Afghanistan : Mohammed (45 ans) et ses deux femmes, Majabin (13 ans) et Zalayha (29 ans). Majabin a été donnée à un paysan de la région pour régler une dette de jeu après une partie de cartes. « Je ne cautionne pas ça », s’emporte Marie, 70 ans, venue de Marseille et mère d’une fille. « Je ne conçois pas que l’on puisse vendre son enfant… ».
Stephanie Sinclair expose au Couvent des Minimes « Ces petites filles que l’on marie ». Un photoreportage à la fois « bouleversant et révoltant », selon le jeune Florian (23 ans), venu de Marseille. Ce travail de huit ans vaut à la photojournaliste américaine d’être nominée pour le Visa d’or.
Tout commence en Afghanistan. Stephanie Sinclair apprend qu’à Herat, une dizaine de jeunes filles ont voulu s’immoler par le feu. Après avoir écouté les récits de ces jeunes femmes, elle y décèle un dénominateur commun : toutes ont été mariées à un âge précoce et toujours à des hommes beaucoup plus âgés. Bouleversée par les confidences d’une mariée de 11 ans, Sinclair se fait alors la promesse de ne pas s’arrêter à l’Afghanistan et étend son reportage à d’autres pays.
La photo d’Agere (32 ans) allaitant ses jumeaux à Bahir Dar, en Ethiopie, est magnifique. Comme souvent, la violence est dans la légende : Agere s’est mariée à 12 ans. Son mari lui a transmis le virus du sida et les jumeaux sont séropositifs. Elle se retrouve abandonnée et n’a pas assez d’argent pour acheter du lait non infecté.
On passe ensuite aux clichés pris en Inde du Nord. Florian fait partie des nombreux visiteurs touchés par Sarita (15 ans). En larmes, elle s’apprête à partir vers son nouveau foyer : « C’est révoltant, les parents qui vendent leurs enfants », se désole-t-il. « C’est primitif, ça ne devrait plus exister », appuie son amie, Elodie.
Les clichés du Yémen ne sont pas plus doux : Nujoud Ali, deux ans après son divorce, prononcé lorsqu’elle avait 8 ans. Son mari avait vingt ans de plus qu’elle. L’histoire de Nujoud a fait l’effet d’une bombe dans le pays et a forcé le Parlement à examiner un projet de loi fixant un âge minimum pour le mariage. Dans le même pays, aux environs de Hajjah, Fatima pose avec son mari et ses quatre enfants : elle a été mariée à 8 ans, a commencé à avoir des enfants dès la puberté, et a fait deux fausses couches. « Ce qui m’est arrivé est horrible, dit-elle. On devrait au moins attendre que les filles aient leurs premières règles ».
Mariée enfant, souvent voilée adulte, « la femme est un objet », estime Christian (72 ans), époux de Marie. Sa photo préférée a été prise en Afghanistan : Malalai Kakar, policière, arrête un homme qui a poignardé sa femme de 15 ans parce qu’elle lui avait désobéi. Lorsqu’on lui demande ce qu’il va arriver au mari, Kakar répond : « Rien. Les hommes sont rois ici ». Quelque temps plus tard, Kakar a été tuée par les talibans.
Dans le message d’accueil de la salle d’exposition, Stephanie Sinclair confie avoir eu l’envie de prendre avec elle les victimes, mais les situations étaient bien trop compliquées pour cela. « On ne peut pas sauver le monde non plus », estime Elodie.
Stephanie Sinclair souhaite désormais susciter chez le public une prise de conscience du problème. Que les gens comprennent à quel point il est urgent et nécessaire de travailler avec ces communautés. Autrement, cent millions de petites filles (vingt-cinq mille par jour) seront mariées avant leurs dix-huit ans.
La sensibilisation est réussie. Le visiteur sort de l’exposition sonné et révolté. Un moment dans les cordes (« ça nous dépasse »), Christian apprécie et conseille cette claque nécessaire : « C’est un excellent reportage, qu’il faut vraiment voir ».
Mathieu Conte
Star du photojournalisme, Stephanie Sinclair était injoignable cette semaine.
Elle présentera une conférence vendredi 7 septembre, à midi, au Palais des Congrès.