20 Juin

Les nitrates, l’Europe et la Loue : la politique de l’autruche.

Le nitrate : trois atomes d'oxygène et un atome d'azote

L’Europe vient de nouveau de condamner la France pour son « manquement dans la mise en oeuvre de la directive nitrates ». La Cour de justice de l’Union européenne reproche au gouvernement français son recensement incomplet en 2007 des zones vulnérables. Des zones où le taux de nitrates dans l’eau ( rivières et eaux souterraines) est supérieur à 50mg/l et dans ces cas là, des mesures agricoles doivent être mises en place pour diminuer ces taux.

Si la France tarde à améliorer cette situation, elle risque de payer des sanctions financières qui pourraient s’élever à plusieurs dizaines de milliers d’euros. Le gouvernement reconnaît le manquement tout en précisant que la procédure de révision est en marche puisqu’une nouvelle carte des zones vulnérables vient d’être établies.

Les zones vulnérables de la directive Nitrates en 2012

Que constate-t-on pour la Franche-Comté ? Huit cantons autour de Gray sont classés en zones vulnérables. Des mesures ont déjà été prises et elles vont être redéfinies prochainement avec la mise en place du  5 eme programme nitrates en 2014. Il s’agit de cibler avec précision l’apport en nitrates pour chaque culture. Le GREN , groupe régional d’expertise « nitrates » de Franche-Comté est chargé de ce travail.
Le bassin graylois était déjà classé en zone vulnérables en 2007. Il n’y a donc pas eu d’amélioration notable ces dernières années. Elle serait pourtant nécessaire. Dans son bilan 2009-2011 sur la qualité de l’eau potable en Franche-Comté, l’Agence régionale de Santé constate que les endroits où l’eau a des teneurs en nitrates les plus élevés, sont justement dans le bassin graylois. Certes, il n’ y a pas de dépassement de la limite autorisée  pour les nitrates ( 50 mg/l) mais des plans d’actions doivent tenter de restaurer la qualité de l’eau car même si les nitrates sont bons pour notre alimentation  (il y a en dans les légumes), l’excès d’absorption est mauvais pour les nourrissons, les femmes enceintes. Certaines études émettent la possibilité de lien entre absorption excessive de nitrates et cancers gastriques.

Et pour les poissons de la Loue, quel est le problème ?

Déjà, les taux de nitrates dans les eaux de la Loue sont en général inférieurs à 10mg/l. C’est ce qu’on a appelé « le paradoxe de la Loue ». Les poissons meurent alors que la rivière est déclarée en bon état selon les normes de la Directive européenne sur l’eau. Mais il y a-t-il réellement  un paradoxe de la Loue ? Tout dépend du type de mesures réalisées…

D’après les études du syndicat mixte de la Loue , il apparaît que les concentrations de nitrates dans la Loue sont en augmentation. « La station de suivi à Chenecey-Builllon (des données sont collectées depuis le début des années 70) permet de mettre en évidence cette augmentation progressive de la concentration de nitrates dans l’eau de rivière » précise le syndicat. Au début des années 70, la concentration de nitrates dans la Loue à Chenecey-Buillon était de l’ordre de 2 mg/l, actuellement cela tourne autour de 7 mg/l.
Mais, pour être complet, il faut s’interroger, une nouvelle fois, sur la pertinence des référentiels choisis par l’Europe.

« Il est nécessaire de préciser que si l’on reprend le référentiel en usage avant celui relevant de la DCE, soit le SEQ-Eau, la Loue serait classée aujourd’hui en qualité « médiocre » pour le paramètre nitrate. Cela vaut également pour d’autres paramètres utilisés pour évaluer la qualité des cours d’eau. A ce sujet, il s’avère que des paramètres d’évaluation ne sont plus pris en compte avec la DCE  (dont certains seraient aujourd’hui déclassant pour de nombreux cours d’eau, dont la Loue). » Denis Monmarché,  Syndicat mixte de la Loue.

tableau comparatif des référentiels de mesure des taux de nitrates (NO3) dans l'eau

Il n’y aurait donc pas de paradoxe de la Loue puisque si d’autres référentiels étaient utilisés, la mortalité des poissons se produirait dans une rivière en mauvais état écologique !
Autre élément à prendre en compte pour ne pas se laisser leurrer. « En cas de fortes pluies, m’explique Alain Cuinet, directeur de « Eaux continentales », bureau d’études spécialisé en hydrobiologie, les concentrations en nitrates peuvent monter jusqu’à 25mg/l à Chenecey ». L’hydrobiologiste me précise également que tout n’est pas pris en compte dans les mesures « officielles ». Certaines formes d’azote ( le nitrate est la forme finale de l’azote dans l’eau) consomment plus d’oxygène que les nitrates mesurés et par conséquent les poissons respirent moins bien …

« Les autres formes de l’azote dans l’eau sont fortement pénalisantes (nitrites, ammonium, azote organique) car fortement consommatrices de l’oxygène dissous de la rivière. L’azote Kjeldahl (qui intègre l’azote organique) , n’entre pas dans le référentiel de la DCE même s’il est analysé dans le cadre des réseaux officiels. Il ne peut donc pas être déclassant pour la qualité des cours d’eau. Or les apports en  azote organique sont loin d’être négligeables pour la Loue et  tendent à s’accumuler dans le fond de galet-graviers  du cours d’eau. L’impact de cette accumulation pourrait s’observer sur la qualité de la  faune invertébrée, la réussite du frai des poissons, les développements d’algues, toutes choses observées par ailleurs » Alain Cuinet, Eaux-continentales.

Mais tout aussi intéressant ! Ces mesures sont réalisées sur des concentrations et non des flux. L’hydrogéologue Pascal Reilé a réalisé au début des années 2000 une étude des flux d’azote et de phosphore) à partir des affluents de la Loue.

Les flux de pollution en Azote et phosphore à partir des affluents de la Loue en 2001. Cabinet Reilé

D’après ces spécialistes, raisonner en flux est beaucoup plus pertinent que d’examiner seulement les concentrations. C’est comme si pour observer la circulation sur une route, on ne comptait les voitures qu’à un instant donné alors qu’il vaut mieux regarder le nombre de voitures qui passent pendant une heure ou une journée.
Et là, les flux montrent une toute autre réalité. En particulier à la source de la Loue :  les quantités d’azote minéral  sont supérieures à 50 kilos par jour !  Au début des années 2000. Aujourd’hui, on ne sait pas ! Cette étude n’a pas été commandée… Et pourtant pour mesurer précisément les effets des épandages et des rejets des stations d’assainissement, elle serait particulièrement utile.

Le collectif SOS Loue et rivières comtoises a récemment mis en évidence le lien entre les activités humaines et la qualité de l’eau de la Loue. Selon eux, il y aurait par an « 2000 tonnes d’azote en excès minimum !  »

« Une des détériorations majeures de nos rivières est l’eutrophisation. Il s’agit d’un développement anormal d’algues et de cyanophycées du à l’excès d’azote et de phosphore dans le milieu aquatique. L’état français s’est d’ailleurs engagé à viser la diminution de 40% de ces nutriments dans les bassins victimes des algues vertes.
Pour que nos rivières ne vivent pas un « scénario breton », il convient de déterminer les sources et les quantités d’azote et de phosphore qui polluent nos rivières. C’était d’ailleurs la première recommandation des experts mandatés suite aux mortalités de 2010. » Collectif SOS Loue et rivières comtoises.

Les Bretons sont montrés à juste titre du doigt par l’Europe  mais, si l’on prenait en compte d’autres référentiels, la Loue le serait aussi.Cela ressemble fort à la politique de l’autruche !

Isabelle Brunnarius
isabelle.brunnarius@francetv.fr