01 Fév

L’origine du monde de Courbet au coeur d’un procès contre Facebook

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Les médias ne se sont pas trompés. De nombreux confrères sont venus assister à l’audience de la 4e chambre civile du tribunal de grande instance de Paris. Après des années de batailles procédurières, la société Facebook était assignée en justice par un internaute ce jeudi 1er février. Cet enseignant reproche au réseau social d’avoir censuré son compte personnel  « sans préavis ni justificatif » le 27 février 2011, jour où il avait publié une photo du célèbre tableau de Gustave Courbet, « L’origine du monde ». Le délibéré sera rendu le 15 mars.

Cette décision de justice est « extrêmement importante » d’après le spécialiste de l’oeuvre Thierry Savatier, car « nous n’avons aucune jurisprudence sur l’oeuvre d’art et la pornographie ». Facebook confond-il oeuvre d’art et pornographie? Le géant américain du net a du répondre ce jeudi d’accusations de censure devant la justice française pour avoir fermé le compte de ce particulier. Le plaignant demande la réouverture de son compte Facebook et 20 000 euros de dommages et intérêts. Aujourd’hui, les avocats de Facebook ont d’après M°Cottineau, « éludé le débat » que tout le monde attendait. Cette fermeture de compte aurait eu lieu uniquement en raison de l’usage d’un pseudo. « C’est Tartuffe » s’insurge l’avocat de l’enseignant. D’autant plus que depuis une jurisprudence de 2014, il est autorisé d’utiliser un pseudo sur les réseaux sociaux. Facebook demande de son côté, un euro de réparation pour procédure abusive.

La décision du 15 mars est particulièrement attendue car, rappelle Thierry Savatier, « il est important qu’un tribunal français puisse dire si oui ou non une oeuvre d’art peut-être pornographique ». Et depuis 2011, le géant américain a tout fait pour que cette question ne soit pas tranchée.

Voici l’interview de M°Cottineau par nos confrères de France 3 Pays de Loire :

Au tout début de cette histoire, il ya une intention pédagogique. Cette coupure est intervenue après la publication sur son mur du célèbre tableau de Courbet pour renvoyer à un lien permettant de visionner un reportage sur l’histoire de cette oeuvre. Ce tableau est un peu considéré comme la « Joconde » d’Orsay. L’enseignant avait publié cette image quelques jours après la même mésaventure survenue à un artiste danois, Frode Steinicke. Facebook avait alors expliqué que ses règles interdisaient entre autres la nudité, mais avait fini par réactiver le compte du Danois, sans le tableau litigieux.

Pendant cinq ans, le géant du net a bataillé, de recours en recours, pour tenter d’échapper à la justice française, avec comme principal argument le fait qu’étant domiciliée en Californie, la société ne pouvait être jugée qu’aux Etats-Unis.
En février 2016, la cour d’appel de Paris a mis fin à cette bataille procédurale, en confirmant la compétence de la justice française pour juger le réseau social.

La cour a confirmé l’ordonnance du tribunal de grande instance de Paris du 5 mars 2015 qui avait jugé « abusive » la clause exclusive de compétence, obligatoirement signée par tous les utilisateurs de Facebook. Cette clause désigne un tribunal de l’État de Californie comme étant le seul habilité à trancher les litiges.

L’avocat de l’internaute, Stéphane Cottineau, s’était alors félicité d’un arrêt qui promettait de faire jurisprudence et

d’obliger Facebook et toutes les autres sociétés du e-commerce étrangères qui disposent de ce type de clause à modifier leur contrat.

Me Cottineau se réjouit désormais que la justice puisse « enfin se pencher sur le fond du dossier ». Car le tableau de Gustave Courbet, explique l’avocat, est « une oeuvre majeure » qui « fait partie du patrimoine culturel français ».

Tout en notant que le règlement de Facebook interdit les publications « contenant de la nudité », il souligne qu’avec ce tableau, « il s’agit à l’évidence d’une représentation magnifiée, sublimée, par le talent de l’artiste ».
Peint en 1866, « L’Origine du monde » a d’abord été la propriété d’un diplomate turc installé à Paris puis change plusieurs fois de mains. Son dernier propriétaire privé fut le psychanalyste français Jacques Lacan.

« Courbet n’a cessé de revisiter le nu féminin, parfois dans une veine franchement libertine. Mais avec L’Origine du monde, il s’autorise une audace et une franchise qui donnent au tableau son pouvoir de fascination »

relève la note explicative qui accompagne le tableau sur le site du musée d’Orsay à Paris, où il est aujourd’hui exposé.
Et c’est « grâce à la grande virtuosité de Courbet, au raffinement d’une gamme colorée ambrée », selon le musée, que « L’Origine du monde échappe cependant au statut d’image pornographique ». Aux Etats-Unis, souligne Thierry Savatier, l’arrêt Miller de 1973 exclut de l »obscénité tout ce qui a une valeur historique, scientifique ou artistique ». En France, l’article 227-24 du code pénal permet de poursuivre les artistes pour pornographie. Dans ce contexte, la décision du Tribunal de Grande Instance de Paris fera date.

Isabelle Brunnarius avec AFP
isabelle.brunnarius(a)francetv.fr