas !). Après deux essais, j’arrive enfin à mettre mes gants en respectant l’asepsie.

Arrive un étudiant de sixième année, qui m’a vu en grande difficulté et me lance un : « Bonjour gamin, alors on opère ? ». Tout en me tendant sa main pour me saluer. Machinalement, je lui tends la mienne. C’était le piège ! Je ne dois jamais rien toucher puisque les gants sont stériles et donc… je dois recommencer cette manipulation « gantesque » et moi, je suis grotesque !

Et là, va commencer après le rêve, le cauchemar.

Tout est prêt. Le Patron commence : il fait la première incision au niveau du cou. Le froid glacial du bloc n’empêche pas une bouffée de chaleur dans tout mon corps. Je transpire, mon kimono de chirurgien se transforme en serpillère humide, des perles de sueur coulent sur mon front, je tremble, j’ai peur !

Je regarde juste derrière le Patron le petit filet de sang qui surgit sous le bistouri. Je vois tout d’un coup tout clair, tout trouble et… je me retrouve par terre, allongé, avec des dizaines de personnes qui me tapent dessus et me disent : « ouvre les yeux, ouvre les yeux, tu as eu un malaise vagal ».

Le Patron continue imperturbablement ses gestes et moi, je suis ridicule en train de perturber tout le monde. On me porte dans le vestibule, on me donne du sucre, je reviens juste à moi, je suis humilié.

Une femme s’approche de moi, me prend la main et me regarde fixement. Je ne la reconnais pas, puis en enlevant son masque, elle me sourit et me dit : « Alors, jeune homme, je croyais que vous veniez d’être reçu à l’internat ? ».

Mon humiliation est à son comble : c’est la femme du train de nuit qui est infirmière du bloc ! Mon mensonge de ce voyage d’une nuit d’été me servira de leçon et m’apprendra que la modestie et l’humilité doivent être les piliers de la réussite médicale.

J’ai le calot de travers, je suis debout, plus blanc que ma blouse, le masque serré contre mon visage, je veux revenir au bloc. Je suis un compétiteur, je ne veux pas que le patron rigole de moi, je repars !

– Alors Antoine (tout en continuant d’opérer) tu es un peu sensible ?

– Non, non, je n’avais pas mangé ce matin (encore un mensonge car j’ai dévoré une baguette entière).

– Bon regarde, je vais prélever un morceau d’os à la hanche pour caler entre deux vertèbres. Il réincise la peau et le coup de bistouri fait resurgir le même filet de sang.

Le compétiteur, vous savez l’interne du train, le grand joueur de rugby, le docteur Mamour… et bien il a encore plus chaud, il transpire comme un Zidane après un match, il essaye, essaye, essaye encore et… pouf de nouveau, il se retrouve par terre ayant perdu connaissance, le crâne fendu en tombant. Il saigne, il s’est fait dessus et ne sait plus comment il s’appelle, ni où il est !

Le Patron me regarde avec ses petits yeux rieurs et me dit : « Je crois que c’est bon Antoine, tu peux rentrer chez toi… ».

En conclusion, j’ai appris ce jour-là un mot important : humilité.

Merci Patron !

 

14 Nov

Amour et Gourmandise

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Philippe, il est grand, longiligne, des yeux très clairs. Pas besoin d’aller à Lourdes pour constater que les miracles peuvent exister même sur les bords de Garonne quand on est un homme bien.

Je connais Nathalie depuis quelques années car elle travaille dans l’industrie pharmaceutique. Petit bout de femme, énergique, elle me présente ses médicaments avec une détermination, inversement proportionnelle à sa taille. Comme je suis un curieux, bavard je m’intéresse à son parcours extra professionnel.
Comme beaucoup de personnes elle se remet difficilement d’une séparation conjugale. Puis, un jour, elle arrive avec des petits croissants à mon cabinet.

-Doc je vais nettement mieux,je viens de rencontrer une pépite: l’homme parfait !

– Donc Nathalie est amoureuse ?

– Plus que cela folle d’amour. »

Elle me raconte alors sa rencontre avec celui que j’appelle Gillette: la perfection au masculin !

Nathalie vient me voir régulièrement pour me vanter les bénéfices de tel ou tel médicament et nous finissons toujours notre entretien par un zapping de sa vie: tout n’est que bonheur, joie, amour.
Lui, il travaille beaucoup couvert de diplômes il a un poste à grande responsabilité, « son seul défaut c’est sa quantité de travail » qu’il produit tous les jours. Il commence tôt, finit tard mais lui fait passer des super week-ends en amoureux.

Le conte de fée en ce matin de novembre s’arrête net. Nathalie ne sourit pas, elle rentre dans mon bureau, les yeux rougis par des larmes coulant encore sur son visage ou les petites taches de rousseur ressortent plus que d’habitude.

– « Qu’y a t-il, Nathalie ?

– C’est Philippe !

– Vous vous êtes disputés?

Elle n’arrive pas à parler, des longs silences entrecoupés de sanglots puis:

– Il a une tumeur au cerveau ! »

Je suis abasourdi. On pense souvent que certaines personnes ne peuvent pas être touché par le malheur, tellement ils sont bien, généreux, humains, beaux !

Elle me raconte tout ce qui arrive, les premiers symptômes, les migraines, les pertes d’équilibres, les troubles neurologiques.
Puis vient le doute, l’espoir, les scanners, les IRM, et arrive le verdict impitoyable: Glioblastome cérébral !

Tout s’écroule, une vie à deux, un mariage, une maison, un amour immense. Il va falloir se battre affronter l’opération, la chimio, les rayons. L’infime espoir de survie est certes le seul moteur de tout ce parcours du combattant mais il est si petit.
Nathalie est courageuse, elle continue à travailler avec une force qui n’a d’égal que le courage de Philippe.
Pendant longtemps, leur vie se partage entre les espoirs, la fatalité, la peur, la souffrance. Ils s’aiment tellement que je pense, car je suis un éternel optimiste, que le tout petit espoir de guérison va se transformer en une rémission totale.

On est arrivé après le cursus chirurgical et oncologique à une période d’attente et de rééducation.
Philippe, bien que pas du tout de la partie, profite de cette période pour se faire plaisir en cuisinant. Il invente des recettes, il donne des saveurs à tous ses plats  comme il donne un sens à sa vie. Chez lui tout est raffiné, il mélange le sucré et le salé, il parfume ses desserts avec cette petit pointe d’acidité propre à relever cette sucrerie habituellement trop fade, faisant du banal un délice !
Quand Nathalie rentre le soir, Philippe a son grand tablier de cuisinier, il a mis le couvert les bougies sont sur la table et la maison respire d’une suave odeur de la cuisine d’antan.

Nathalie n’ose croire à cette vie merveilleuse, cela ne se voit qu’au cinéma me dit elle souvent. Elle a peur tous les jours, toutes les nuits. Mais elle est pragmatique, les pieds sur terre, et la tête dans les étoiles elle se régale de tous ces petits plats qui l’attendent tous les soirs. Toutes le semaines j’ai vu Philippe, l’amélioration a chaque visite, bonheur et sérénité retrouvée de ce couple magique.
Nathalie retrouve son punch habituel, son sourire dévastateur, elle est épanouie, parle peu mais que de son mari. Elle est sûre de sa guérison autant que ses dons culinaires.

– « Phil n’arrête pas il m’a fait prendre 5kg !

– Ok mais n’oublie pas que tu en as perdu 6.

– Mais c’est si bon il me fait des desserts à tomber à la renverse. »

Des jours, des mois ce sont passés un jour phil est venu me consulter avec Nathalie.

– « Nous avions (j’aime ce « nous », preuve que l’épreuve était bien partagée) peut être une chance sur 1000 de survivre et aujourd’hui l’hôpital nous a dit que c’était gagné ! Les larmes sur la joue de Nathalie n’étaient pas les mêmes. Elles signifiaient bonheur !

Il y a deux mois un vendredi soir je rentre tard, je suis épuisé, j’ai faim et le canapé m’attend. J’allume la télé, un gros plan s’arrête sur un des candidats à l’émission la plus célèbre pour élire le « chef ». Philippe est là, devant moi et des millions de téléspectateurs. Il a enchanté la France entière, il a sublimé ses plats comme il a su sublimé mon métier en me montrant que tout est possible dans la vie.

Merci Nathalie, merci Philippe, vous êtes mes pâtes d’amande, mes calissons, mes chouchous. Grâce à vous j’ai encore plus confiance en la médecine, en l’amour, en l’homme tout simplement.

06 Nov

Pick and Go

 

rugby_drmaison« Allo, Antoine, c’est Mathieu ! Tu peux jouer dimanche?

– C’est de l’humour? Tu connais mon âge? Cela fait bientôt 20 ans que je n’ai pas remis de crampons et, depuis mon genou, je suis Robocop, je mets du dégripol tous les jours ! Sacré prothèse !

-Tu n’as pas besoin de crampons, juste des roues bien gonflées!

-Mais qui es-tu ? Mathieu qui ? (je pense alors à mon copain demi d’ouverture des juniors du SBUC.

-Tu le sais très bien, arrête de faire l’innocent, je compte sur toi, c’est pour un match de bienfaisance.

Honnêtement, à ce moment là, je ne vois pas du tout de qui il s’agit. Pour ne pas le vexer je continue notre conversation.

 » Tu sais, il va y avoir du monde et puis que toi, tu sois là, ce serait formidable.

-Mais je ne peux plus courir avec ma prothèse, je boîte en permanence.

-Tu le fais exprès ? Tu joueras dans un fauteuil.

-Même si je sais que tu es le meilleur demi d’ouverture qui distribue des passes fabuleuses, mon genou sera toujours en titane !

-Ecoute doc’ , je crois que tu te trompes de demi d’ouverture. Je suis Mathieu ton patient tétraplégique, c’est pour faire un match de rugby en fauteuil pour Handisport. On a pensé que de faire un mélange d’anciens rugbymen avec nous serait une bonne pub pour notre association.

Cette conversation me parait surréaliste. Moi, un vrai naïf je crois que l’on me demande de rejouer, rêvant en un instant  retrouver l’odeur des vestiaires, les bruits des crampons sur le carrelage, l’odeur du camphre qui pique les narines. Puis la réalité de l’ appel d’un patient, d’un homme, d’un ami qui m’apporte à chaque venue sa force, sa volonté, sa tolérance.

Mathieu, c’est un destin, une vie qui bascule le jour où une vilaine vague le propulse sur le sable et lui fracture ses vertèbres lui sectionnant sa moelle épinière.

Quand il vient me voir au cabinet, il arrive en camionnette. Bien que tétraplégique, il arrive à conduire, à descendre tout seul, prendre son fauteuil, ouvrir cette porte de cabinet bien mal adaptée et va dans la salle d’attente où il attend son tour comme chacun. Il discute, s’intéresse aux autres malades. La différence c’est que lui, il est toujours souriant, toujours prévenant, laissant passer l’enfant fiévreux ou la vieille mamie pressée.

Quand il rentre dans mon bureau, je prends mon habit de clown pour cacher mon malaise, je plaisante avec lui avec notre arme commune: la dérision.

 » Doc, je suis à plat !

-Fatigué?

-Non, c’est mon pneu qui est dégonflé (en me faisant un sourire complice)

-C’est un coup de pompe !

-C’est ça, doc’! J’ai besoin de médicament, j’ai une tendinite au bras à force de pousser le fauteuil à l’entraînement.

Mathieu, il n’est handicapé que pour les autres, m’a t’il dit.

 » Moi je suis comme tout le monde, je suis marié, j’ai deux enfants, je travaille et je joue au rugby ! »

Je me régale de l’entendre me parler de son sport, c’est le moteur de sa vie, son enthousiasme, sa préparation individuelle, son organisation, sa recherche de sponsor.

 » C’est dur de trouver des moyens, il faut du matériel, des camionnettes pour nous transporter et, quand on part à l’étranger, c’est un Transval qu’il faut comme avion!

Il s’occupe de promouvoir le rugby. Il a le mental d’un Dussautoir, l’enthousiasme d’un Maxou Machenaud, la force d’un Picamoles .

On se plaint tous d’un bobo, d’une prothèse, d’une déprime, lui jamais !

Alors ce match de rugby, je vais le faire! Je vais essayer d’emmener tous mes vieux copains des prés qui taquinaient le cuir avec moi. Je vais essayer de rendre un peu à Mathieu tout le bien qu’il me fait. En plus de réunir mes deux passions médecine et rugby, il m’apprend l’humilité.

Je vous tiendrai informés de la date du match. On viendra nombreux pour applaudir et soutenir Mathieu et ses amis !

 

31 Oct

Kasko

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Quand je reçois le résultat du bilan de Robert, le plus difficile pour moi, c’est de savoir comment lui annoncer.

Robert, il est basque, petit, rondouillet, le béret sur la tête jour et nuit , un makila de Bergara toujours à la main.

Il va à la chasse à la palombe, il ramasse des champignons (il m’en donne beaucoup), il vit seul à Bordeaux la semaine, à Cambo le week-end.

Il n’est jamais malade, un bilan sanguin deux fois par an, une vérification de la tension de temps en temps, il a 78 ans.

Son bilan sanguin montre des anomalies, un marqueur du cancer de la prostate très élevé, une anémie et des perturbations montrant indirectement des problèmes osseux.

Il arrive toujours en sifflotant des airs me rappelant des troisièmes mi-temps de rugby. Boga Boga, les fêtes de Mauléon, la pena baiona. Il rentre toujours en me lançant un « Agur » sûrement pour me rappeler nos origines communes et je lui réponds des bêtises à consonances d’Euskadi : Etchéona, Bidegaray, voire… Rika Zarail vu ma non connaissance de la langue du 64.

Je le fais toujours rire quand je prends cet accent caractéristique que je plagie.

Mais aujourd’hui je ne rigole pas, il va falloir lui faire faire des examens complémentaires et ce n’est pas gagné!!

« Alors Robert,  je te le commente ce bilan?

– Pardiou, tu crois que je suis là pour te compter fleurette?

– Tu te lèves souvent la nuit pour uriner?

– Tu ne peux pas dire pisser comme tout le monde, monsieur le snob?

– si tu veux, Roberto mais je suis un peu inquiet pour tes analyses.

– Quoi? J’ai un problème?

– ça serait bien d’aller voir un urologue!

– Jamais, tu m’entends petit, jamais, never, never !

– Tu parles anglais maintenant mister Robert?(reculant l’échéance du verdict verbal)

– Arrête tes sottises, j’ai quoi, un cancer?

– Je ne peux pas savoir, il faut des analyses supplémentaires, une biopsie une scintigraphie.

– Ecoute moi bien, petit, que j’ai le cancer, la cangite, la pécole, je m’en fiche, elles passent samedi à Irraty.

– Elles passent ?

– Inculte, innocent, toubib de la ville bien sûr qu’elles passent les palombes, alors ton cancer tu l’oublies et moi aussi ! »

Ce premier entretien pour annoncer à Robert qu’il a sûrement un cancer de la prostate avec des métastases osseuses est un échec total. Il est plus préoccupé par la chasse de samedi que par le diagnostic.

Je ne l’ai pas revu pendant six semaines. Evidement il ne connait pas les portables et, si on veut le trouver, il faut appeler au Café des Sports dans son village.

Il revient au bout de deux mois,  sifflotant, béret et makila .

«  Alors petit, tu vas m’annoncer quoi aujourd’hui, le crabe, l’infarctus, la grossesse? »

J’essaie d’être très sérieux, rôle de composition dans ce cas.

« Tu es décidé à faire des examens ?

– Bon diou, mais petit tu es plus têtu que mon fronton à Guéthary, au moins lui il a des fissures !

-Mais Robert, je suis là pour te soigner sinon tu ne viendrais pas ?

– Ecoute moi toubib, je sais très bien que tu es un excellent médecin, que tu m’apprécies beaucoup, mais là, tu m’embêtes, je sais que j’ai sûrement un cancer, des bébêtes dans les os vu la douleur dans ma colonne mais je ne veux pas me soigner, c’est des poisons toutes ces médicaments ! J’ai vu mon copain Peio dans la palombière samedi. Il avait la maladie, on lui a fait la chimio, les rayons, l’opération et résultat aujourd’hui il est maigre comme un coucou, il n’a plus de cheveux, il pisse dans son pantalon et sa femme n’a plus vu le loup depuis six mois alors tu comprends je préfère rester comme je suis. Je n’ai pas d’enfant, pas de femme régulière et je veux continuer ma vie jusqu’à que je ne puisse plus rien. A ce moment là, le cinq coup automatique il ne sera pas pour une pauvre palombe mais pour bibi!

– Au moins le basqoï tu es clair! »

Ma sympathie pour Robert est immense mais mon devoir de guérir mes malades est encore plus grand. Je sais très bien que je peux lui éviter des souffrances à venir mais le malade est maître de son destin. Je doute de ma force de persuasion, je suis tracassé et ce soir là mon stilnox est nécessaire.

La nuit portant conseil, j’ai eu une idée. Il m’a souvent proposé d’aller à une partie de chasse dans sa palombière.

Je vais y aller samedi,  je vais parler à ses amis de trente ans, ils  arriveront peut être à le convaincre.

Je ne vais pas vous raconter en détail cette journée. Je vous dirai seulement que je n’ai pas vu ni tué le moindre volatile, mais que l’Irouleguy, le Patcharan, l’Izarra n’ont plus (hic…)de secret(hic…) pour moi (hic, hic, hic…).

Cela dit, avant cette beuverie, j’ai discuté avec tous ses amis (Manech, Patchi, Peso etc… (en phonétique).

Ils m’ont tous dit : « Tu es mignon toubib mais Roberto, il est plus têtu qu’un truite de Baïgorry, tu ne pourras rien faire .

Laisse tomber ! »

Cela fait douze ans, Robert n’a jamais fait d’examens ! Il a sûrement des métastases osseuses, il se lève dix fois par nuit, il est fatigué, il a 90 ans mais toujours en vie .

Alors, parfois je me pose des questions, j’ai des doutes et pas de réponses. Je sais seulement que le mental d’un homme est plus fort que toutes les médecines !

 

 

 

23 Oct

Père et fille

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Myriam est handicapée mentale moyenne comme ils disent. Elle a un faciès ingrat avec une grande bouche, des lunettes à triple foyer. Elle est la fille de Farida.

Farida a eu une cirrhose alcoolique il y a dix ans. Elle est décédée il y a 4 ans. Elle vivait avec son ami Youssef depuis plus de 30 ans.

Myriam ne connait pas son père. Elle s’occupe de la maison selon ses moyens, fait le ménage, la vaisselle, le linge. Elle va dans un CAT pour faire des petits travaux trois fois par semaine.

Depuis la mort de sa maman, Youssef s’occupe d’elle, l’amène souvent en bus (il ne conduit pas). On ne peut pas dire qu’elle est malade, elle ne prend aucun médicament mais ils viennent me voir une fois par mois. C’est un couple bizarre, il est attentionné, lui prépare ses repas. Elle ne l’appelle ni papa, ni Youssef. Elle dit lui ou il.

Je n’arrive pas à savoir ce qu’elle pense, je ne sais si elle est heureuse, malheureuse, si elle comprend, si elle a des émotions.

Lui, il était concierge dans l’immeuble. C’est là qu’il a rencontré Farida et Myriam. Il a toujours une vieille casquette des Girondins que je lui ai donnée. Il ne la quitte pas, on pense même qu’il couche avec. Quand il vient me voir pour Myriam, il me laisse toujours 1euro en plus. Il me dit « c’est pour la sucette du petit ! » (oubliant sans doute que mon fils chéri aujourd’ hui a 26 ans !

Lui, il n’est jamais malade ! Il accompagne Myriam, se fait prendre la tension et repart, été comme hiver avec trop de vêtements, ce qui lui donne un corpulence reconnaissable. Il m’invite souvent à manger son couscous du vendredi et reprend son petit accent marocain « C’est le meilleur du monde, docteur ! Venez manger avec votre gazelle et les petits gazous ! »

Un jour, Youssef amène Myriam. Elle est très enrhumée, il est attentionné, l’aide à se déshabiller. C’est vrai qu’elle est maladroite. « Elle renverse tout me dit-il, elle casse une assiette par jour! »

Cette association fille beau-père est touchante. Il est si gentil avec elle et, elle, si imperméable à tout. Son sourire permanent ne permet pas de pénétrer dans son univers. Comprend t’elle, ressent-elle des émotions, des tristesses, de l’affection?

Lui aussi il sourit, toujours affable, généreux. Il ne sait pas lire. Il me demande souvent de lui traduire des feuillets administratifs. Je lui conseille souvent d’aller voir une assistante sociale pour s’occuper d’eux. Il refuse toujours, il ne veut pas que l’on rentre dans sa vie. Je suis la seule personne qu’ils côtoient. Pas d’ami, pas de famille, personne ! Seulement elle et lui !

Dès qu’elle est soufrante, fatiguée, il vient. C’est la sortie de la semaine, du mois.

Je ne suis allé chez eux qu’une fois. L’appartement est petit, très propre. Pas de photos, pas de décoration. Seul un vieux » transistor » fonctionne toute la journée, ils sont hors du temps, ils vivent en vase clos.

Il a un sacré caractère! Si j’ose lui demander d’aller consulter un spécialiste, il refuse toujours. Pourtant il en a besoin, ce pauvre Youssef ! Il n’entend rien, il y voit très mal et sa dentition me rappelle la mienne après mon match à Lavardac où les phalanges du deuxième ligne m’ont enlevé mon sourire naturel à tout jamais.

Un jour, panique à la maison ! Youssef m’appelle. Il est gêné. Myriam a vomi et se sent épuisée.

« Elle n’est pas enceinte, docteur? »

J’imagine mal comment la pauvre Myriam pourrait avoir eu une relation mais on ne sait jamais ..

« Je lui fais faire un test, Youssef.

– Tu es d’accord Mymi ?

– Oui, d’accord. » (en sachant très bien que si il lui avait posé la question inverse elle aurait répondu la même réponse !)

Evidement le test est négatif et Youssef semble soulagé non pas de ne pas avoir un enfant de plus à la maison mais il me dit :

« L’appartement serait trop petit ! »

Myriam est toujours identique à elle même, enfermée dans une bulle étanche à toute sensibilité.

Youssef est souriant mais je lui trouve mauvaise mine.

« Il faut faire un bilan Youssef!

– Jamais, tout va bien.

– Si, tu dois en faire un, je te trouve fatigué.

– Je veux bien mais c’est toi qui le fais!

– Ok, je passe demain avec les tubes. (J’adore faire les bilans sanguins ; cela me rappelle mon enfance quand j’accompagnais mon papa)

Le lendemain, il n’ouvre pas la porte et il y a juste un papier écrit d’une autre main que la sienne « je passerai te voir au cabinet docteur, j’ai dû partir amener la petite. »

Il n’est jamais venu. J’ai essayé de téléphoner plusieurs fois en vain. Je me dis que, de peur d’avoir une prise de sang et de savoir son diagnostic, il refuse de voir la seule personne qu’il connaisse: moi!

Je téléphone au CAT où elle travaille. Surprise, la responsable me dit qu’elle ne vient plus car son beau-père a prévenu qu’ils sont partis en famille en dehors de Bordeaux. J’émets des doutes sur ce départ car il m’a toujours dit qu’il n’avait pas de famille.

Alors, je décide d’y aller !

Je sonne plusieurs fois sans réponse. Puis j’ose frapper à la porte en m’étant fait ouvrir par une voisine. Elle aussi ne les a pas vus depuis un mois.

Elle m’ouvre la porte habillée avec un gros manteau et un bonnet en laine (type les bronzés font du ski ).

Il fait un froid glacial, elle me regarde en souriant et me dit un bonjour comme si je l’avais quittée la veille.

« ça va Youssef?

– Il est dans sa chambre.

Je rentre dans sa chambre et là, je vois le pauvre Youssef au fond du lit, gris, maigre comme un squelette. Il a des assiettes, des compotes, une compresse sur le front. Il est agonisant incapable de me répondre.

Depuis tout ce temps Myriam s’occupe de lui, le soigne, lui fait la toilette. Moi qui pensais qu’elle ne ressentait jamais rien enfermée dans son carcan autistique, elle s’est transformée en aide soignante, en infirmière en … fille dévouée pour son beau-père. Je ne sais comment elle a fait pour lui acheter les courses alimentaires, les médicaments. Elle est comme un animal auprès de son enfant malade. Je la croyais incapable d’avoir la moindre action sensée  et, par amour, elle trouve la force, l’intelligence nécessaire pour sauver celui à qui elle doit tout.

J’ai fait hospitaliser Youssef en urgence et j’ai négocié (avec grande difficulté) que Myriam soit hospitalisée en même temps.

Il a fait un ulcère de l’estomac et une énorme anémie. Le miracle humain s’est accompagné d’un sauvetage médical : six poches de sang, un anti- ulcère ont remis sur pied notre bon Youssef. Ils sont repartis main dans la main et, moi, une sucette cadeau pour mon fils dans ma poche.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

17 Oct

Toi mon amour, toi mon enfer

vieux_drmaisonIls se détestent depuis 45 ans !

Ils sont mariés depuis 46 ans !

Quand ils viennent au cabinet, c’est toujours le même scénario : rendez-vous 16h, arrivée 15h30. Passage devant la secrétaire, monsieur soulève son chapeau en guise de bonjour, il précède sa femme de façon inélégante sans lui retenir la porte. Il fait couler son café de la machine. Elle arrive, péniblement en soufflant, et parlant seule à voix basse : « ça lui écorcherait sûrement la main de me tenir la porte à ce gros bonhomme ! ».

Il boit son café, discute de façon agréable avec les autres patients sans se soucier de sa femme. Il se retourne devant la secrétaire pour demander si j’ai du retard et prend un de ces journaux qui sont dans ma salle d’attente depuis si longtemps (un Match des années 90 ou un VSD annonçant la mort de François Mitterrand.) Cela a le don de le mettre en en colère « on va lui prêter des sous à ce toubib, il pourrait renouveler son stock ! »).

Comme une tortue, elle arrive juste pour s’asseoir mais jamais à coté de lui ! Elle ne dit rien aux autres,  continue à marmonner : « Quel malotru ! Mon mari ne m’a jamais aidée, moi qui suis handicapée par mes douleurs et mon embonpoint ». Parvenu (comme elle le souhaitait) à ses oreilles, il lui lance un regard mitraillette en lui infligeant à haute voix devant des patients surpris : « Toi, si tu n’es pas contente, tu n’as qu’à pas venir avec moi ! »

Il reprend alors son sourire VRP (son ancien travail) et discute avec les autres.

C’est à leur tour, je viens les chercher. Lui se lève le premier et passe devant elle en lui disant : « Je passe devant, j’ai besoin de lui parler ! ».

Ils ne passent jamais ensemble.

«  Alors, mon cher docteur, comment allez-vous ?

(Je n’ai absolument pas le temps de discuter de moi, alors j’embraye très vite.)

– Tout va bien, que me vaut l’honneur de votre visite ?

– Je vais la tuer ! Elle m’insupporte, elle ne fait que manger, râler et parler toute seule !

– Vous n’êtes pas venu pour me dire que cela ? Je sais que vos relations sont tendues mais quand même !

– C’est vrai, prenez-moi la tension, je dois exploser avec ce que je vis !

– 18/10, c’est trop !

– Je vous le dis, je vais me retrouver hémiplégique et il ne faudra pas que je compte sur elle pour pousser le fauteuil.

Je lui donne un médicament hypotenseur et lui prescris un bilan.

« Surtout, ne lui dites pas, elle serait trop heureuse ! »

Un peu comme les vieilles dames des bandes dessinées, elle arrive en boitant, couverte d’un manteau et d’une écharpe augmentant un thorax très développé (au moins un 100 G) s’opposant à des jambes très fines et des petits pieds serrés dans des chaussures à talon.

« Alors, qu’est ce qui ne va pas chère madame ?

– Lui !

– Pourquoi lui, c’est quand même pour vous que vous êtes venue ?

– Oh moi, surtout ne me soignez pas ! Je préfère mourir que de rester avec cet ignoble personnage. Il me parle mal, il boit, il me trompe.

– Il vous trompe ? (un peu surpris de voir ce monsieur de 81 ans faire des écarts dans sa vie conjugale).

– Il remonte soi-disant le moral de l’épouse de son ami d’enfance décédé récemment.»

J’ai un petit sourire car je connais très bien cette dame respectable âgée de 86 ans et je n’imagine pas un seul instant une « liaison fatale » entre les deux protagonistes… enfin on ne sait jamais !

Je lui renouvelle ses médicaments en écoutant les différentes plaintes : il ne s’occupe jamais du chat, il met le son de la télévision trop fort car il est sourd et refuse de se faire appareiller, il ronfle, il l’énerve quand il fait sa gym au milieu du salon, il ne regarde pas un match le samedi mais il en regarde sept !

« Je le hais, docteur ! »

J’essaie de compatir et lui demande pourquoi ils n’ont pas fait une séparation avant, sachant que lui aussi se plaint.

« Où voulez-vous que j’aille ? Il m’a toujours empêchée de travailler, il fallait que j’élève les enfants et que je m’occupe de lui !

Je le vois parfois tout seul sans sa femme.

Il aime venir se plaindre lui aussi.

« Elle me gâche ma fin de vie, j’ai travaillé comme un fou pour lui donner un confort de vie, elle passe son temps chez le coiffeur pour son brushing, elle a une femme de ménage 10h par semaine et je n’ai pas le droit de regarder un match à la télé ! Docteur, je la hais !

Les mêmes mots, les mêmes gestes. Pourtant toujours ensemble depuis si longtemps. Pourquoi n’ont-ils pas divorcé avant ? Seraient-ils plus heureux séparés au lieu de se battre psychologiquement jour après jour. En les voyant, je pense toujours au couple Signoret-Gabin. Même leur chat complète le tableau !

Un dimanche, il est 15h et elle m’appelle chez moi.

« Allo docteur, venez vite, je crois qu’il est arrivé un drame chez nous, venez ! »

Je n’ai pas eu le temps de poser quelques questions, qu’elle a raccroché.

J’arrive dans cet immeuble bourgeois, l’odeur du poulet dominical est présente dans toute la maison. Elle m’attend inquiète.

« Docteur, on s’est disputé pour une bêtise ce matin, il est monté dans le grenier vers 10h et quand je l’ai appelé pour manger, il ne m’a pas répondu. Comme il faisait sa mauvaise tête, je n’ai pas insisté. Mais là, je suis inquiète, car ne pas venir manger son poulet c’est impossible ! »

Voir cette vieille dame, qui, il y a quelques jours, me disait qu’elle le haïssait dans cet état de stress me touche et me surprend.

Je monte très vite (enfin, avec un genou en métal, on monte comme on peut !) et je frappe à la porte du grenier.

Il ne me répond pas, la porte est fermée. Comme à la télé, je recule et d’un coup de pied magistral j’éclate la porte (j’ai l’impression d’être Starsky ou Hutch).

Je l’aperçois couché dans un vieux lit, une couverture le recouvre. J’ai peur du pire, je le secoue, je lui crie dessus : monsieur ! monsieur !

(se levant brutalement) « Qu’y a-t-il, qu’y a-t-il ? »

Son haleine me donne le diagnostic rapide : il est saoul ! Il remet ses prothèses auditives qui émettent un sifflement strident.

« Mais que faites-vous là ? »

Je me rends compte que pendant ce temps, sa femme pleure en silence dans le coin de la pièce. Elle s’approche de lui, lui prend la main et lui murmure tout bas : « tu m’as fait peur vieux maboule, je croyais que tu étais mort. »

Il lui prend la main, lui fait un petit bisou sur le front :  « Elle m’enquiquine souvent mais c’est quand même ma petite femme chérie ! »

Le plus heureux de cette scène c’est le gros vatapa, ce beau chat qui semble se réjouir de voir ses maîtres en parfaite harmonie. Il ronronne de bonheur, le vieux fauteuil en cuir lacéré par tant de coup de griffes en témoigne.

Des années passent, le couple vieillit, oubliant les rancœurs du passé, ils arrivent à se respecter.

Il m’appelle un matin, inquiet, car sa femme ne va pas bien du tout. Ce n’est qu’une vilaine bronchite, mais de voir son empressement à m’appeler, à aller chercher les médicaments à la pharmacie, je me rends compte de l’immense affection et tendresse qu’il lui porte. J’ai dans la tête la chanson de Brel :

 « Les vieux ne meurent pas, ils s´endorment un jour et dorment trop longtemps

Ils se tiennent la main, ils ont peur de se perdre et se perdent pourtant

Et l’autre reste là, le meilleur ou le pire, le doux ou le sévère

Cela n´importe pas, celui des deux qui reste se retrouve en enfer

Vous le verrez peut-être, vous la verrez parfois en pluie et en chagrin

Traverser le présent en s´excusant déjà de n´être pas plus loin

Et fuir devant vous une dernière fois la pendule d´argent

Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, qui leur dit : je t´attends

Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non et puis qui nous attend. »

 

15 Oct

Plus fort que tout !

love_drmaison

J’ai commencé ce blog sans savoir. Aujourd’hui je sais !

Mon rituel du matin, tôt dans la fin de la nuit j’écris mes histoires. Je vois que cela vous touche, vous donne un rire, un sourire, une larme. Moi je suis souvent ému en me rappelant ces drames, ces beaux moments de vie, ces situations bizarres qui font mon quotidien depuis trente ans. Alors j’écris, j’écris, j’aime faire plaisir, j’aime donner.

La période hivernale est malheureusement propice aux maladies et donc mon travail augmente. J’ai peur de ne plus avoir la même spontanéité dans mes écrits.

Je ne veux surtout pas arrêter, je veux donner mais donner mieux. Je veux de la qualité à défaut de quantité. J’ai besoin de faire cela pour vous mais aussi pour moi. Ma vie de médecin est parfois très dure moralement, ce blog me permet de mieux la supporter. Je ne sais comment vous exprimer mon bonheur quand je vois vos commentaires, vos avis, vos réactions. Alors oui je continue mais en vous distillant mes histoires je vais essayer de vous faire autant de bien que vous vous me faites.

J’adore cette phrase de René Char : »Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder, ils s’habitueront »

Tout est dit dans cette maxime !

En fait, non, il en manque  une partie : la lune est belle.

 

Antoine, votre doc

 

14 Oct

Clavardage

 

machine à écrire_drmaison

 

À vous qui me lisez en ce lieu virtuel

Où j’ouvre insouciant mon coeur à vos sourires,

Sachez que pour livrer à vos yeux mes délires,

Je me dois, de l’amour, cesser le rituel.

 

Voyez dans mes écrits combien l’âge me pèse

Combien l’art du clavier s’empare de mon temps,

Et, même si ma fleur sait le poids de mes ans,

Le Dimanche, pour vous, c’est elle que je lèse.

 

Reparlons de ma fleur, mon petit écureuil,

Séduite comme vous par mes péripéties,

Mais, au jour du désir, toutes les facéties

Que je portais si bien; plus le moindre clin d’œil!

 

Parlons de mes amis, dont cet apothicaire

Hermétique à l’humour comme sont ces gens là,

Mais tellement sensible! Il m’écrit que « Voila,

Rien n’est mieux qu’un bon blog pour apprendre à se taire »!

 

Je ne me tairai pas! j’aime tant vos avis!

J’aime par dessus tout humaniser ma cause,

Mais, si de mes écrits je réduisais la dose,

Vous, ma fleur, mes amis, tous en seriez ravis…

 

11 Oct

Gueule de bois

whisky_drmaisonPetit, trapu, une boule de muscles! Jean-Pierre c’est Ben Johnson, un ancien athlète qui courait le cent mètres en 10 secondes 32. Il me le dit dès sa première visite: « Jean-Pierre, 10s 32, bonjour ! »

Sa femme travaille pour l’Education Nationale. Passionnée par son métier, elle est professeur des collèges. Leur fille c’est l’enfant unique, bonne élève comme la mère, surdouée en sport comme le papa aurait voulu être !

Jean-Pierre aurait rêvé d’être un sportif de haut niveau :championnats du monde, jeux olympiques etc…Malheureusement il n’a été que champion du Lot et Garonne.

« C’est mon manque de gabarit et j’ai refusé de me doper, moi ! »

Il entraîne sa fille pour qu’elle fasse la carrière qu’il n’a pas faite. Il est tyrannique, surveille son poids et programme un à deux entraînements par jour.

Estelle aime son sport même si, comme elle le reconnaît, son papa est très dur. Elle franchit différents niveaux, de régional elle accède au national. Elle termine souvent à des places d’honneur que son père appelle déshonneur.

Jean-Pierre est un excessif en tout, il s’énerve souvent, crie après sa femme, sa fille, son patron. Il est directeur régional d’une grande boîte de distribution.

Il est tellement insupportable que mère et fille s’associent souvent contre lui. Estelle grandit, les petits copains arrivent et les entraînements s’éloignent.

Jean-Pierre est fatigué et contrarié de voir baisser les performances de sa protégée. La boisson est une triste mais réelle compensation. Il rentre le soir et boit plusieurs verres de whisky.

Un jour, violent, il s’est mis en colère contre sa fille et l’a giflée. La maman a voulu le calmer et il l’a bousculée.

Ne pouvant accepter cela, dès le soir même, elle et sa fille sont parties chez des amies. Elle est venue me consulter le lendemain.

« Nous avons tout pour être heureux, il gagne très bien sa vie (7000 euros par mois) nous sommes propriétaires de la maison, sa fille est belle comme un cœur, elle a certes arrêté le sport mais passe en deuxième année de kiné alors pourquoi, pourquoi docteur ? »

Il est difficile d’expliquer dans ce cas là l’intolérable, la violence, l’alcool, le lâcher prise.

Elle a demandé le divorce et a pris un appartement !

Jean-Pierre a très mal vécu cette séparation. J’ai réussi à lui faire arrêter l’alcool mais il a sombré dans une dépression sévère.

« Docteur, que faire, je suis mal à Bordeaux, on me propose un poste à Tours ? »

Difficile de répondre, un redémarrage dans la vie, une reconstruction, pourquoi pas? Il est parti ! Estelle est à Paris et ils se voient souvent le week-end. Il rencontre une jeune femme au travail… très vite, trop vite ! Ils vivent ensemble dans sa maison. Elle a un fils de 15 ans, il s’entend bien avec lui. Il lui propose d’en faire un champion d’athlétisme et, comme dans le livre « Lolita » … »il retomba toujours au même endroit » ! Même implication, même excès, même tyrannie !

Peu de temps après, imprégné d’alcool, il a, sur un coup de colère, démissionné de son travail, persuadé qu’il va en retrouver un autre au plus vite.

Pas de chômage, perte de ses droits sécurité sociale … le néant !

Trois ans ont passé et aucun travail ! Il est alcoolique violent. Elle ne le supporte plus. Elle lui demande partir. Il est dans sa maison. S’il part, il est dans la rue.

Un soir à 19 h, on frappe à ma porte. Je viens de finir mes consultations. Rentre un homme que je ne reconnais pas (mon pauvre Antoine, Alzheimer te guette !)

« Oh doc’, tu ne me reconnais pas ?

– Euh, non !

– Jean pierre, 10sec32 !

– Bien sûr ! Jean-Pierre ! » (il faut dire qu’il est bouffi, les cheveux longs, habillé en jeans, lui qui était toujours en costume cravate )

Il rentre et se met à fondre en larmes.

« Je n’ai plus rien, plus de logement, plus de travail, plus de femme, ni famille. Je ne sais pas où dormir ce soir. J’ai fraudé dans le train pour venir à Bordeaux, je n’ai plus de téléphone. Je vais dormir dans la rue.

Je croyais que cela n’existait qu’ à la télé. Là, devant moi, j’ai la misère humaine ! Du cadre commercial, marié avec une fille, il est devenu un de ces pauvres du XXI°  siècle que l’on croise le soir dans les rues.

J’ai eu de la chance dans mes démarches pour lui. J’ai sollicité mes amis, mes relations. Je me suis investi à fond et, sans en tirer aucune gloire, je peux dire que  j’ai réussi à aider Jean-Pierre.

Petit à petit, il a trouvé un logement, un petit travail, une sociabilité. Il a reconstruit ce qu’il avait démoli. Il revoit sa fille, il est grand père.

Je remercie toute cette chaîne d’union qui a permis cette renaissance. La résilience, ça existe !!