Notre adaptation de Richard III s’est enrichie lorsque que nous avons choisi que le personnage de Richard interprété par Jean Lambert-wild serait accompagné par une femme, à savoir Elodie Bordas.
En effet, lorsque nous découvrons l’histoire de Richard III, histoire de sa vie réelle et histoire rapportée par Shakespeare, nous mesurons que la relation qu’il entretient avec les femmes est aussi complexe que passionnante.
Depuis sa naissance, Richard fait souffrir toutes les femmes qui l’entourent jusqu’à sa propre mère, qui, jour après jour, le voit s’enivrer d’un désir sanguinaire, et va jusqu’à regretter de l’avoir mis au monde. Ce benjamin « frustré d’allure par la fallacieuse nature” d’une fratrie de douze enfants dont la moitié seulement va survivre, ne trouve le moyen d’exister aux yeux de ses proches que par ses accès de colère, et développe tout au long de sa vie des stratégies sournoises afin de se prouver à lui-même sa propre valeur.
Mais plus durement, il regrette que les hommes se laissent si facilement corrompre par les vains plaisirs de la vie. Il observe avec dégout que les hommes de pouvoir se laissent détourner de leurs accomplissements par les attraits des femmes. Il est répugné de découvrir que le roi Edouard, son frère, agit de la sorte après l’heure de son couronnement, de constater que le vainqueur des Lancastre à la bataille de Towton se laisse si facilement manipuler par les plaisirs charnels.
“Et voici qu’au lieu de monter des chevaux cuirassés
Pour effrayer les âmes d’ennemis effarés,
Il fait de lestes cabrioles dans la chambre d’une dame
Aux accents langoureux d’un luth voluptueux. »
Ainsi il méprise la Reine Elisabeth et ses vulgaires complaintes érigées par un égoïsme honteux.
“Sa Grâce royale
Ne peut profiter d’un souffle de répit
Sans que vous ne la troubliez de vos vulgaires complaintes.”
De même, Il n’accorde aucune importance à la vieille reine Margaret dont les crises de démences étaient déjà l’objet de querelles sur son inaptitude à gouverner le Royaume. Il ne supporte pas non plus de voir son mari Henry VI et son fils Edouard se laisser manipuler par elle, et la considère comme responsable de leur folie.
Et si, plus tard Richard s’intéresse à sa belle-fille Anne Neville et se permet de la courtiser après avoir tué son mari et son père, ce n’est pas par attrait sentimental envers elle, c’est uniquement car leur union justifierait le ralliement des maisons d’York et de Lancastre et permettrait d’agrandir son royaume s’il était couronné.
Toutes les femmes qu’il croisera dans les âges de sa vie finiront toutes par le maudire.
Haï de tous, maudit par la reine Margaret, rejeté par sa mère, insulté par sa femme, Richard fait fi de tous les sentiments de ses semblables. Toutes le méprisent, mais aucune n’est jamais parvenue à l’attendrir, pourquoi chercherait-il à leur plaire réellement? En quelque sorte, Richard est une espèce de contre-Dom Juan, son exact opposé géométrique. Don Juan vit dans un désir égoïste de plaire et dans la jouissance de l’instant présent alors que Richard ne cherche qu’à s’accomplir dans un dessein « impénétrable et secret ». Et tout comme en géométrie la symétrie n’existe que par un axe ou un point de différentiel, l’axe commun entre ces deux personnages est que pour chacun d’eux il n’existe aucune règle sociale, morale ou religieuse qui ne puisse contrarier leur entreprise.
Au final, ce même Richard vu comme un monstre par certains, comme un traître par d’autres, comme un personnage perfide et sanguinaire est peut-être simplement un être incompris et profondément mélancolique, « dépourvu de la majesté de l’amour » dont le dessein impénétrable et secret serait d’organiser un grand Festin de pierre, et d’y inviter le monde entier à dîner pour enfin exister.