05 Sep

Ilvy Njiokiktjien : la décoloration du pays arc-en-ciel

En Afrique du Sud, la séparation entre les jeunes de la "génération libre", qui n'ont pourtant pas connu l'apartheid, existe toujours. (Crédit photo : Ilvy Njiokiktjien)

Une paire de bottes piétine le drapeau arc-en-ciel de l’Afrique du Sud. Puis une autre. Et une autre encore. Dans un camp d’entraînement low-cost dirigé par l’auto-proclamé colonel Franz Jooste, une poignée d’adolescents blancs sud-africains montrent ainsi « tout leur dégoût » pour ce symbole. Le rejet d’une nation sud-africaine unie et la nostalgie de l’apartheid chez certains Afrikaners sont les thèmes d’un webdocumentaire et de l’exposition de la photographe néerlandaise Ilvy Njiokiktjien, au couvent des Minimes.

Des méthodes d’endoctrinement inspirées par les régimes fascistes

« En 2010, un des plus gros leaders de l’extrême droite, Eugène Terre’Blanche, a été assassiné, et c’est là que j’ai commencé mon travail sur les Afrikaners », explique-t-elle. « Durant les funérailles, il y avait un homme vêtu d’un ancien uniforme de l’apartheid ». Cet homme, c’est Franz Jooste, le président du groupe d’extrême-droite Kommandokorps. Dans son camp de la campagne sud-africaine, où il dit avoir entraîné plus de 1 500 jeunes en dix ans, il accueille les adolescents, envoyés par leurs parents, et leur inculque pendant neuf jours la haine de « l’ennemi noir ».

La journée, les jeunes garçons multiplient les activités physiques, rampant dans la boue ou simulant des assauts armés de bouts de bois. Le soir, épuisés, ils écoutent le discours de haine du « colonel », son rejet des Noirs et de la nation arc-en-ciel.

« Quand je suis allée la première fois dans le camp, je n’avais aucun équipement pour prendre du son ou de la vidéo. Rien. Je n’avais que mon appareil photo. Il y avait tellement de propos racistes que je me suis dit qu’il fallait que je les enregistre car personne n’allait me croire ». Ilvy Njiokiktjien décide donc d’y retourner en compagnie de la journaliste Elles van Gelder afin de produire un webdocumentaire et de suivre les adolescents à leur retour chez eux.

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Un documentaire qui relance le débat sur l’avenir de la nation arc-en-ciel

« Si vous regardez une photo, vous ne pouvez pas vraiment dire que le racisme empire. La seule chose que vous pouvez voir, c’est qu’après le camp, les jeunes sont plus effrayés. Ils veulent protéger leurs maisons, leurs domaines. Quelque chose a changé mais pour que ce soit plus clair, il fallait utiliser d’autres médias ». À sa publication, ce reportage a fait beaucoup de bruit, illustrant le sentiment que de plus en plus d’Afrikaners, dont les jeunes qui n’ont pas connu l’apartheid, regrettent cette période officiellement terminée en 1994.

« La commission sud-africaine des Droits de l’homme a fait des recherches à-propos du colonel, qui a reçu des menaces de mort venant d’Afrique du Sud et même de l’étranger. Ça a créé un débat sur le racisme et sur le fait de savoir si la nation arc-en-ciel fonctionnait vraiment ». Alors que la majorité des cinquante millions d’habitants de l’Afrique du Sud sont noirs, les trois millions d’Afrikaners s’isolent de plus en plus face à une insécurité qui ne baisse pas.

Un des exercices les plus difficiles pratiquéˆs dans le camp. L'entraînement éˆpuise les jeunes garçons et le soir, le colonel les endoctrine par des discours de haine sur "l'ennemi noir". (Crédit photo : Ilvy Njiokiktjien)

« Ce que je veux faire, c’est parler de l’insécurité parce que de plus en plus de Blancs ont désormais peur. En Afrique du Sud, il y a une très forte criminalité. Pour les Blancs mais aussi pour les Noirs. C’est très intéressant parce que ça n’augmente pas, mais c’est toujours là. Toutes les maisons sont entourées d’immenses grillages. Je voudrais en faire le thème de mon prochain travail ».

Romain Dimo et Dimitri Kucharczyk

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