Objectif tenu ! La conférence-débat « Quand nos paysages disparaissent.. Murs, murgets, affleurements rocheux » n’a pas donné lieu à un combat de coqs. Pas de colère, pas d’invectives mais un débat riche et une avancée pour cette problématique qui préoccupe au delà du cercle des écologistes engagés. Deux cent cinquante personnes ont assisté, ce vendredi 10 novembre à Orchamps-Vennes, aux présentations des universitaires et spécialistes de l’environnement et au débat qui a suivi.
Les cinq associations organisatrices voulaient informer, décrire les enjeux et esquisser des perspectives à propos de l’évolution des paysages du Massif Jurassien. Des agriculteurs modifient leurs parcelles à l’aide d’un casse-cailloux pour les rendre plus accessibles en tracteur et pour gagner du terrain, nécessaire à l’autonomie fourragère des exploitations. Cette pratique inquiète les défenseurs de l’environnement. En juin 2017, vingt-et-un universitaires du laboratoire de Chrono-environnement ont tiré la sonnette d’alarme en demandant dans une lettre ouverte au prefet de région de mettre un terme à cet usage. Ces parcelles peuvent être typiques des paysages karstiques du massif jurassien et il s’agit de les préserver selon ces universitaires.
Les scientifiques du laboratoire Chrono Environnement de l’université de Franche-Comté, Vincent Bichet, géologue, et Eric Lucot, pédologue, ont justement participé à cette réunion. Ils ont rappelé l’origine et la particularité de ces paysages karstiques. Il n’y a pas eu de présentation d’une étude détaillée de la nature des sols avant et après le passage du casse-cailloux. Eric Lucot a précisé que cette technique du broyage des roches calcaires pouvait induire des « risques de transferts importants » tout en rappelant que c’était déjà le cas sans broyage.
Ce paysage fait d’affleurements rocheux, de pelouses sèches et de murets est un patrimoine, une richesse touristique. Est-il en danger ? Pour l’instant, il est impossible de savoir si cette pratique est généralisée ou anecdotique.. Aucune étude précise n’a été réalisée pour avoir une vision au delà du ressenti des uns et des autres. Tout le monde en convient. Autre certitude, l’importance de la préservation de la biodiversité. Venu de Côte d’or, Stéphane Woynaroski, conseiller régional PS en charge de la biodiversité a affirmé que
la biodiversité n’a jamais autant été menacée. Ce n’est pas un truc de bobo. Il est urgent de s’investir, ce n’est pas simple en ces temps de restrictions budgétaires.
Pas d’annonce concrète ce soir-là mais une promesse de faire « bouger les choses ». Grand absent de cette soirée, l’Etat. Invitée la préfète de la Région de Bourgogne Franche-Comté n’a envoyé aucun représentant. (ci dessous, en annexe, les lettres de la préfète et de la présidente du conseil régional BFC en réponse aux courriers du printemps dernier des environnementalistes).
Actuellement, les sols ne sont pas protégés comme peut l’être l’eau. C’est la préservation des habitats des animaux protégés qui permet d’interdire la destruction d’un milieu naturel. Ce type de prairies du massif jurassien offre une grande variété faunistique et floristique grâce à la diversité de leur sol (on appelle cela des mosaïques). François Dehondt, écologue et directeur du Conservatoire botanique de Franche-Comté, a rappelé l’importance de cette biodiversité. Le passage du casse-cailloux supprime cet effet mosaïque et menace la biodiversité.
En Franche-Comté, comme partout ailleurs dans le monde, des espèces disparaissent. Un exemple, le papillon Apollon, est en voie d’extinction en Franche-Comté parce qu’il n’a plus accès à son habitat. Il ne faut pas se fier aux apparences, nous explique François Dehondt, il y a toujours autant d’oiseaux dans le ciel mais le nombre d’espèces représentées diminue au profit des plus communes comme la corneille.
Ces prairies riches en biodiversité ont des rendements moins importants pour les agriculteurs mais elles leur procurent une souplesse d’exploitation : les espèces étant plus variées, les périodes de fauche sont plus étalées dans le temps et moins soumises aux aléas climatiques.
En Suisse, l’utilisation du casse-cailloux a été interdit sur les « surfaces de promotion de la biodiversité ». En France, la loi de la biodiversité, le code de l’environnement pourraient être des outils pour protéger ce paysage typique. La maire du Bizot, Maryse Mainier, a précisé lors de ce débat, que sa commune devait prochainement proposer des baux ruraux à clauses environnementales à ses locataires, des agriculteurs qui lui louent des terres. Ces surfaces, les « Communaux » sont souvent dans des zones près des bois.
Les agriculteurs utilisent le casse-cailloux pour récupérer du terrain gagné par la forêt et c’est aussi dans ces espaces que les affleurements rocheux sont nombreux. Claude Vermot-Desroches, le président du CIGC, Comité Interprofessionnel de Gestion du Comté, a pris la parole pour rappeler qu’en 2014, la zone AOP Comté avait perdu 800 hectares sur une superficie totale de 230 000 hectares. La surface agricole diminue au profit des zones d’habitation ou d’activités industrielles et commerciales. Et comme la productivité est limitée depuis une des Conférences Loue et rivières comtoises, les producteurs ont estimé leur perte annuelle à environ « 240 tonnes potentielles de Comté, pour une valeur monétaire de l’ordre de 1,8 million d’euros ». Dans son dernier éditorial, Claude Vermot-Desroches conclut de la même façon que lors de cette soirée :
Bien sûr, beaucoup d’amélioration des pratiques agricoles doivent encore s’opérer afin de parfaire le respect de cette nature que les agriculteurs aiment plus que tout. Nous devons relever le défi de l’environnement et de la biodiversité. Ne nous attendez pas au carrefour de la polémique médiatique, mais bien là où nous vivons et travaillons chaque jour : sur nos paysages jurassiens.
L’intervention de l’agronome Matthieu Cassez a été particulièrement éclairante. Cet usage des prairies, c’est bel et bien un enjeu de société. L’agronome a rappelé l’évolution de la profession agricole. Depuis les années 2000, la productivité de ce secteur a progressé mais pas forcement les revenus. Pourquoi la profession s’est-elle engagée dans une course à l’hectare ? En 2000, un bâtiment agricole coûtait 3000 euros par vache, aujourd’hui son coût a plus que triplé en raison de l’augmentation du prix des matériaux. Matthieu Cassez interroge la salle :
Peut-on encore supporter ce modèle de croissance alors que le milieu naturel ne peut plus supporter cela ?
Les réponses sont à chercher du côté des instances professionnelles du Comté et de la commission européenne. Ce soir-là à Orchamps-Vennes, un pas vers un dialogue constructif a été franchi. Christophe Chambon, agriculteur responsable des dossiers fonciers à la chambre d’agriculture, a reconnu qu’il y avait des « aberrations » et annonce clairement son intention de « travailler ensemble ».
Ce que je demande, c’est le dialogue mais ne mettez pas tout le monde dans le même sac !
Les paysages sont à tous. Le paysagiste Jérémy Roussel a rappelé que « c’est un bien commun immatériel, chacun est propriétaire de cette image, qu’il soit acteur ou spectateur ».
Le paysage touche au coeur
conclut Muriel Loriod-Bardi, la présidente du conservatoire d’Espaces naturels de Franche-Comté qui appelle à « réfléchir ensemble plutôt qu’à s’opposer ».Pour Claude Vermot-Desroches, « la qualité d’une réunion, c’est quand on repart avec plus de questions et pas seulement nos certitudes ». Effectivement, « Ce débat, c’est une pierre qui en appelle d’autres » disait en préambule de cette soirée Guy Pourchet, l’un des membres de Murs et Murgets. Ce thème a été retenu par la prochaine conférence-débat organisée par le plateau débat public de FNE Bourgogne Franche-Comté.
Isabelle Brunnarius
isabelle.brunnarius(a)francetv.fr
ORGANISATEURS DE LA CONFERENCE : Murs et Murgers, Conservatoire d’espace naturels Franche-Comté, France Nature Environnement, Les Gazouillis du Plateau et l’association de protection du Val du Drugeon.