Qui est le metteur en scène ? A cette question, souvent posée, nous répondons « personne ». Le metteur en scène, cette figure tutélaire des plateaux, dictateur ou démocrate mais toujours parfaitement solitaire, est encore un modèle du présent théâtral. L’immense majorité des productions sont régies par ce chef d’Etat sans territoire, ce sculpteur des voix et des corps qui ne sont pourtant pas de marbre. Le rôle du metteur en scène aujourd’hui n’a-t-il pas quelque chose de délicieusement anachronique, comme un allumeur de réverbère au temps de l’électricité ? Considérons que nous sommes en 2015 : l’art du théâtre a changé en ce sens qu’il s’est complexifié et les compétences à réunir pour réaliser un spectacle associent des spécialités extrêmement diverses. Davantage que cela, la réunion de plusieurs regards sur un même projet enrichit l’acte artistique en même temps qu’il le singularise. Gérald Garutti, Lorenzo Malaguerra et Jean Lambert-wild possèdent des qualités différentes : l’un connaît la pièce comme sa poche – puisqu’il en est aussi le traducteur et qu’il l’a déjà « mise en scène » – le second aime à placer les acteurs sur la monture de leurs personnages et le troisième déploie un clown acrobatique à la puissance de jeu enragée.
Le travail sur Richard III – Loyaulté me lie avait commencé dans une petite annexe du Théâtre du Crochetan, dans un hôpital psychiatrique en Suisse, il se poursuit en ce moment au Théâtre de l’Union, à Limoges. Cette multiplicité des lieux et des périodes de répétition correspond aussi au fait que le travail au plateau est distribué de telle façon que chacun prend sa place, à des moments différents, dans ce qu’il sait faire de mieux. Et que si nous pouvons unir nos forces plutôt que de centraliser toutes les responsabilités aux mains d’un seul, nous serons simplement meilleurs. Elodie Bordas, Stéphane Blanquet, Gérald Garutti, Jean Lambert-wild, Lorenzo Malaguerra et Jean-Luc Therminarias sont convaincus, sur ce projet-là, d’être meilleurs à six que tout seul. Parmi ces six, parmi l’actrice, l’acteur, le scénographe, l’illustrateur, le musicien, le traducteur, ceux qui regardent, qui est le metteur en scène ? Personne. Notre spectacle est la réunion de tous ces regards qui se posent sur Shakespeare.
L’association des pensées et des regards ne signifie pas non plus que nous nous rassemblons en collectif de création. Nous avons déjà vécu, les uns et les autres, ces périodes de répétition où chaque geste était débattu, combattu, voire passé au vote. Des collecifs donc l’angle mort était l’ego. Les mots sont ici important : s’unir n’est pas se fondre, être frustré ou se soumettre à la loi de la majorité ou du plus virulent. Il nous arrive de ne pas être d’accord, bien sûr, mais l’union est affaire de ralliement aux meilleures solutions, au pragmatisme et à la réalité du plateau qui ne ment pas.
Le geste créatif ? Mais il est toujours là ! Les fulgurances existent et quand l’un de nous s’anime, c’est l’ensemble qui rit. Rappelons-nous de nos jeux dans la cour d’école : il était toujours plus drôle de taper dans un ballon avec ses camarades que le faire tout seul contre un mur. Faisons donc de ce Richard III un hymne enfantin à la joie de ce rire commun !