02 Nov

Toulouse: « Il pleut des grenades ou quoi ? »

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MAUVAIS SCENARIO – La manifestation à Toulouse pour la mémoire du militant écologiste Rémi Fraisse décédé le week-end dernier sur le chantier du barrage de Sivens a provoqué de violents affrontements pendant plus de 5 heures. Mobilier urbain dégradé, façades de banque vandalisées, tirs de grenades lacrymogènes, interpellations. Le scénario surréaliste mais néanmoins prévisible d’un samedi qui a dégénéré dans le cœur de la Ville rose.

Le rassemblement initial qui «n’a pas fait l’objet de déclaration préalable», précise la préfecture, débute sur les coups de 15h et dans le calme sur la place du Capitole.
Plusieurs centaines de personnes, munies de panneaux de manifestants, se laissent interviewer par au moins 12 médias différents. Ils dénoncent les violences policières, «la mort de Rémi» et réclament l’arrêt total du barrage de Sivens.

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Tous les commerces (cafés, brasseries entre autres) de la place ont fermé leur rideau et les dernières chaises viennent d’être mises à l’écart par les serveurs. Le souvenir, en avril dernier, des chaises et des cendriers en verre qui volaient dans les airs a sans doute précipité l’autorité préfectorale à «inciter» les commerces à fermer, comme le font savoir des utilisateurs de Twitter.

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Selfies avec les gendarmes mobiles

Vers 16h10, le rassemblement se transforme en partie en une manifestation qui veut défiler dans les rues de Toulouse. Alors que le cortège commence à s’éloigner de l’Hôtel de ville, il se heurte à un premier barrage d’un escadron de gendarmes mobiles. Là, les militaires reçoivent abondamment un liquide de couleur noire. En quelques secondes, tout se précipite. Les commerces des rues adjacentes de la place du Capitole ferment le rideau, quitte à créer la confusion des passants abasourdis qui veulent soit sortir ou se réfugier. Des pavés sont jetés, des œufs sont projetés vers les camions des militaires. Les cris sont incessants, « flics, porcs, assassins » peut-on entendre. Les badauds de tous âges médusés sortent leur smartphone pour figer l’instant, certains même réalisent des selfies avec les forces de l’ordre à cran.

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Là encore, un manifestant a presque réussi à franchir le cordon des forces de l’ordre grâce aux barrières de travaux qui obstruent une des façades du Capitole. A une provocation verbale incompréhensible, un gendarme répond à un coup de gazeuse de lacrymogène sur le visage du manifestant. La réaction ne tarde pas dans la foule, huées et sifflées sont dirigés vers les militaires.

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Le dispositif se déploie, les deux artères qui mènent vers le Capitole sont bouclées. La place la plus emblématique de Toulouse est cernée. Près de 300 policiers et gendarmes ont été déployés pour éviter le plus possible d’incident. Les fonctionnaires de police, chargés entre autres du comptage, recensent 600 manifestants. Après plusieurs minutes d’immobilisation et d’hésitations, les manifestants quittent la place par ses autres ruelles pour se diriger vers la place du Salin correspondant à l’une des parties du Palais de justice. Des barricades de fortunes sont érigées, l’endroit est saturé de gaz lacrymogène. Les passants qui fuient en courant les affrontements pleurent abondamment et suffoquent. Plusieurs rues sont taguées, d’épais nuages de lacrymogènes et des feux de poubelles se déclarent dans le quartier des Carmes. Les manifestants regagnent ensuite la place Esquirol où une autre barricade s’érige.

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Ce qu’il faut appeler -pour certains- dès à présent des casseurs s’en prennent aux abribus et à des façades de banque. Les interpellations se réalisent, donnant lieu parfois à des altercations, comme le constate un journaliste.

La rue commerçante Saint-Rome bien connue des toulousains est là aussi inondée de gaz. Depuis le début des affrontements, au moins 25 grenades lacrymogènes jetées à la main ou tirées depuis le lanceur «cougar» (voir photo ci-dessous), sans compter les grenades assourdissantes sont utilisées.

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Des passants tétanisés et en pleurs

Dans la confusion, les forces de l’ordre tirent au «cougar» des grenades en hauteur sans que celles-ci ne tombent à l’endroit espéré. Ainsi, sur la place de la Trinité où les terrasses étaient encore remplies, des clients ont du fuir l’espace imprégné de lacrymogène balayé par le vent. Les manifestants sont repoussés vers la rue Alsace-Lorraine, là, des banques sont attaquées et des interpellations sont procédés toujours sous une épaisse fumée blanche de lacrymogène. Au-dessus des têtes, un hélicoptère de la gendarmerie réalise des rondes depuis une heure dans Toulouse

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Place Wilson, le face à face entre manifestant et policiers de la Bac est tendu. A la station Jean Jaurès, intersection de deux lignes du métro toulousain, le transport en commun est fermé. Les passants courent dans tous les sens effrayés par les lourds projectiles des casseurs venus en découdre contre les policiers et les grenades assourdissantes puis lacrymogènes des forces de l’ordre.
La circulation n’ayant pas été arrêté, les fonctionnaires d’une CRS tirent au «cougar» à de nombreuses reprises des grenades qui tombent au milieu de la circulation du boulevard. Par chance, personne n’a pu être renversé par une voiture.
Si la tension est très tendue avec des bouteilles de verres et des morceaux de brique rouges qui volent, les forces de l’ordre répliquent aussi avec flash-ball. L’obscurité se faisant proche, quelques tirs sont maladroits et une balle percute par exemple un poteau pour rebondir sur la foule sans toutefois faire de blessé.

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Des grenades lacrymogènes tombent dans l’espace central du métro, des usagers sont bloqués dans l’ascenseur et suffoquent. D’autres grenades envoyées trop loin tombent au beau milieu des passants où aucun manifestant n’est présent. Des passants avec leur sac de shopping qui savent pas quelle direction prendre sont tétanisés et en pleurs . Les charges des policiers sont régulières et poussent finalement la dernière partie des manifestants vers la place du Capitole là où tout à commencé.

Y’a la Bac !

Le square Charles de Gaulle n’est pas épargné par les gaz lacrymogène. Des manifestants tombent lourdement au sol avec des interpellations à la clé. Certains sont en sang. Les grenades assourdissantes sont une nouvelle fois utilisées. Comme un scénario d’un film américain, le chaos rends les rues du cœur de la ville complètements désertes pour un samedi soir. Un jeune couple aux yeux rouges qui trouve refuge fait part de son incompréhension: « Il pleut des grenades ou quoi? »

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En face du Capitole, les derniers manifestants au nombre du quarantaine sont assis. Il y a des pacifistes et quelques jeunes en survêtements. L’ambiance est calme quand soudain après 30 minutes de répit, au moins 20 policiers casqués de la Bac longe la place. Dans la foule, on entend « Y’a la bac ! », de nombreux jeunes lancent des projectiles dans la direction des fonctionnaires. La réplique est instantanée, 3 grenades lacrymogène, charge immédiate des CRS qui fait très lourdement tomber une personne qui était dos au cordon.

Dans un nuage impressionnant de gaz, la place est désormais vide de citoyens à 20h30 passées. A 22h15, la préfecture fait état de 16 interpellations. Peut-être la manif la plus longue et la plus éprouvante que la Ville rose a pu connaitre depuis quelques années.

Kevin Figuier