15 Mar

L’Origine du monde sur Facebook : la justice botte en touche

©PHOTOPQR/L’ALSACE ; La Fondation Beyeler organisait l’exposition consacrée à Gustave Courbet à Riehen en 2014.

Après des années de batailles de procédures, le Tribunal de Grande Instance de Paris vient de rendre son jugement dans le litige qui opposait Facebook à Frédéric Durand, un internaute résidant en Loire-Atlantique. La justice a débouté le professeur des écoles qui reprochait à Facebook d’avoir fermé son compte ouvert sous le pseudonyme Fred La Face De Fredb « sans préavis ni justificatif » le 27 février 2011, pour avoir publié une photo de l’Origine du Monde de Gustave Courbet. En fait, le juge estime qu’il n’y a « pas de préjudice pour l’internaute et que sa demande de réactivation est sans objet » puisqu’il a pu ouvrir de nouveau un compte sur le réseau social.

La coupure serait intervenue quelques heures après la publication sur son mur du célèbre tableau de Courbet, une photo qui renvoyait à un lien permettant de visionner un reportage sur l’histoire de cette oeuvre, aujourd’hui exposée au musée d’Orsay.
A la lecture des pièces produites aux débats, il n’est pas démontré avec la rigueur qui s’impose, que la désactivation du compte Fred La Face De Fredb serait due à l’affichage sur le mur d’une photo du tableau de Gustave Courbet L’Origine du monde,
écrit le tribunal dans son jugement.
Lors de l’audience début février, les avocates avaient souligné que le plaignant avait utilisé un pseudonyme pour ouvrir son compte, « ce qui est prohibé par Facebook ». Elles n’avaient toutefois pas affirmé que le compte avait été fermé pour cette raison et n’avaient pas expliqué non plus pourquoi le second compte, ouvert avec un pseudonyme, n’avait pas été fermé.
Le tribunal reconnaît « une faute » de Facebook, qui a exercé « son droit de résiliation sans opposer à Frédéric Durand un délai de préavis raisonnable et sans préciser les raisons de cette désactivation ». Mais le plaignant ayant ouvert un nouveau compte le jour même de cette désactivation et n’ayant pas démontré la perte de son réseau social, le tribunal juge qu’il n’y a pas eu de préjudice.  Le tribunal, qui « déboute Frédéric Durand de l’ensemble de ses demandes », n’a pas donné suite non plus à la demande de réactivation du compte Fred La Face de Fredb.

Cette décision est « décevante » selon Maître Stéphane Cottineau, l’avocat de l’internaute mais le débat continue car, avec son client, ils vont faire appel. Décevante, car le débat sur la place du nu artistique sur Facebook a été, pour l’instant, esquivée. Comme Facebook n’a jamais affirmé que c’était la publication de L’Origine du Monde qui était la raison de la déconnexion, le juge ne s’est pas située sur le terrain artistique estimant qu’il n’y avait pas assez de preuve entre la publication de l’Origine du monde et la déconnexion. Et pourtant, les exemples ne manquent pas.

On va continuer à se battre car il y a des principes importants à défendre qui n’ont pas été jusqu’ici respectés, à commencer par la liberté d’expression. On ne peut pas traiter les grands artistes comme des pornographes surtout concernant ce tableau qui est un hymne à la femme,
a-t-il déclaré à l’AFP.
Stéphane Cottineau : « Facebook doit respecter la liberté d’expression à la française »
J’avais des textes sur mon compte que je voulais récupérer mais Facebook n’a pas voulu réactiver le compte alors que c’était le minimum. A partir du moment où ils m’ont censuré, ils ne m’ont jamais répondu,
a critiqué Frédéric Durand.

La bataille juridique va se poursuivre, cette fois-ci sur l’application de la loi française. Pendant cinq ans, le géant du net a bataillé, de recours en recours, pour tenter d’échapper à la justice française, avec comme principal argument le fait qu’étant domiciliée en Californie, la société ne pouvait être jugée qu’aux Etats-Unis. En février 2016, la cour d’appel de Paris a mis fin à cette bataille procédurale, en confirmant la compétence de la justice française pour juger le réseau social.

La cour avait confirmé l’ordonnance du tribunal de grande instance de Paris du 5 mars 2015 qui avait jugé « abusive » la clause exclusive de compétence, obligatoirement signée par tous les utilisateurs de Facebook. Cette clause désigne un tribunal de l’État de Californie comme étant le seul habilité à trancher les litiges. Aujourd’hui, la justice a encore estimé que ce pouvoir de déconnexion était une « clause abusive ».

Cette décision du 15 mars devait être particulièrement importante pour l’histoire de l’art car, rappelle Thierry Savatier, le spécialiste du tableau le plus célèbre de Gustave Courbet, « il est important qu’un tribunal français puisse dire si oui ou non une oeuvre d’art peut-être pornographique ». Hier, Facebook a réagi à cette décision du TGI de Paris :

Nous avons pris connaissance de la décision rendue aujourd’hui et tenons à rappeler que l’Origine du Monde est un tableau qui a parfaitement sa place sur Facebook

précise dans un communiqué Delphine Reyre, directrice des affaires publiques Facebook France et Europe. Il aura fallu sept années de batailles juridiques pour que le géant du net admette qu’une oeuvre d’art a toute sa place sur son réseau social. Mais rien ne dit que d’autres oeuvres d’artistes ne seront pas un jour censurées. Fin février, on apprenait qu’une représentation de la « Vénus de Willendorf », figurine vieille de près de 30.000 ans considérée comme un chef d’oeuvre de l’art paléolithique, avait été censurée par Facebook. 

Isabelle Brunnarius

Avec AFP