09 Déc

Un samedi surréaliste

Avec 5.500 personnes selon la préfecture, la manifestation du 8 décembre, à Toulouse, a battu des (tristes) records. «Gilet jaune», «Marche pour le climat», infirmiers, lycéens étaient présents pour faire entendre chacun leurs revendications. C’était sans compter sur la présence de plusieurs centaines de casseurs et pilleurs qui ont troublé les protestations pacifiques. Par rapport au samedi précédent, les dégâts sont excentrés mais beaucoup plus importants. 

Samedi 8 décembre 2018, en fin de cortège, le climat est insurrectionnel à Toulouse. Alors que tous les regards (médiatiques) sont tournés vers Paris, la Ville rose connait ce jour l’un des pires débordements en manifestations depuis des dizaines d’années. Prévue de longue date, la «Marche pour le climat» rassemble sur la place Arnaud-Bernard plusieurs milliers de personnes. Dans une ambiance bon enfant, on retrouve même des clowns mais aussi des lycéens contre la réforme du bac et le controversé système Parcoursup. À l’appel des organisations syndicales, on découvre également la présence des infirmiers du CHU de Toulouse. Et là, on aperçoit quelques drapeaux de partis politiques comme Lutte ouvrière et du NPA. Une journée de mobilisations qui tombe à pic pour les «Gilets jaunes» avec leur «acte IV». Contrairement à la semaine précédente, l’autorité préfectorale mobilise les gendarmes mobiles et CRS mais surtout le cortège de manifestants a un parcours excentré du coeur de la ville.

 

 

À hauteur de la cité administrative, dans le quartier Compans-Caffarelli, plusieurs dizaines de manifestants tentent de se frayer un chemin dans les rues annexes du boulevard Lascrosse mais la police barre la route. L’ambiance est nerveuse et dans un moment de confusion, les premières grenades lacrymogènes sont envoyées. Le cortège se scinde en deux parties, laissant la «Marche pour le climat» et ses pacifistes continuer son chemin quand d’autres souhaitent commencer à en découdre avec les forces de l’ordre. Plus tard, sur l’avenue Paul-Séjourné, plusieurs barricades en feu stoppent les gendarmes mobiles. Pendant de longues minutes, entrecoupées de plusieurs salves de grenades lacrymogènes, l’attente des pompiers semble interminable. Une fois arrivés, les soldats du feu sont applaudis par les manifestants. Sur le parcours des très nombreux casseurs, toutes les panneaux de publicités JCDecaux sont vandalisés et/ou agrémentés de tags plus ou moins poétiques. Soudain, un impressionnant mur de gaz lacrymogène chasse la fin du cortège et provoque un mouvement de foule. En plus des grenades assourdissantes, une «grenade explosive» intitulée «GLI-F4» parachève l’avancée des hommes couleur bleu nuit. Un homme est interpellé.

 

 

Sur le pont des Catalans les manifestants font faces, à bonne distance, aux militaires. Mais alors que les gendarmes mobiles progressent lentement, les casseurs érigent au même instant plusieurs barricades grâce aux fournitures de chantier d’un immeuble en rénovation, situé en face du musée des Abattoirs. Les casseurs mettent le feu à plusieurs endroits. La rue est infranchissable pour les passants. Les feux sont impressionnants et l’épaisse fumée noire est visible depuis la rive droite de la Garonne. Outre une tractopelle incendiée, tous les commerces aux alentours —sauf la friperie Emmaüs— sont vandalisés. Aux murs des habitations, on découvre des inscriptions telles que «la rage», «prochaine station: Destitution» ou encore «(Macron) rends l’ISF et casse-toi». Depuis l’échafaudage, des silhouettes noires se faufilent à travers la construction métallique. À tous les étages, les casseurs jettent des briquettes. Le sol est jonché d’objets en tous genres. Dans les airs, un hélicoptère de la gendarmerie nationale garde un oeil sur la situation. On se croit dans un film catastrophe digne des productions américaines. Après plus d’une heure trente d’attente, les militaires franchissent la barricade à l’aide de plusieurs tirs de grenades lacrymogène, assourdissantes et au moins une explosive. Après l’extinction des feux par les pompiers, on découvre une barricade hors norme haute de deux mètres et qui obstrue l’avenue. Dans une place adjacente, d’autres casseurs se saisissent de décorations de noël et allument un feu. Il y a des barricades enflammées pratiquement dans chaque rue.

Dans la situation confuse, un scooter avec un passager à l’arrière se faufile à travers les débris de la place Saint-Cyprien. Malgré son casque et un masque noir sur le visage, on reconnait le maire (LR) de Toulouse, Jean-Luc Moudenc et le conseiller municipal délégué Frédéric Brasilés. Sur l’avenue Étienne-Billières, toutes les banques sont vandalisées. Les agences immobilières, d’assurances et les cabinets notariés sont éventrées. Outre la casse, des pillages sont réalisés dans un salon de coiffure et des bureaux de tabacs. Les dégâts sont impressionnants et bien plus conséquents que le samedi précédent. Les forces de l’ordre chargent et repoussent de tous les côtés les casseurs ou fauteurs de troubles. Sur la place de la Patte-d’Oie, déjà le théâtre ces derniers jours d’affrontements, 4 jeunes de passage sont tétanisés par les grenades lacrymogènes et assourdissantes. Deux adolescentes sont littéralement terrorisées, en pleurs et incapables de prendre une décision rationnelle afin de quitter la zone des affrontements.

 

 

Les gendarmes et policiers refoulent les casseurs mais la situation est toujours compliquée. Sur les allées Maurice-Sarrault, une autre barricade est en feux. Au sol, on découvre le ballast, ces pierres qui composent la voie de chemin de fer. Plus loin, deux voitures sont retournées et dévorées par les flammes. Au bout de la rue, les voitures circulent toujours et encore une bonne centaine de casseurs sont présents. Les policiers en civils de la sécurité publique débarquent et tirent tous azimuts avec des grenades lacrymogènes. Certaines de ces grenades ricochent contre les poteaux et plusieurs tombent sur une terrasse d’étage d’un immeuble. La circulation n’est pas arrêtée, il y a des mouvements de foule et c’est un miracle qu’on ne déplore pas d’accident de la route. Et toujours dans les airs, le bruit du rotor de l’hélicoptère de la gendarmerie. Une journée insurrectionnelle qui est sans précédent à Toulouse où le « bilan définitif » est de 39 personnes interpellées dont 34 actuellement en garde-à-vue, explique le journaliste Philippe Gagnebet, correspondant pour « Le Monde », sur Twitter.