17 Déc

Les coulisses du tournage du documentaire «Mais qui êtes-vous Monsieur Courbet ?»

Image : Laurent  Brocard

Image : Laurent Brocard

S’embarquer dans le tournage et le montage d’un documentaire, c’est avant tout une envie irrésistible de raconter une histoire. Contrairement aux reportages d’actualité, tourner un documentaire, c’est forcément une affaire personnelle. Il n’ y a plus l’obligation de respecter l’équilibre des points de vue comme pour les diffusions dans les JT mais plutôt la recherche d’un regard personnel.

Une envie partie d’un livre

Tout a commencé chez moi, tranquillement installée dans la lecture des actes du colloque «Transferts de Courbet» publiés en mai 2013 aux Presses du réel. Je me revois encore entrain de savourer ces textes totalement inédits pour moi et déjà me dire que je tenais là les prémices d’un documentaire : la découverte d’une personnalité attachante et mystérieuse. Gustave Courbet est un magnifique «personnage» et sa peinture est complexe. Comment concrétiser cette envie en réalité ? Le chemin allait être long, je le savais, mais l’aventure était trop tentante.

Marcher sur «Les Sentiers de Courbet»

Autant vous le confier tout de suite, l’oeuvre de Gustave Courbet m’a laissée perplexe pendant des années, je trouvais certains de ses tableaux mal peints et même laids ! Au musée des Beaux-Arts de Besançon, je me souviens encore avoir marmonner en mon for intérieur en passant devant L’Hallali du cerf «Bon, ça c’est Courbet je passe…» Je ne comprenais absolument pas l’intérêt porté pour ce peintre franc-comtois  jusqu’aux jours où j’ai commencé à arpenter la vallée de la Loue à la recherche de reportages pour le blog de la vallée de la Loue et des rivières comtoises. Le premier à m’initier à la peinture du maitre d’Ornans a été Pascal Reilé, l’auteur des «Sentiers de Courbet» mis au point pour le musée Courbet et le conseil général du Doubs. Avec mon confrère Laurent Brocard, il nous a emmené, en juin 2012, au ravin du Puits noir, à la roche du Mont et à la grotte Sarrazine.

La Brême

A partir de ce jour-là, Courbet m’a intéressé. Qui était cet homme à la fois si proche de son territoire et si universel ? Les premières réponses me furent données lors de ma lecture des actes du colloque «Transferts de Courbet». J’avais l’intuition que je parviendrais,peut-être, à mieux comprendre la peinture de celui que l’on présente un peu trop rapidement comme le chef de file des Réalistes, si je découvrais les ressorts de sa personnalité.

Comment transformer cette envie en réalité ? Comment persuader de la pertinence d’un projet ? Comment mettre en images ces idées ? Réaliser un documentaire, c’est tout cela à la fois.

Une course contre la montre

En septembre dernier, l’annonce de l’exposition estivale du musée Courbet avec en «vedette» L’origine du monde a été décisive. Les projets des deux expositions en Suisse ont fait pencher la balance en ma faveur. Ces trois événements ont donné un contexte d’actualité qui a intéressé Sophie Guillin, la directrice de France 3 Franche-Comté. Le film prenait corps… Comme pour tout projet de documentaire, il faut ensuite trouver le soutien d’un producteur. La société strasbourgeoise Seppia m’a fait confiance. A partir de là, commence une course contre la montre : préparer, tourner, monter 52 minutes en un temps record, l’idéal étant de diffuser le documentaire avant la fin des expositions helvétiques.

La documentation autour de Courbet

La documentation autour de Courbet

Préparer un documentaire est un moment délicieux. C’est un peu comme reprendre des études. Je lis, j’intègre peu à peu les moments clés d’une vie et d’une oeuvre. La rencontre des spécialistes du maitre d’Ornans m’enthousiasme. Et déjà, une évidence se dessine : S’intéresser à Courbet, c’est faire partie d’un cercle de passionnés. Pas de demi-mesure avec Gustave ! Première surprise, les spécialistes du peintre m’ouvrent leurs portes;  ils adhèrent au projet sans même me connaître. Une confiance qui m’étonne encore aujourd’hui.

La collection de Marie et Bernard Cola

La collection de Marie et Bernard Cola

 

Deuxième étape : le tournage. Quatre semaines intensives pendant lesquelles nous sommes obnubilés par la météo. L’été indien est heureusement au rendez-vous. Laurent Brocard tourne des images sublimes avec la complicité du comédien Pascal Vaubourgeix.

Tournage au château de Chillon en Suisse

Tournage au château de Chillon en Suisse

Nous avons même la possibilité de faire appel à notre confrère Marc Perrey pour filmer la vallée de la Loue avec un drone. Seule difficulté, la prise de son. Faites-vous même l’expérience lors d’une prochaine promenade dans la vallée : fermez les yeux et écoutez… Vous entendrez des avions passer, des motos vrombir dans les lacets…. Des sons qui n’ont rien à faire dans notre tournage !  Difficile d’évoquer les années suisses de Courbet au bord du Lac Léman inondé lui aussi de bruits parasites : voitures, jeux d’enfants, bateaux à moteur… Mon collègue Thomas Hardy a dû être patient et rusé pour les éviter.

Thomas Hardy, preneur de son

Thomas Hardy, preneur de son

Une journée restera dans nos mémoires, celle du samedi 6 septembre. Marcher dans les pas du peintre a été pour moi décisif.  D’où mon idée de demander à Pascal Reilé d’emmener de nouveau Dominique de Font-Réaulx, Ségolène Le Men et Yves Sarfati dans la vallée de la Loue. Une expérience déjà menée en 2007 lors d’un colloque organisé à l’occasion de l’exposition Gustave Courbet du Grand Palais à Paris. Mais cette fois-ci, l’hydrogéologue leur a fait découvrir un endroit où ils n’auraient jamais imaginé mettre les pieds…. Une étape de plus vers l’appréhension du monde de Courbet et un dépassement de soi nourri par une passion partagée. Il a fallu crapahuter au fin fond d’une grotte pour découvrir un signe probable de l’attachement de Courbet à son pays.

Du sur mesure

A peine le tournage achevé, me voici installée à France 3 Lyon pendant au moins six semaines. Je retrouve François Tourtet, monteur spécialisé dans les fictions et les documentaires. Le montage est crucial, c’est une alchimie, un délicat équilibre.  C’est le moment où l’histoire prend forme. Même si j’ai une idée précise du résultat que je recherche, il y a toujours des surprises, des pépites.  Nous avons plus de vingt heures de rushs et nous allons en garder 52 minutes; pas une de plus, c’est le temps imposé pour ce type de documentaires. Les interviews forment le squelette, ensuite nous l’habillons le plus élégamment possible avec une touche indispensable : la musique. Du sur mesure ! Fabienne Boucard a composé différentes musiques en fonction de mes indications : Courbet fougueux, Courbet mélancolique, Courbet dans sa vallée… Tout cela sans jamais perdre de vue notre impératif : être compris par le téléspectateur. A mi-parcours, un visionnage avec les responsables du projet est justement organisé pour déjouer toute incompréhension. Cela se révèle utile, nous changeons le début. Au final, il y aura eu au moins trois versions différentes du film et de multiples variantes. Le principe est de changer des petits détails à chaque visionnage jusqu’à ce que plus rien nous dérange. Puis vient le temps des finitions, l’étalonnage où le spécialiste reprend la colorimétrie de  chaque plan pour qu’une harmonie générale se dégage. Un travail tout en finesse pas toujours évident surtout lorsqu’il y a des peintures.

Philippe Fontaine, étalonneur

Philippe Fontaine, étalonneur

Et puis vient le moment du titrage... Notre hantise à tous : dénicher les coquilles, n’oublier personne au générique, dans les remerciements et … créditer les droits de plus de 90 oeuvres présentées dans le documentaire ! Dernière étape, le mixage. Les comédiens viennent sur place enregistrer leurs textes et, là aussi, nous cherchons le meilleur dosage entre sons d’ambiance, musique, paroles et silence. Avec le seul désir que vous restiez absorbés jusqu’à la dernière image.

Isabelle Brunnarius
isabelle.brunnarius@francetv.fr

A VOIR : 

«Gustave Courbet. exposition Fondation Beyeler à Riehen/Bâle ( 7.09.14/18.01.15)

«Gustave Courbet. Les années suisses» exposition au musée Rath de Genève (5.09.14/4.01.15)

Diffusion : samedi 13 décembre à 15h20 sur France 3 Franche-Comté

dimanche 21 décembre à 11h05 sur Radio Télévision Suisse RTS UN

Mardi 16 décembre à 8h45 sur les antennes de France 3 Nord Est (Franche-Comté, Bourgogne, Alsace, Champagne Ardenne, Picardie et Nord-Pas-de-Calais)

Jeudi 8 janvier à 8h45 sur France 3 Franche-Comté et France 3 Bourgogne

Sur  internet : http://france3-regions.francetvinfo.fr/franche-comte/emissions/documentaires-0

Les intervenants du documentaire «Mais qui êtes-vous Monsieur Courbet ? »

Pierre Chessex, historien; Laurence Madeline, conservateur en chef, musées d’Art et d’Histoire, Genève et commissaire de l’exposition « Courbet. Les années suisses »; Sylvie Nezelof, professeur de pédopsychiatrie, université de Franche-Comté; Paul Bizouard, professeur émérite de pédopsychiatrie, université de Franche-Comté; Yves Sarfati, professeur de psychiatrie, psychanalyste; Frédérique Thomas-Maurin, conservateur en chef du musée Gustave Courbet, Ornans; Ségolène Le Men, professeur d’histoire de l’art

Université Paris Ouest Nanterre; Laurence des Cars, conservateur général du patrimoine, directeur du musée de l’Orangerie, Paris; Dominique de Font Réaulx, directrice du musée Delacroix, Paris; Pascal Reilé, hydrogéologue, auteur de «Les Sentiers de Courbet» ; Arnaud Portier, psychiatre praticien hospitalier; Ulf Küster, conservateur Fondation Beyeler, Riehen/Bâle, commissaire de l’exposition «Gustave Courbet».