Une polémique étonnante a enflammé la presse et les réseaux sociaux la semaine dernière : la ministre de la santé, Agnès Buzyn, aurait voulu bannir la cigarette des films français.
Dans un débat parlementaire, elle a déclaré : « Je veux qu’on ait une action ferme là-dessus. Je ne comprends pas l’importance de la cigarette dans le cinéma français. » Elle ajoute qu’il faut « dénormaliser » l’image du tabac dans la société.
Cette prise de position a tout de suite provoqué une grosse colère des défenseurs de la « liberté de création ». Pourtant, sur ce sujet grave, c’est bien la ministre qui fait preuve de créativité.
La polémique est apparue très rapidement. La position de la ministre est moquée, voir carrément caricaturée.
Agnès Buzyn est même obligée de préciser sur twitter : « Je n’ai jamais envisagé ni évoqué l’interdiction de la cigarette au cinéma ni dans aucune autre œuvre artistique. La liberté de création doit être garantie. »
Ce qu’a dit Agnès Buzyn est pourtant loin d’être insensé.
D’abord, un constat : le tabac arrive en tête de toutes les causes de cancers. Selon l’INSEE, en France, il cause environ 200 morts par jour. Aujourd’hui, 200 personnes vont mourir parce qu’elles fument. Tic tac.
La déclaration des droits de l’homme dit : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. » Et la liberté de création ? C’est un vrai débat.
Sans vouloir prendre un ton moralisateur, et sûrement contre productif, on peut dire que le fumeur ne met pas seulement sa vie en jeu : il y a aussi dans l’équation ses proches qui l‘aiment et qui vont vivre de sales moments en sa compagnie, ou ses enfants qui vont se retrouver orphelins à un âge où l’on n’est pas censé l’être.
Et puis il y a la collectivité qui va devoir le prendre en charge. On râle souvent contre les laboratoires qui s’enrichissent en vendant des vaccins ; mais ce sont des cacahouètes par rapport au coût des médicaments anticancéreux. Selon l’institut national du cancer, « leur impact budgétaire prévisible est même susceptible d’interroger la capacité des systèmes de protection sociale Français à maintenir un accès à l’innovation et aux meilleurs traitements pour tous les patients. ». Traduction : la sécu ne pourra peut-être bientôt plus payer pour tout le monde. Et ça, ce n’est pas du cinéma. Mais revenons aux films.
Après avoir parlé d’amour et de gros sous, parlons psychologie et sociologie. Au cinéma, quelqu’un de beau, de drôle, d’intéressant, doit fumer. Marion Cotillard ou Jean Dujardin clope au bec, c’est simplement logique. On ne peut pas dire le contraire, sinon on est contre la liberté de création.
C’est facile de rire dans un tweet, c’est moins facile d’ouvrir des livres. Mais puisque nous avons 5 minutes, allons y : intéressons nous à « l’influence sociale ». Ok, nous allons ici nous contenter de la page Wikipédia (mais ceux qui veulent aller plus loin peuvent lire ceci ou même cela, vous verrez c’est passionnant.) : « L’influence sociale ou la pression sociale est l’influence exercée par un individu ou un groupe sur chacun de ses membres dont le résultat est d’imposer des normes dominantes en matière d’attitude et de comportement. »
En gros, quand certains parlent pour le cinéma de « liberté de création », la sociologie leur répond « conformisme ».
Selon nos twittos offusqués, ce qui est acceptable, c’est la consommation de produits éminemment nocifs, vendus par une industrie sans scrupule. Etre libre et créatif, c’est participer à ce commerce mortifère sans se poser de question.
Alors, oui, il est urgent de « dénormaliser » l’usage du tabac, d’en finir avec l’image encore solide du ténébreux cowboy américain, de reconnaître l’influence de lobbys qui n’ont rien de glamour, et d’arrêter de caricaturer ceux qui prennent position dans l’intérêt général.
Il ne faut pas interdire la cigarette dans les films, évidement ; mais il faut aussi prendre conscience de notre accoutumance.
Un seul adolescent qui ne commencerait pas à fumer après avoir vu un acteur le faire dans un film, ce serait déjà une victoire. Ce serait déjà une vie sauvée. Il en reste encore 199 aujourd’hui.