11 Déc

« Le Retour de la conférence », ce tableau si scandaleux de Courbet…

Le Retour de la Conférence de Gustave Courbet.

Le Retour de la Conférence de Gustave Courbet.

« Ce tableau fait rire tout le pays et moi-même en particulier. C’est le tableau plus grotesque qu’on aura jamais vu en peinture. Je n’ose pas vous le dépeindre, seulement c’est un tableau de curés » ecrivait Gustave Courbet à Léon Isabey en 1862. A cette époque, Courbet  réside dans le sud-ouest de la France près de Saintes.  Un pays considéré à l’époque comme la plus anticléricale de France rappelle Carine Joly,conservateur-adjoint de l’ Institut Gustave Courbet. Comme à son habitude, Courbet voit grand et cherche à ce que l’on parle de lui. Ce « tableau de curés » va effectivement scandaliser les contemporains du peintre d’Ornans. A tel point, qu’il serait possible que son dernier propriétaire l’ait acquis pour le détruire. Mais les toutes récentes recherches réalisées par l’Institut Courbet et le musée Courbet montrent que cela reste une hypothèse. Aujourd’hui, le tableau a bel et bien disparu et il continue d’interroger : Au nom de la  liberté artistique, de la liberté d’expression, jusqu’où peut aller le peintre lorsqu’il s’en prend à la religion  ?  La question est résolument actuelle. 

De nos jours, le visiteur du musée Courbet d’Ornans ne verra même pas l’outrage mais à l’époque, Courbet savait qu’il allait loin et assumait sa provocation. Une seconde nature pour Gustave :

« J’avais voulu savoir le degré de liberté que nous accorde notre temps. écrit Courbet en 1863 à Albert de la Fizelière. J’avais envoyé un tableau de curés, bien senti : le Retour d’une Conférence. Ça correspondait pas mal avec l’insulte que l’empereur m’a faite l’an passé, d’autre part avec ce qui se passe vis-à-vis des cléricaux.
Le tableau a porté juste, est allé droit à son auteur. Il a été dépendu et rependu trois ou quatre fois. En parlant à Walewski on pourrait peut-être l’accrocher une cinquième fois. J’avais fait ce tableau pour qu’il soit refusé. J’ai réussi. C’est comme cela qu’il me rapportera de l’argent. Pourtant considérant l’effroi qu’il produit, il serait comique de forcer la main à l’administration ».

Qu’est ce qui était si choquant ? Des curés en chemin complètement ivres. Comme l’écrit dans le catalogue de l’exposition, publié par les éditions du Sekoya, l’historien d’art Thierry Savatier,  le tableau de Courbet s’inscrit dans l’histoire de l’art. « Courbet suit ici une une tradition d’oeuvres anticléricales d’esthétique grotesque où l’on retrouve Lucas Cranach (Sauritt des Papstes, 1545,montrant un pape, juché sur une truie, bénissant un excrément fumant qu’il tient à la main) ou Franscico Goya dont plusieurs gravures  de la série Los Caprichos (1799) sont des charges contre le clergé, l’une d’elles montrant d’ailleurs des moines ivres dans une cave ».

Pamphlet illustré par Courbet édité à l'occasion de l'exposition de Gand en 1868

Pamphlet illustré par Courbet édité à l’occasion de l’exposition de Gand en 1868

Courbet puise également son inspiration dans sa propre expérience. Celle de marcheur sur les chemins des environs d’Ornans et de Scey-Maisières, lieu de résidence de la famille Ordinaire, très proche du peintre. Le Retour de la conférence s’inscrit dans la « série du grand chemin » repéré par l’historienne de l’art Ségolène Le Men. Autre expérience, celle d’un petit-fils d’anticlérical. Le grand père Oudot avait eu une forte influence sur le petit Gustave. C’est un des enseignements du colloque transferts de Courbet de 2011. Pascal Reilé nous rappelle que le jeune Gustave avait refusé de faire sa communion. « L’événement est surprenant pour cette famille de pratiquants du plateau » note le spécialiste de Courbet. On apprenait aussi que Courbet avait situé la scène des curés ivres à un endroit précis de la vallée de la Loue. « Le site exacte où Courbet situe son Retour de la conférence est celui de Notre Dame du Chêne » et non Bonnevaux comme le proposait un des premiers biographes du peintre. Au loin, on aperçoit la falaise de Narpent. L’exposition raconte l’histoire de ce lieu de pèlerinage dont la première pierre a été posée en 1863, année où Courbet peint justement Le retour de la Conférence. « On mesure que l’anticléricalisme patent de Gustave Courbet est d’autant plus féroce pour les pratiquants locaux que sa critique s’en prend directement aux croyances de la vallée » conclut l’Ornanais.

Détail du Retour de la conférence de Pierre-Ambroise Richbourg. 1863

Détail du Retour de la conférence de Pierre-Ambroise Richbourg. 1863

Une scène de vie locale à la portée universelle. Le tableau voyagea jusqu’à New York et Gand avant de disparaître. Aujourd’hui, le musée Courbet et l’Institut Courbet propose une exposition totalement inédite et originale avec plus 60 oeuvres ou documents. Certains sont présentés pour la première fois comme des panneaux de bois peint retrouvés dans la maison de la famille ordinaire. Courbet , en vrai chef d’orchestre de la « stratégie du scandale », avait demandé à des photographes de fixer son oeuvre subversive. Et c’est grâce à un petit cliché qu’un photographe a pu tirer pour le musée une épreuve aux dimensions réelles du tableau. Le Retour de la conférence prend à lui tout seul un mur entier de l’exposition ! Une vraie découverte pour ceux qui ne connaissaient cette oeuvre qu’à travers leurs lectures. Courbet avait, une fois de plus, vu grand !

Isabelle Brunnarius
isabelle.brunnarius@francetv.fr

Cette exposition dossier est visible au musée Courbet d’Ornans jusqu’au 18 avril 2016. De nombreuses animations sont prévues. Voici le reportage d’ Aline Bilinski, Jean-Luc Gantner, Jacky Paulin et Manu Blanc. Avec Elise Boudon, chargé d’études au musée Gustave Courbet et Carine Joly, conservateur-adjoint de l’ Institut Gustave Courbet


« Le retour de la conférence » au musée Courbet