22 Août

La saison des transferts

Le transfert, haut symbole de psychanalyse, est bien connu. Je le vis au quotidien mais parfois on s’y attend pas, ça arrive.

2 mai ! Je me souviens, c’est le jour de l’anniversaire de mon père et on m’attend pour repas festif.

19h ! Le téléphone sonne et je réponds toujours tel Zorro, je pense que c’est une histoire de vie et de mort ! La voix paniquée de cette institutrice de 40 ans divorcée, à peine audible : « Venez vite, docteur, venez vite ».

Je saute dans ma voiture et fonce pour peut-être sauver une vie, éviter un suicide, masser un coeur arrêté, injecter un corticoide pour une crise d’asthme …

Je monte 4 à 4 les trois étages de cette petite résidence modeste où l’odeur de piperade excite mes papilles avant mon repas familial.

Elle m’attend cheveux hirsutes devant la porte.

 » Ah, vous voilà, docteur ! » Elle claque la porte sans contrôler ses gestes, elle titube, elle  parle seule: elle est bourrée !!!!

 » Vous êtes pas prêt de repartir car je vous aimmmmmmme… hic, docteurrrrrrr. »  Elle prend les clefs de la porte et  les jette par le balcon!

Je vous fais le point: 20h enfermé dans un appartement au 3ième étage avec une instit bourrée en manque d’affection et le gâteau de mon père commence à fondre sous les 78 bougies allumées ! Je reprends mon rôle de médecin:  » Madame Faure, vous avez abusé d’un peu trop d’alcool, calmez-vous et donnez-moi vos clefs ! Je vais vous faire une piqûre.  »

 » Si c’est pour moi voir mon cul, pas besoin de piqûre (elle commence à se déshabiller, titube et tombe par terre renversant une table jonchée de cadavres de bouteilles vides. Je suis perdu, je suis fou de rage, je ne sais pas quoi faire. Notre maitresse d’école est toujours à poil marmonnant des mots grossiers, sexuels et répétant sans cesse son amour pour moi.

C’est grâce à un mouvement d’humeur terrible dont je suis capable que le double des clefs finissent par tomber d’un vieux sac. Le lendemain, Madame Faure m’a donné un petit coup de fil et a présenté ses excuses. Je n’ai plus jamais revu cette pauvre instit’ en mal d’amour.

Un petit miracle

 

bébé

Mes journées se remplissent. Si je ne fais pas de visite, je vais faire mes courses et change tous les jours de boulanger, de boucher, et à chaque fois, je discute, je raconte mon installation, ma disponibilité 24/24 je donne mon numéro de télèphone personnel, mon adresse, tout, je donne tout! J’aime trop mon travail, j’aime les gens, j’aime aider, soigner, j’aime parler, j’aime démarrer fort. Je Je prends des gardes à tous les autres médecins bien contents de laisser les week-ends aux petits jeunes.

J’ai accepté la garde du 1er janvier ! Le premier appel à 7h ! Jusque-là rien de spécial, une gastro chez une jeune femme, elle a mal au ventre. Lendemain du réveillon, j’imagine bien le tableau …

C’est la voisine qui m’ouvre la porte de ce minuscule appartement du centre-ville. Il fait froid et le décor ambiant me rappelle mes années étudiantes. Christine est dans son lit et s’excuse du bazar ambiant. Je ne regarde rien sur les conseils de mon vieux pote Hippocrate, par contre je remarque les traits tirés de la patiente : elle souffre ! Elle m’explique que son mari militaire est en mission a Djibouti et que, comme je le suppose, ce n’est pas le réveillon festif qui provoque ce mal au ventre et ses vomissements mais une belle diarrhée. Soulevant les draps, elle est très gênée, elle m’explique honteuse qu’elle vient d’ avoir une petite fuite. Poussé par foi de sauveur, je lui explique que cela n’est pas grave mais je suis surpris par l’allure de la petite fuite. Elle est sanguinolente et la palpation du ventre est difficile car Christine présente une surcharge pondérale. J’examine et je dois faire un examen gynéco (ce n’est pas ma grande spécialité, je l’avoue) mais là, ma surprise fut totale : des cheveux, oui des cheveux sous mes doigts : Christine est en train d’accoucher!

C’est dingue, c’est fou ! Je lui demande si elle savait qu’elle est enceinte et elle ne le sait pas du tout, c’est un choc énorme. La tête est engagée ! Elle pleure, elle rit, pense à son mari qui est parti il y a trois mois et qui va revenir dimanche. Il a quitté sa femme seule et va se retrouver papa ! J’appelle le Samu de suite mais le médecin régulateur m’annonce qu’il ne peut pas envoyer une antenne avant 45 mn! Aucune ambulance libre ! Soit je l’accouche là dans ce petit studio, soit je l’emporte dans ma petite Ford Ka.

Il faut agir vite. J’amène la voisine et Christine et direction la maternité. Je préviens l’obstétricien de garde et je fonce …. J’ai bêtement la main sur le bas ventre comme si je retenais la tête du bébé. A l’arrivée un brancard nous attend et l’expulsion se passe juste à l ‘entrée du bloc. Je suis là, je souris, je pleure, je tremble. Christine me regarde, elle est anéantie, heureuse, paniquée, et me demande:

 » Comment vous vous appelez docteur ?

– Mareilhac, docteur Mareilhac.

– Non, votre prénom ?

– Antoine !

– Alors, il s’appellera Antoine !! Je vous demande juste d’être là dimanche quand mon mari reviendra ».

La suite est belle : le militaire arrive au studio ce dimanche de janvier. Il fait beau, le soleil illumine le séjour bien rangé, un petit couffin bleu pale est posé sur la table et, quand la porte s’ouvre, Christine, Antoine dans ses bras, se précipite dans ceux du soldat en lui chuchotant en pleurant « c’est ton fils mon Chéri ! Joyeux Noel ! »

Je vous promets que ce jour-là j’ai vécu le moment le plus émouvant de ma vie.

Mordu par l’Urssaf !

Les premiers mois de ma nouvelle vie sont essentiellement faits de longues attentes seul au cabinet où quelques patients se suivent, un par un, tout au long de la journée.

Il m’ arrive, parfois, en début d’après-midi, de faire même une petite sieste sur ma table d’examen!

Une après-midi, je suis réveillé par une vielle dame qui vient de se faire mordre par son petit chien. Je me lève précipitamment avec la marque du drap d’ examen inscrit sur mon front et je fonce  mettre ma blouse blanche afin de retrouver un peu de crédibilité médicale. La plaie sur la lèvre est importante et la pauvre mamie n’a qu un seul mot à sa bouche (ensanglantée) « Urssaf », « Urssaf » ! Je ne comprends rien, je me réveille d’une sieste ….médicale, du sang partout et une vieille dame qui hurle « Urssaf ». je dois rêver..

Pour moi, « Urssaf » c’est un mot tabou car tous mes vieux confrères m’ont toujours dit : « Méfie toi de l ‘urssaf, méfie toi de l’urssaf… », j’ai peur !

Alors, j’ose poser la question: « Pourquoi vous criez « Urssaf », Madame ? » « Ben, docteur c’est le nom de mon petit chien, mon pauvre mari l’a appelé comme ça pour ne pas oublier de payer ses cotisations ! »

Médecin de campagne à la ville

24 décembre, 19H

Je suis épuisé, je rentre chez moi afin de me préparer pour le réveillon de Noël familial. A peine franchi le pas de  la porte sonne le  téléphone de la maison. Je suis au travail depuis 6 heures du matin et j’avoue que je n’ai aucune envie de repartir. Aie !! j’ ai oublié de brancher mon répondeur.

Alors .. adaptation immédiate : je décroche et j’ imite mon propre répondeur : « Bonjour vous êtes en communication avec le répondeur du Docteur  Mareilhac, je ne suis pas là pour l’instant mais veuillez me laisser un message après l’obtention du bip sonore »  Biiiiip. La voix de ma vieille patiente Marcelline suffit pour me rassurer sur la non gravité de l’appel (elle m’ appelle souvent le soir car ça la rassure).

 » Bonsoir, Docteur Antoine , je voudrais savoir si vous pouvez passer dans 8 jours pour mon renouvellement et j’en profite pour vous souhaiter un très bon Noël. »

Sûrement attendri par cette voix chevrotante de Marcelline, je lâche un MERCI, ayant oublié en fait que je n’étais qu’un simple répondeur !

Le lundi suivant, Marcelline s’émerveille des progrès de la technologie, et moi, je suis un peu confus de ma supercherie.